Images de page
PDF
ePub

Si nous n'avions pu nous maintenir, comme nous l'espérions, dans le bastion Central, notre mouvement offensif, en contraignant les Russes à laisser sur cette ligne de ses défenses des forces considérables, avait eu pour heureux résultat de l'empêcher de réunir tous ses efforts dans une attaque désespérée pour reprendre le bastion Malakoff, sur lequel s'était abattu le vol glorieux des aigles impériales.

CIX. Malakoff!... c'est la clef d'or qui doit donner la victoire!

Les zouaves de la garde, la réserve du général de Wimpffen, un bataillon de voltigeurs de la garde conduit par le colonel Douay, et enfin plusieurs compagnies des grenadiers de la garde sous les ordres du lieutenant-colonel de Bretteville, sont venus renforcer la division Mac-Mahon. - Combats incessants, attaques subites, luttes générales ou partielles de tous les instants, pluie de fer, de feu et de mitraille, nos vaillantes légions résistent à tous les chocs et restent inébranlables.

L'intrépide général de Mac-Mahon avait dit vrai, lorsqu'il répondait la veille au général Niel, qui lui disait que le gain de la journée était attaché à la prise de Malakoff. «J'y entrerai, et soyez certain que je n'en sortirai pas vivant. »

Les Russes comprennent toute l'importance de cette position qui leur a été si subitement arrachée, et redoublent d'efforts pour la reconquérir.

A la tête des premières réserves est d'abord accouru le lieutenant général Krouleff lui-même; gravement blessé, il remet son commandement au général major Lissenko, qui, à son tour, est grièvement atteint. Le général major Youférof s'élance à la tête de nouvelles troupes, et attaque la première enceinte du bastion où nous nous sommes enfermés; il tombe mortellement frappé. Le général Martineau lui succède, et son sang coule aussi sur ce terrible champ de combat.

Les morts s'entassent; les chocs impuissants viennent se briser; le réduit Malakoff est à nous!

Les attaques furieuses ont cessé, mais les feux de l'artillerie et de la mousqueterie continuent avec une violence extrême sur tous les points.

CX. Il est près de cinq heures; tout à coup une explosion se fait entendre; un immense nuage de feu et de fumée enveloppe Malakoff et toute la partie gauche de la courtine, vers le point où elle se relie au bastion l'air est obscurci par de noirs débris.

:

En entendant cette sinistre détonation, un sentiment de profonde angoisse serra tous les cœurs. Sans nul doute, Malakoff venait de sauter et la division Mac-Mahon ainsi que les troupes de renfort, enfermées dans ce réduit, devaient être ensevelies sous les décombres.

C'était un épouvantable désastre. Combien les secondes qui séparèrent ce doute affreux de la réalité

furent interminables!... Enfin la colonne de fumée commence à s'entr'ouvrir, et l'on aperçoit les drapeaux de la France flottant encore glorieusement sur les parapets; alors toute l'armée, comme une seule voix, jeta un immense cri de Vive l'Empereur! qui domina le bruit retentissant de la canonnade, concert de voix. reconnaissantes qui remontait vers Dieu.

Ce n'était pas une aussi grande catastrophe que celle qui était à craindre; mais cependant l'explosion avait eu lieu dans la batterie de six pièces placée sur la gauche de la courtine, et avait causé de cruels ravages dans une partie de la division La Motterouge, établie sur cet emplacement; un grand nombre d'hommes furent tués ou blessés grièvement. Le général de La Motterouge lui-même fut presque enterré sous les décombres, et eut les yeux cruellement atteints.

Il est facile de comprendre la confusion que jeta cet événement soudain parmi les troupes frappées; de tous côtés, au milieu des terres renversées, se traînaient des hommes affreusement mutilés; les mourants appelaient à leur secours avec des cris d'agonie, et les débris des compagnies cherchaient de côté et d'autre un sol qui ne tremblât point sous leurs pas. Quelques soldats, la tête perdue par la commotion, revenaient en courant vers nos tranchées; on pouvait craindre que les Russes ne profitassent de ce premier moment de désordre inévitable pour tenter contre nous un retour offensif.

Le général Dulac et les officiers qui l'entourent sor

tent de la tranchée, l'épée à la main; de tous côtés les bataillons se forment; le commandant Janingros des voltigeurs de la garde, qui se portait vers la droite avec son bataillon, pour être tête de colonne d'une nouvelle attaque contre le petit Redan, comprend aussitôt toute la gravité de la situation; il n'hésite pas, et, s'élançant avec tout son bataillon, il rallie à lui les compagnies confuses, qu'il ramène résolument sur la courtine.

A quelle cause devait-on attribuer l'événement qui venait de se produire ? le feu avait-il été communiqué par les Russes aux poudres de la batterie, au moyen de fils électriques, ou bien ne fut-ce que le résultat d'un accident provenant des gabions et des fascines qui presque partout étaient enflammés? on ne pouvait le

savoir.

Toutefois cette explosion devait porter un avertissement, et le général en chef, craignant que ce ne fût le commencement d'un système de destruction combiné par l'ennemi, voyant, en outre, que le bataillon de voltigeurs avait été forcément détourné de la destination qui lui avait été assignée, envoya l'ordre de se maintenir dans les positions occupées, et de ne faire sur le petit Redan aucune nouvelle tentative. La conquête du bastion Malakoff était un fait considérable dont il fallait attendre les importants résultats.

L'événement ne tarda pas à prouver combien cette prévision avait été sage et prudente.

En effet, le général de Martimprey, chef d'état-major

du général en chef, signalait de la redoute Brancion dans l'armée ennemie, du côté du pont, des mouvements qui semblaient indiquer qu'elle commençait à évacuer la ville; mais ce n'était encore qu'une espé rance, car le canon grondait toujours avec une extrême violence.

CXI. La nuit approchait; et, après tant d'attaques furieuses, tant de luttes opiniâtres, le feu mollissait des deux côtés, suivant, pour ainsi dire, la gradation des premières obscurités, qui du ciel descendaient sur la terre pour mettre un terme à cette journée de sanglant combat.

En même temps que toutes les dispositions étaient prises pour activer l'enlèvement des blessés, les différents corps se ralliaient dans les tranchées et se reformaient avec ordre, prévoyant le cas où les Russes tenteraient, par surprise, de reprendre leurs positions. Huit mortiers à la Cohorn furent portés à bras dans Malakoff, et le général de Mac-Mahon fit fouiller par des -bombes tous les terrains avoisinants, où les réserves russes auraient pu se masser à la faveur de l'obscurité, pendant que le génie travaillait sans relâche à préparer un passage sur les fossés, pour amener de l'artillerie de campagne (1).

La nuit était calme; les bourrasques de vent qui

(1) Huit pièces de 12 de l'artillerie de la garde impériale étaient en batterie bien avant le jour, et prêtes à ouvrir leur feu, ainsi que plusieurs pièces russes que l'on avait pu utiliser.

« PrécédentContinuer »