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Les Russes ont compris que le petit Redan menace leur extrême gauche, et plus tard, peut-être, leur retraite sur le pont, et ils ont accumulé sur ce point des forces considérables; mais la retraite de la division Dulac découvre entièrement le flanc droit de la division La Motterouge, et, la laissant ainsi en prise aux feux les plus meurtriers, la force à se replier à son tour, en bon ordre, sur la première ligne de la courtine, où elle s'établit solidement, de manière à ne plus en être délogée.

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CIII. — Cependant les généraux Saint-Pol et Bisson réunissent à la hâte leurs bataillons mutilés, font battre la charge et se jettent une seconde fois sur le petit Redan, qu'ils reprennent encore. Le brave général Saint-Pol est tué (1); le général Bisson est blessé. Le

(1,

LE GÉNÉRAL DE SAINT-POL.

Le 8 septembre la mort a cruellement glané parmi les chefs de l'armée. C'est qu'ils étaient aux premiers rangs, toujours au plus fort du danger, et montrant à leurs soldats que le privilége des hauts grades est surtont le droit de donner à tous l'exemple du courage.

C'est un jeune général que la mort vient de frapper. Il était né en 1810; il quittait l'École de Saint-Cyr en 1829 pour entrer dans un régiment de ligne. En 1831, il fit la campagne de Belgique, et compta pendant quelque temps parmi les officiers français qui servirent dans l'armée belge. En 1839, il rentrait dans le régiment qu'il avait quitté. Capitaine en 1840, il prit rang en 1842 dans un régiment de zouaves qui était en Afrique, et ne tarda pas, dans les combats successifs qui se livraient chaque jour, à se distinguer par sa brillante valeur. En 1845, il était cité à l'ordre de l'armée. En 1847, il était promu au grade de chef de bataillon, et rentrait en France l'année suivante. Embarqué pour la campagne d'Italie en 1851, il fut nommé colonel à la fin de la même année. En 1852, il entrait dans un régiment de la légion étrangère, et retournait en Afrique pour faire partie de

feu meurtrier des batteries et des réserves écrase une seconde fois nos vaillants soldats, infatigables au combat.

Les chasseurs de la garde accourent; autour d'eux se serrent les compagnies brisées, dont les chefs sont morts en combattant les premiers. Vainement, avec un élan plein de feu, ils essayent de reconquérir les positions envahies: leur chef de bataillon Cornulier (1), leur adjudant-major de La Grandière sont déjà tombés frappés à mort. Lutte terrible! lutte sanglante! lutte impossible!

cette brillante expédition de la Kabylie, qui devait porter un si funeste coup aux tribus révoltées. Là encore il se distingua par son intrépide conduite, et fut atteint d'un coup de feu à la tête, blessure heureusement sans gravité, qui lui permit d'assister, dix jours plus tard, à un nouveau combat où il eut son cheval tué sous lui en sauvant un homme tombé au pouvoir des Arabes. Cette belle action lui valut une citation à l'ordre de l'armée et la croix d'officier de la Légion d'honneur.

Colonel en 1852, il s'embarqua pour l'Italie, et bientôt, sur sa demande, il obtint l'honneur de partager la gloire et les dangers du siége de Sébastopol. Promu au grade de général de brigade au mois de mars 1855; placé d'abord dans le 1er corps d'armée, il passa, au mois d'avril, au commandement de la 1re brigade du 2 corps. Les dangers sans cesse renaissants de chaque jour et de chaque nuit permirent au jeune général de se distinguer à l'armée de Crimée, comme il l'avait fait à l'armée d'Afrique. C'est sur un champ de bataille qu'il est tombé, attachant une dernière fois son nom à la mémorable journée qui couronnait l'infatigable dévouement de nos vaillantes troupes. (1) LE CHEF DE BATAILLON CORNULIER DE LUCINIÈRE.

Le commandant Cornulier de Lucinière, tué à l'assaut du 8 septembre, fut parmi les victimes qui laissèrent un vide réel dans l'armée par les espérances qu'elles avaient données. L'avenir lui souriait. Élève de l'Ecole spéciale militaire, après avoir passé six ans en Afrique, où les jeunes officiers allaient se former au rude métier de la guerre, il avait été nommé chef de bataillon en 1854, et ce grade il le devait à sa brillante conduite sur le champ de bataille d'Inkermann, où il avait reçu deux blessures en se tenant, avec son bataillon de chasseurs, au plus fort du combat.

Marolles est accouru à la tête de sa brigade; deux bataillons du régiment de grenadiers de la garde, conduits par leur colonel, veulent prendre aussi leur part de ce combat mortel: tous ils franchissent parapets et batteries pour atteindre l'ennemi, qui se retire aussitôt, les laissant pris à revers par les batteries de la 2o ligne. Les boulets et la mitraille, ennemis lointains qu'on ne peut combattre, ravagent les intrépides bataillons. Le colonel donne ordre à ses hommes de se retirer dans le fossé extérieur de la courtine. Que devint alors le général de Marolles (1)? fut-il tué des premiers au

(1)

LE GÉNÉRAL DE MAROLLES.

