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l'ordre au commandant Souty d'amener ses batteries et de les placer de manière à répondre surtout aux vapeurs, dont les gros calibres font dans nos rangs des

ravages considérables. Si l'ennemi, par un retour offensif, essayait de nous enlever les lignes dont nous nous sommes emparés, le commandant Souty arrêterait les colonnes par sa mitraille.

Les pièces tout attelées attendaient à la redoute Victoria, prêtes à partir au premier signal.

Aussitôt l'ordre donné, elles traversent au galop avec une audacieuse rapidité, le terrain le plus difficile et le plus exposé : déjà les boulets et les obus renversent les canonniers sur leurs caissons et déchirent à l'envi le sol sur la route que ces intrépides batteries parcourent. Enfin elles arrivent et se placent résolûment, chacune sur le point le plus favorable pour atteindre les vapeurs russes; mais elles sont entièrement à découvert et ne peuvent manquer d'être écrasées en peu d'instants.

Cette pensée n'arrête pas l'élan des chefs et des canonniers. En un clin d'œil, les pièces rangées en batteries, engagent la lutte avec une héroïque audace. Leur tir est dirigé avec une grande précision sur les bâtiments; mais déjà la mort court de rang en rang le commandant Souty a une jambe fracassée par un biscaïen; le capitaine Rapatel tombe blessé mortellement; plus des deux tiers des officiers, sousofficiers et artilleurs sont renversés pêle-mêle avec les chevaux, que les boulets éventrent, que la mitraille

déchire.

Heureusement les pièces ne sont pas en

core hors de service.

Cette lutte mortelle ne se ralentit pas; aux morts succèdent les vivants, qui continuent le feu avec le même calme, avec la même froide énergie, et le Vladimir, la Kersonèse et l'Odessa, embossés à l'entrée de la baie du Carénage, sont forcés d'aller s'abriter contre la grêle d'obus, dont leurs ponts sont couverts. Combat cruel, inégal, qui coûta bien du sang; mais il restera à ces deux batteries la gloire d'avoir exécuté un des plus audacieux mouvements d'artillerie connus dans notre histoire militaire.

CV. - Le général Bosquet, entouré de son état-major, est appuyé sur le parapet de la tranchée, suivant du regard le combat avec une anxiété croissante; une bombe éclate à quelques mètres en avant du parapet, et un gros éclat, passant en tournoyant à quelques lignes du visage du chef d'état-major du 2o corps, enlève la contreépaulette du commandant Balland, premier aide de camp du général Bosquet, et frappe le général luimême dans le flanc droit, un peu au-dessous de l'épaule.

Le général, étourdi par la violence du coup, s'affaissa, mais sans perdre entièrement connaissance; il faisait les plus grands efforts pour reprendre sa respiration, et ses premières paroles furent pour prescrire le plus profond silence à tous ceux qui l'entou

raient; puis, sentant que ses forces l'abandonnaient, il donna ordre au général de Cissey de faire prévenir le général en chef, ainsi que le général Dulac, auquel revenait de droit le commandement par son ancien

neté (1).

Longtemps les officiers de l'état-major du général luttèrent pour l'emmener du lieu du combat. Appuyé contre les gradins de franchissement, il voulait rester encore et être là pour diriger l'action; mais on voyait à la pâleur de son visage et à sa voix entrecoupée, que le coup qui l'avait frappé, avait dû causer un profond ébranlement. On le transporta à la batterie Lancastre, où les premiers soins lui furent prodigués. Pendant le trajet, les soldats qui rencontrèrent le brancard sur lequel était étendu le général se découvraient avec un sentiment à la fois de douleur et de vénération.

Comme le dit le général en chef dans son rapport, notre premier et éclatant succès sur le bastion Malakoff avait failli nous coûter bien cher et jeter un grand deuil sur notre victoire; mais Dieu veilla sur les jours de ce vaillant chef et le conserva à la France.

CVI.-Le général de Mac-Mahon se maintenait définitivement dans Malakoff, le moment était donc venu de

(1) Déjà, quelques minutes auparavant, le guidon de commandement du général Bosquet avait eu sa flamme traversée par un boulet, sa hampe, frappée de trois balles, et enfin coupée par un éclat d'obus, quelques pouces au-dessus de la main du maréchal des logis Rigodit, porte-fanon du général.

commencer l'attaque du grand Redan, confiée à la valeur de nos alliés. Le général Pélissier fit au général Simpson le signal, qui consistait à arborer, à un point convenu à l'avance, le drapeau national. Il n'était pas deux heures.

La division de troupes légères formait la tête de colonne; les troupes de la 2 division, désignées pour l'assaut, suivaient immédiatement. Toutes les dispositions de l'attaque avaient été concertées entre le lieutenant général Markham et le général Codrington.

Aussitôt que le signal fut aperçu, nos alliés, que l'impatience de combattre dévorait, s'avancèrent sous un terrible feu de mitraille, vers la partie saillante du Redan, où l'artillerie avait fait brèche. Les colonnes anglaises avaient près de 200 mètres à franchir. Bientôt tout le terrain fut jonché de morts, sans que la marche de l'intrépide colonne s'arrêtât un seul instant. Aussitôt qu'elle eut atteint le couronnement du fossé, les échelles furent dressées; et nos alliés, gravissant avec énergie le parapet du Redan, pénétrèrent bientôt dans l'angle saillant. Mais là, ils ne trouvèrent devant eux qu'un vaste espace criblé par les balles de l'ennemi, qu'abritaient des traverses éloignées. Pendant plus d'une heure les Anglais, infatigables à la mort, luttèrent pour se maintenir contre cet ouragan meurtrier qui les accablait de toutes parts; ceux qui arrivaient remplaçaient à peine ceux qui tombaient. C'est après une résistance désespérée, après d'inutiles et

sanglants efforts qu'ils se décidèrent enfin à évacuer le Redan (1).

La liste des morts était longue et douloureuse.

CVII. Le signal avait été donné au général de Salles, commandant le 1er corps, de commencer l'attaque qu'il devait opérer sur l'extrême gauche de nos positions.

Dès lors, sur toute la ligne des approches qui étreignaient la ville assiégée, ce devint un combat général, un assaut multiple de la droite à la gauche; on n'apercevait plus, à travers les flots de poussière et de fumée que soulevait le vent, qu'une nuée de combattants couvrant le sol de têtes humaines et de baïonnettes étincelantes.

Il avait été décidé, on le sait, que l'assaut principal serait donné au bastion Central, d'où la colonne assaillante se porterait sur le bastion du Mât, en même temps que cette position serait attaquée de front.

Toutes les dispositions avaient été prises sur le plan d'attaque présenté par le général de Salles. Dès le matin, deux mines de projection (de 100 kil. chacune)

(1)

Dépêche du général Simpson, 9 septembre 1856.

« Les tranchées, après cette attaque, étaient tellement encombrées de troupes, qu'il m'a été impossible d'organiser un second assaut, que je me proposais de donner avec les highlanders, sous le commandement de sir Colin Campbell, qui avait déjà formé la réserve, et devait être soutenu par la 3° division, sous le major général sir William Eyre. J'appelai en conséquence ces officiers, et il fut décidé avec eux que l'attaque serait renouvelée le lendemain matin. »

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