Images de page
PDF
ePub

avaient été lancées sur le bastion Central et avaient paru, par leur explosion, y causer un grand désordre.

Les troupes désignées avaient pris, dans la matinée, leurs postes de combat, et attendaient avec impatience que le signal leur fût donné de se lancer sur l'ennemi.

Les deux brigades de la division Levaillant, sous les ordres des généraux Trochu et Couston, chargés de l'attaque du bastion Central et de ses lunettes, sont placées dans les parallèles les plus avancées.

A la droite se tiennent les deux brigades de la division d'Autemarre, commandées par les généraux Niol et Breton, qui doivent pénétrer sur les traces de la division Levaillant et s'emparer de la gorge du bastion du Mât et des batteries qui la défendent.

Le général de Salles, commandant le 1er corps, s'est placé avec tout son état-major au centre des ouvrages appelés par nous ouvrages du 2 mai (souvenir de la date à laquelle nous nous étions rendus maîtres de cette importante position).

Au signal donné, les deux brigades Trochu et Couston bondirent en dehors des tranchées. La brigade Trochu, accueillie par un effroyable feu de mitraille et par des explosions terribles de fourneaux qui bouleversaient le sol sous ses pas, tournoya et appuya dans la direction de la brigade Couston. Le bataillon de chasseurs parvint cependant à pénétrer dans la lunette du bastion; presque tous les officiers étaient déjà hors de combat. Le général Trochu, au moment où sous le feu de l'en

nemi il reformait les compagnies désunies, fut blessé grièvement d'un biscaïen à la jambe. De puissantes réserves ennemies sont concentrées aux abords du bastion; un feu meurtrier de grenades accable nos troupes, sur lesquelles est dirigée une violente fusillade, pendant que des pièces démasquées tout à coup et des canons de campagne amenés à la hâte, déciment leurs rangs. Les pertes de cette tête de colonne devenaient si considérables, qu'il fallait au plus tôt lui porter aide, si l'on voulait continuer l'attaque.

CVIII. Le 42° et le 46° de ligne sont accourus sur la trace des têtes de colonnes, pour les soutenir et les renforcer. Le général Rivet, chef d'état-major du 2 corps, vient prévenir la brigade Breton (division d'Autemarre) d'avancer au plus vite; mais les tranchées sont tellement encombrées, qu'il est impossible aux troupes de se mouvoir. Cependant toutes les minutes sont précieuses. Les deux généraux Rivet et Breton se portent en avant, et cherchent à frayer un passage à la nouvelle colonne. Déjà ils ont atteint la ligne la plus avancée de nos ouvrages; le général Rivet (1) s'élance

[blocks in formation]

Chef d'état-major du 1er corps d'armée.

La mort du général Rivet peut certainement compter parmi les pertes les plus regrettables de la glorieuse journée du 8 septembre. Doué de cette froide intrépidité, si précieuse à l'heure du combat, le général, depuis son arrivée en Crimée, avait rendu dans ses importantes fonctions des services signalés.

Né en 1810, le général Rivet entrą à l'Ecole polytechnique en 1829;

aussitôt en dehors des tranchées, et est presque immédiatement frappé d'un biscaïen au bas de la jambe.

il sortit de l'École d'application de Metz comme sous-lieutenant d'artillerie en 1833. La même année, il s'embarquait pour l'Afrique, où il ne devait pas tarder à se faire remarquer et à appeler sur lui l'attention de ses chefs.

Au passage de l'Oued-Salleg, au combat sur la Chiffa et à la première expédition de Constantine, il avait déjà montré ce que l'on devait attendre de lui dans l'avenir. Lieutenant d'artillerie en 1838, il fut, deux ans après, promu au grade de capitaine en 2o. Le gouverneur général de l'Algérie le cita, en 1842, pour sa brillante conduite dans l'expédition de l'Ouarensenis; l'année suivante, le général Bugeaud le prit pour officier d'ordonnance. A chaque combat où le jeune officier assistait, il se signalait par son intrépidité, et les ordres du jour répétaient à l'armée le nom du capitaine Rivet.

Passé à l'état-major particulier de l'artillerie, on le trouve partout où les tribus rebelles nous forcent à livrer des combats. Il est à Iaourra contre les Kabyles; il fait partie de la colonne sur la frontière du Maroc.

Lorsque la cavalerie indigène fut organisée, le capitaine Rivet quitta l'artillerie et prit rang dans ce nouveau corps avec le grade de chef d'escadron. A la bataille d'Isly, il se couvrit de gloire.

