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« Nous avons fait 80 prisonniers, dit lord Raglan dans son rapport, et 130 cadavres ennemis sont restés sur notre terrain. »

XXIII. Chaque jour semblait devoir apporter le même bruit de combat, d'attaque et d'alerte soudaine. Dans la nuit qui suivit, les troupes du corps d'observation furent réveillées par une vive canonnade et un feu de mousqueterie très-violent, qui s'étendaient sur toute la ligne russe. Trompés sans doute par une fausse alerte donnée par leurs avant-postes, les Russes, croyant à une attaque combinée de l'armée alliée, avaient ouvert leur feu dans toutes les directions.

Bientôt de part et d'autre on ne tarda pas à reconnaître que chacun était resté dans ses positions respectives. Mais, à quatre heures du matin, la mousqueterie et le canon résonnent de nouveau, et cette fois-ci dans nos lignes; on entend en effet dans toute la vallée un bruit très-marqué de chevaux qui s'avancent au galop. La nuit est obscure encore, on ne peut rien distinguer; les troupes prennent les armes à la hâte et se forment en bataille; - le bruit augmente; à chaque minute il devient plus sonore ce gros de cavalerie gravit la colline; et tout à coup on s'aperçoit que ce ne sont que des chevaux, tout sellés il est vrai, mais sans cavaliers et appartenant à différents régiments russes.

Ces chevaux, effrayés par la fusillade de la nuit, avaient brisé leurs attaches et s'étaient enfuis dans

la vallée. Une cinquantaine environ sont pris par nous, une centaine sont entrés dans les lignes anglaises.

XXIV. Les approches françaises se continuent avec une infatigable activité (1); nuit et jour les travailleurs creusent le sol, élèvent des parapets; l'artillerie construit des batteries, et l'ennemi ne pouvant arrêter nos travaux par les feux de la place (2), se fortifie par de nouveaux retranchements sur le côté gauche du ravin qui descend vers la ville; il ne répare plus les embrasures du bastion du Mât, atteintes par nos projectiles, mais construit des ouvrages en arrière, et établit une forte gabionnade en avant du saillant du bastion,

(1) Le nombre quotidien des blessés au corps de siége, d'après les relevés des rapports de l'ambulance de tranchée, oscille entre 16 et 22, le chiffre des morts ne dépasse guère 8 ou 10.

Le journal du corps de siége, que nous avons sous les yeux, porte, depuis l'arrivée des troupes devant Sébastopol jusqu'au 25 inclusivement Officiers, tués 4, blessés 35. Troupes, tués 129, blessés 994.

(2) Depuis la nuit du 20 octobre, pendant laquelle les Russes avaient tenté d'enclouer les canons de deux de nos batteries, ils n'ont plus attaqué nos travaux d'approche, et se sont contentés de les tourmenter nuit et jour par un feu violent, qu'ils cessaient par instants, puis qu'ils reprenaient tout à coup avec une vigueur extrême, lançant des volées de nitraille sur nos ouvrages les plus avancés.

«Dans la nuit du 29 au 30, dit le journal du corps de siége, vers 3 heures du matin, une petite colonne russe d'une cinquantaine d'hommes, sortie de la place, se dirige, dans l'obscurité, sur la batterie 4, et n'est aperçue qu'à peu de distance de cette batterie. Reçue à coups de fusil, par 3 compagnies du 26o, elle fait une décharge générale de ses armes et se retire immédiatement. >>

Le rapport de l'ambulance de tranchée ne portait, pour les 24 heures, que 2 tués et 4 blessés.

contre lequel il sent que se dirigent nos principales

attaques.

En effet, notre marche souterraine avançait vers la place. Déjà les cheminements sur lesquels doit s'appuyer la 3 parallèle ont été exécutés par le génie (ils sont au nombre de cinq), et dans la nuit du 1er novembre, commence le périlleux tracé de cette parallèle, qui rencontre sur divers points des roches crayeuses.

Ce travail important est entrepris à la fois sur la droite et sur la gauche. La place emploie tous ses efforts contre les travailleurs, et vers quatre heures du matin, une vive canonnade laboure de tous côtés le terrain. Heureusement les épaulements ont déjà une épaisseur suffisante pour abriter les hommes.

XXV. Dans un siége, l'établissement de la 3 parallèle est une œuvre de la plus haute gravité, et dont l'exécution est un danger permanent de chaque jour, de chaque heure, de chaque minute; le récit ne peut qu'en constater les résultats, sans montrer l'héroïsme passif de cette lutte obscure, pied à pied avec le sol qui résiste, avec la mitraille qui tue. Celui que la mort frappe, tombe silencieusement; un autre prend sa place et continue l'œuvre un instant interrompue.

