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canon s'était tu d'une manière absolue, et chefs et soldats debout sur les tranchées assistaient à ce grand triomphe qu'ils avaient si chèrement payé.

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D'un côté la ville n'offrait plus qu'un monceau de flammes et de décombres; de l'autre on apercevait au loin les colonnes russes gravissant péniblement les pentes nord de la baie, où elles venaient chercher un refuge..

Les derniers vaisseaux russes, mouillés la veille dans la rade, étaient coulés et ne laissaient plus apparaître au-dessus de l'eau que l'extrémité de leurs hautes mâtures; le pont était replié; l'ennemi n'avait conservé que ses vapeurs, qui enlevaient les derniers fugitifs, et l'on voyait, courant par la ville à demi détruite, des soldats qui cherchaient encore à promener l'incendie au milieu des décombres fumants. Mais bientôt les derniers êtres animés disparurent, emportés sur la rive nord. - Sébastopol était entièrement abandonné.

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Enfin les armées alliées avaient atteint le but de tant de persévérants efforts! Un instant, le juste orgueil du triomphe fit taire la cruelle amertume des regrets, en face de tant de pertes douloureuses; mais, après avoir remercié le ciel et pensé à la patrie victorieuse, chacun jeta un triste regard sur les morts aimés qui jonchaient le sol, et qui avaient payé de leur généreuse vie cette grande et mémorable journée. Ils allaient

prendre place auprès de tant de héros, dont les ossements glorieux devaient rester sur le sol de la Crimée pour raconter aux âges futurs cette grande page de nos fastes militaires.

Nos pertes générales dans cette journée étaient de : 5 généraux tués, 4 blessés et 6 contusionnés; 24 officiers supérieurs tués, 20 blessés et 2 disparus; 116 officiers subalternes tués, 224 blessés, 8 disparus; 1489 sous-officiers et soldats tués, 4259 blessés et 1400 disparus. Total 7551.

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Que de noms aimés! que de grands cœurs! que de måles courages ensevelis dans le glorieux linceul de la victoire!

Parmi les plus regrettables, était le jeune lieutenantcolonel Cassaigne, aide de camp du général en chef, et qu'un boulet avait emporté à la batterie Lancastre. Déjà son frère, capitaine de zouaves, avait suecombé devant l'ennemi; les deux frères, un instant séparés, ne devaient pas tarder à se trouver réunis dans la lombe (1). Le colonel Adam, brave et énergique officier,

(1)

LE LIEUTENANT-COLONEL CASSAIGNE.

Né à Bayonne en 1817, il n'avait pas encore atteint sa 38° année, lorsque la mort vint l'enlever.

Élève à l'école spéciale militaire en 1835, il en sortit le 1er, comme numéro d'ordre en 1837. De là, il entra à l'école d'étatmajor en 1838 et s'y distingua tellement, que son souvenir y est resté comme celui du plus brillant des élèves de cette école. Lieutenant en 1840 et capitaine en 1843, il fut employé aux travaux topographiques en Algérie, et y passa de 1846 à 1854, faisant comme aide de camp du général Pélissier, les campagnes qui menèrent successivement le général dans toutes les provinces de l'Algérie. Il se

qui, deux mois avant, avait déjà versé son sang, était frappé de mort, lorsqu'il venait d'atteindre le bastion. Malakoff (1); le colonel de Kerguen (2), le colonel

distingua brillamment à la prise de Laghouat, et dans toute occasion, soit qu'il s'agît de guerre ou d'administration, il fit preuve de la plus rare capacité. Mais c'est en Crimée et dans les derniers mois de sa vie qu'il montra tout ce dont il était capable par le rôle actif qu'il joua dans les conseils intimes du général en chef, services éminents, que le général Pélissier aimait à reconnaître, et qu'il proclama en pleurant sur la tombe de celui qu'il nommait son fils et son meilleur ami.

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Le colonel Adam était une de ces natures vigoureusement trempées, dont la perte est sensible et sérieuse pour une armée; il avait l'énergie du commandement et l'énergie de l'action, deux qualités rares et difficiles. Né à Nancy en 1812, il s'engagea comme simple soldat en 1831, pour faire partie de la campagne de Belgique. Il s'embarqua pour l'Afrique en 1833, et ne la quitta plus jusqu'en 1852. Durant ces 19 années de rude campagne, pendant lesquelles le sol de l'Afrique fut le théâtre d'une guerre incessante, il montra les qualités d'énergie et, de résolution dont était doué. Sous-lieutenant en 1836, il fut grièvement blessé le 13 octobre 1837, à l'assaut de Constantine.-Lieutenant en 1840, capitaine en 1842, puis chef de bataillon en 1848, il porta ses épaulettes sur tous les champs de combat, et les porta brillamment, obtenant l'honneur d'être cité plusieurs fois à l'ordre du jour.