Dans la période de 1834 à 1845, sa brillante conduite l'avait fait citer quatorze fois à l'ordre du jour. En 1846, il est lieutenant-colonel au 2o chasseurs d'Afrique; deux ans plus tard, il est nommé colonel d'un régiment de hussards, mais sans cesser les fonctions de directeur central des affaires arabes. En 1852, il est général et rappelé en France; mais il fallait à cet officier actif et distingué la vie d'Afrique, qu'il n'avait pas quittée depuis tant d'années, et il sollicita son retour en Algérie. Bientôt il est appelé au poste important de chef d'étatmajor général de l'armée d'Afrique, et prend part aux nouvelles expéditions dans la Kabylie.

Quand la France envoya une armée en Orient, il demanda l'honneur d'aller combattre avec le corps expéditionnaire. C'est là qu'il devait encore se distinguer brillamment, et trouver une mort glorieuse, qu'il avait tant de fois affrontée. Certes, le général Rivet était appelé aux plus hautes dignités de l'armée. Lorsque la terre allait recevoir pour jamais les restes du vaillant soldat, le général en chef Pélissier et le général de Salles, commandant le 1er corps d'armée, ont voulu l'accompagner jusqu'à sa dernière demeure, et lui dire une dernière fois adieu

Le général Rivet laisse de grands souvenirs et de profonds regrets.

Une hémorragie subite amena la mort. Au même moment, le général Breton, qui vient de prendre les ordres du général de Salles, est aussi atteint à la tempe d'une balle qui lui traverse la tête (1). Deux pertes cruelles pour l'armée.

Depuis peu de temps la lutte était commencée, et déjà bien du sang était répandu. Un instant repoussés par les colonnes profondes qui les prennent en flanc, nos braves régiments se précipitent de nouveau avec un élan désespéré; mais, malgré les efforts du génie, qui jette des ponts et cherche, en comblant les fossés, à

[blocks in formation]

Le général Breton était né en 1805, il avait commencé sa carrière militaire à l'école de Saint-Cyr, et sortait comme sous-lieutenant au 42 d'infanterie de ligne en 1824. Il fit les campagnes de 1828 et 1829 en Morée, et sut montrer déjà, quoique dans les rangs inférieurs de l'armée, ce que l'on pouvait attendre de lui. En 1838 il était capitaine, et en 1841, son instruction, ses connaissances variées, son zèle dans le service l'avait fait appeler aux fonctions de capitaine instructeur à l'école de Saint-Cyr. Chef de bataillon en 1845, il était lieutenant-colonel en 1851 et colonel deux ans plus tard. Embarqué en 1854 pour l'armée d'Orient dans la division qui se dirigeait vers la Grèce, il reçut le commandement des 3000 hommes que le général Forey laissa au Pirée, quand il continua sa route pour Gallipoli. Il ne tarda pas à rejoindre son général en Crimée, et fit partie dès lors du corps de siége.

Le lendemain de l'ouverture des tranchées, il était légèrement blessé par un éclat d'obus. Dans la grande journée du 5 novembre, il appela encore sur lui l'attention de ses chefs, sa récompense fut la croix d'officier de la Légion d'honneur, et quelques mois plus tard le grade de général de brigade. Pendant toute la durée du siége, le général Breton fit dans les tranchées un service actif et périlleux. Le 18 juin, il était à l'attaque du mamelon Vert avec le général d'Autemarre, et devait en guidant sa brigade au combat trouver la mort dans l'attaque du bastion Central, près du brave général Rivet.

ouvrir des passages, les réserves et les troupes de soutien ne peuvent avancer en masses suffisantes. Tout à coup plusieurs fourneaux bouleversent encore les terres, déchirent le sol de tous côtés et entraînent dans leurs excavations nos soldats renversés par l'explosion; un moment de confusion succède à cet événement inattendu, les Russes en profitent pour nous assaillir avec un redoublement d'énergie. Vouloir nous maintenir plus longtemps dans les ouvrages que nous avions enlevés, ce serait en payer la possession d'un prix trop cher et trop sanglant. L'ordre est donné à nos colonnes d'assaut de se replier dans l'intérieur des places d'armes avancées.

A ce moment, il était trois heures.

Alors nos batteries, que dirigeait le genéral Lebœuf avec son énergie et son activité habituelles, recommencèrent sur toute la ligne un feu terrible, pour maintenir l'ennemi derrière ses parapets. La division d'Autemarre, placée en réserve, se préparait à une seconde attaque; la brigade de nos vaillants alliés les Sardes, commandée par le général Cialdini, jalouse de verser aussi son sang dans cette glorieuse journée, frémissait d'impatience, attendant le signal de se lancer sur le bastion du Mât; mais le général en chef de l'armée française, jugeant que la possession du bastion Malakoff entrainait celle de tous les autres, sans répandre à profusion un sang précieux, donna ordre de suspendre toute nouvelle entreprise sur les attaques de gauche.

« PrécédentContinuer »