Le général de Marolles était né à Batavia, de parents français, en 1808. Admis en 1824 à l'École de Saint-Cyr, il en sortit en 1826, et fit, comme sous-lieutenant, au 9 régiment de ligne, les campagnes d'Espagne de 1828 et 1829. Lieutenant en 1831, il était capitaine en 1838; et admis dans les bataillons de chasseurs à pied, il s'embarquait pour l'Afrique en 1843. Energique, intrépide, d'un caractère audacieux et entreprenant, il ne tarda pas à se distinguer brillamment, et paya d'une première blessure sa première citation à l'ordre de l'armée. En 1845 il était encore cité; nommé chef de bataillon l'année suivante, il s'embarqua en 1849 pour l'armée d'Italie, et prit une part glorieuse au siége de Rome. La même année, il fut nommé lieutenant-colonel, et rentra en France en 1850. Colonel deux ans plus tard, il fut appelé à la formation de la garde impériale à la tête du 2 régiment de voltigeurs. C'est avec lui qu'il s'embarqua en 1855 pour aller rejoindre le corps expéditionnaire de l'armée de Crimée. Dans les sanglants combats livrés les 22 et 23 mai, le colonel, tête de son brave régiment, se fit remarquer de tous par son élan et son courage. Au mois d'août les épaulettes de général étaient la récompense de ses éclatants services; mais le sort des combats ne devait pas lui laisser l'honneur de les porter longtemps. Sa valeur le jeta l'un des premiers à la terrible attaque du petit Redan, où son corps, criblé de blessures, fut retrouvé sous les décombres.

à la

début de cette mêlée de fer et de feu, ou bien put-il revenir derrière l'épaulement, ralliant autour de lui ses soldats, et combattant pied à pied, jusqu'à ce que la mort vint l'y frapper? Nul ne le sait; mais le corps du vaillant général fut retrouvé le lendemain au milieu des décombres; il avait plusieurs blessures larges et profondes.

Un autre général, vaillant parmi les plus vaillants, a aussi été frappé à mort dans ces combats successifs. L'armée a perdu le général de Pontevès (1).

CIV. l'attaque.

Tel était en ce moment l'ensemble de

(1)

LE GÉNÉRAL DE PONTEVÈS.

Encore un brave général que les combats d'Afrique avaient respecté, et qu'une mort héroïque attendait sous les murs de Sébastopol. Né en 1805, il sortait de l'École de Saint-Cyr en 1824, et faisait les campagnes d'Espagne de 1828 à 1829. En 1829, il passait avec son grade dans la garde royale, était nommé lieutenant et licencié peu de temps après. Rappelé au service à la fin de l'année 1830, il s'embarqua pour l'Afrique, où il resta jusqu'en 1836, prenant part aux combats partiels qui signalèrent les premiers pas de notre conquête, et méritant par sa valeureuse conduite une citation à l'ordre de l'armée.

Revenu en France, il fut nommé capitaine en 1837, et chef de bataillon en 1844. Alors il repartit pour l'Afrique. Son activité avait besoin de ces fortes émotions que donne la guerre, et qui laissent un grand vide dans le cœur du soldat lorsqu'elles s'éloignent de lui. Jl fut appelé au commandement de Tiarot, où sa connaissance de la langue arabe et les sérieuses qualités qui le distinguaient lui permirent de rendre d'importants services. En 1847, il était élevé au grade de lieutenant-colonel, et faisait partie, en 1849, du corps expéditionnaire envoyé en Italie. Nommé colonel la même année, il revint en France à la prise de Rome. Le 1er janvier 1854, il était général de

La division Dulac, broyée par des feux innombrables, était rejetée en arrière du Redan; la division La Motterouge se maintenait dans la première enceinte de la Courtine; la division Mac-Mahon lutte avec une énergique résistance contre les masses russes qui reviennent perpétuellement à la charge avec une opiniatreté sans égale, et occupe avec ses troupes le réduit de Malakoff, dont nulle force humaine ne pourrait l'arracher.

Du point avancé où il a pris position, le général Bosquet veille avec la plus grande attention sur toute l'étendue du champ d'attaque que parfois des tourbillons de poussière et de fumée enveloppent d'un nuage impénétrable. Des renseignements fort importants viennent de lui être donnés dans la tranchée même par des prisonniers (1). Il ne se dissimule pas la gravité de la position des divisions Dulac et La Motterouge; il envoie

brigade, et passait, en 1855, avec ce grade, dans la garde impériale. Au mois de juin il partit pour l'armée d'Orient. Plein d'élan et de superbe courage, il combattit comme un soldat à la tête de ses troupes dans la grande et belle journée, qui couronna cette longue lutte sous les murs de Sébastopol. C'est là qu'il fut frappé, comme doit être frappé un chef, le premier sur la brèche.

(1) Dès le commencement de l'attaque, les premiers tirailleurs firent prisonniers 3 officiers et quelques soldats; ils furent aussitôt amenés au général Bosquet, pour qu'il pût les faire interroger. Le général adressait aux officiers quelques paroles rassurantes, lorsqu'une bombe tomba dans la tranchée, à quelques pas de là. Les prisonniers et les soldats qui les avaient amenés, ainsi que l'interprète qui les interrogeait, furent tous tués ou blessés par les éclats; groupés autour du général, ils lui sauvèrent ainsi la vie par un heureux hasard.

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