Sur la gauche surtout, la position est dangereuse; car on est en butte, presque sur tous les points, aux tirailleurs ennemis. Aussi l'on avance avec précaution, en employant pour garantir les hommes exposés

à un feu meurtrier, les dispositions les plus minutieuses (1).

Le général en chef écrivait au ministre de la guerre : Les attaques contre la place ont marché lentement avec le pic, la pince et le pétard, mais sûrement, et elles sont parvenues aujourd'hui à 140 mètres du saillant du bastion du Mât. J'établis à cette distance une 3o parallèle.

« Le génie de l'armée, en conduisant les approches aussi près de l'enceinte, a réalisé presque l'impossible, puisque nous sommes arrivés dans l'espace de quatorze jours à la 3 parallèle, en marchant toujours à la sape volante dans un roc vif, où l'on met trois à quatre jours à faire le travail d'une nuit, dans un terrain ordinaire. »

XXVI. Depuis le 19 octobre, nos batteries, remises

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(1) Journal du corps du siége, du 2 au 3 novembre.

« Le sol est très-dur; il y a des bancs de rocs. On prolonge la troisième parallèle jusqu'à l'excavation d'une ancienne carrière. Ce travail s'exécute à la sape volante, seul mode de marche praticable dans les conditions où l'on se trouve placé devant Sébastopol; mais afin de moins exposer les travailleurs, on suit une disposition particulière qui consiste à placer deux rangs de gabions jointifs, à les remplir de sacs à terre, et à les couronner de fascines, avant de développer les travailleurs le long de la gabionnade.

<< La fusillade, qui a commencé à 9 heures et demie sur l'attaque de droite comme sur l'attaque de gauche, n'arrête pas la marche du travail. A 4 heures du matin, les travailleurs sont partout à couvert; la sape est couronnée et le parapet a bonne épaisseur.

« Vers 4 heures et demie du matin, le feu de la place reprend avec violence. Cette bourrasque, de 12 à 1500 coups de canon, dérange à peine quelques fascines. »

en état, n'ont cessé de faire feu.-Six nouvelles ont été adjointes aux premières (1). Ce sont les batteries 10, 11, 12, 13, 14, 14 bis, placées dans le prolongement de nos travaux d'attaque; les unes battent la face gauche et l'intérieur du bastion du Mât, les autres, les batteries ennemies placées à la droite et à la gorge du ravin (2).

On le voit, les attaques françaises avaient fait un tel

(1) Batterie 10. 4 canons de 24, 3 obusiers de 22. (Doit ruiner la face gauche du bastion du Mât, prendre de revers la face droite; ruiner également une petite batterie de 4 pièces qui a été élevée en avant de la face gauche du bastion du Mât, chercher à atteindre le retranchement en arrière.)

Batterie 11 (marine). 10 canons de 30, 4 obusiers de 22. (Même objet que la précédente. Contre-ba tre en outre l'enceinte en arrière du bastion du Mât, et particulièrement la batterie située en avant de l'église.)

Batterie 12. 4 canons de 24, 4 obusiers de 22. Les obusiers ricochent la face gauche du bastion du Mât. Les canons contre-battent les batteries ennemies situées vers la gauche du ravin.

Batterie 13. 2 canons de 16, 2 canons de 24, 2 obusiers de 22. (Contre-battre les batteries situées à la droite du ravin.)

Batterie 14. 4 mortiers de 22, 2 mortiers de 22. (Battre les batteries situées à la gorge du ravin sur le boulevard.)

Batterie 14 bis. 6 mortiers de 15. (Battre le ravin des batteries basses, le magasin à poudre, ainsi que l'intérieur du bastion du Mât.)

(2) Nous trouvons, à ce sujet, le passage suivant dans quelques notes manuscrites écrites sur les travaux du siège par un officier général qui y exerçait un important commandement :

« Les Anglais paraissaient le comprendre; et, lorsqu'on leur témoignait la crainte qu'ils ne fussent pas en mesure de livrer cet assaut, ils répondaient qu'ils marcheraient contre le Re lan et Malakoff, comme ils avaient marché à l'Alma, sur les ouvrages des Russes garuis d'une puissante artillerie. Les ouvrages et les batteries de Karabelnaïa avaient été rendus jour et nuit plus formidables par des travaux considérables, et étaient en outre protégés par des accidents de terrain, qui en rendaient l'approche d'autant plus difficile, que les Anglais avaient à franchir une distance de 16 à 1700 mètres, qui séparait leurs batteries de la place, et cela sous un feu meurtrier. »

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