En 1851, il était nommé lieutenant-colonel du 2° régiment de la légion étrangère, et partait en 1854 avec le grade de colonel pour l'armée d'Orient. Comme tous les vrais soldats, il aimait la guerre, rêvait un vaste champ de bataille; il devait le trouver en Crimée, et tomber à la tête de son régiment, en lui montrant les murs de Sébastopol, où devaient bientôt flotter nos aigles. Déjà, dans le mois de juillet de la même année, il avait eu l'épaule traversée par une balle dans les tranchées avancées, car il était partout où le danger l'appelait.

(2,

LE COLONEL DE KERGUERN.

Le colonel de Kerguern, né à Quimperlé en 1800, était un homme de guerre, comme l'écrivait au ministre le général Schramm, à la suite d'une tournée d'inspection. Engagé soldat en 1818, il fit comme sous-lieutenant la campagne d'Espagne de 1823 à 1828, c'était

Cavaroz (1). — Au milieu des pertes les plus sensibles,

il faut encore compter celle du lieutenant-colonel Huguenet, de l'artillerie (2), et celle du chef d'escadron d'état-major Lefebvre de Rumford, qu'une balle avait frappé mortellement (3).

un jeune officier plein d'ardeur, de distinction, d'intelligence et de zèle éclairé pour ses devoirs.

Il fit partie de l'expédition qui, en 1830, s'embarqua pour l'Algérie, et y resta trois années. Lieutenant en 1833, il était capitaine en 1836. Ce ne fut qu'en 1849 qu'il obtint le grade de chef de bataillon. Lieutenant-colonel en 1854, il partit avec le 74 de ligne pour l'armée d'Orient. Le 1er mai 1855, il fut blessé d'un éclat de bombe à l'enlèvement de l'ouvrage russe devant le bastion. Central, et fut nommé colonel du 49° de ligne le 30 juin; il devait être au nombre des glorieuses victimes qui payèrent de leur sang la prise de Sébastopol.

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Le colonel Cavaroz était âgé de 47 ans. Sorti de l'école de Saint-Cyr en 1827, il avait fait la campagne de Belgique : il avait assisté au siége de Rome comme chef de bataillon, et avait passé les quatre dernières années en Afrique. Officier vigoureux et énergique, il se distingua brillamment dans la campagne d'Orient, qui lui valut successivement le grade de lieutenant-colonel et celui de colonel Il eut la jambe emportée par un boulet, dans la tranchée, le 8 septembre.

(2)

LE LIEUTENANT-COLONEL HUGUENET.

Le lieutenant-colonel Huguenet s'était engagé en 1823, comme canonnier dans le 4o régiment d'artillerie à cheval. En 1824, élève à l'école polytechnique, il était sous-lieutenant en 1826. En 1840, il est nommé capitaine en 1er au corps d'artillerie; chef d'escadron en 1851, il s'embarquait la même année pour l'Afrique, où il resta jusqu'en 1854, époque à laquelle il partit pour l'Orient. A la bataille de l'Alma, il commandait les 2 batteries d'artillerie de la 1r division, et se faisait remarquer par sa vigueur et sa vaillante intrépidité. Au mois de mai 1855, il était élevé au grade de lieutenant-colonel, et trouvait la mort dans la grande et mémorable journée du 8 septembre.

(3)

LE CHEF D'Escadron lefeBVRE DE RUMFORD.

Encore un officier distingué que la mort venait de frapper. Homme d'étude et d'action, le commandant Lefebvre avait devant lui un

Le colonel de La Tour du Pin, combattant volontaire, nature d'élite, cœur de fer, avait été blessé et devait mourir au moment où il mettait le pied sur le sol de la France (1).

brillant avenir. A l'Ecole polytechnique en 1832 et à l'Ecole d'appli cation d'état-major en 1835, il se faisait déjà distinguer par une intelligence hors ligne et par cette aptitude que donnent toujours à l'esprit les études sérieuses. Employé, en 1841, à la carte de France, il fit des travaux topographiques remarquables, qui lui valurent le grade de capitaine de 1r classe en 1847. Il partit pour l'Algérie en 1850. Le général de Mac-Mahon le portait à l'ordre du jour en 1852, pour s'être brillamment distingué dans plusieurs combats dans la Kabylie orientale il quittait l'Afrique en 1853, et était compris, en 1854, dans l'état-major de la 5 division de l'armée d'Orient; le 9 février, il était nommé à l'état-major du 2 corps, commandé par le général Bosquet, et était tué le 8 septembre, à l'attaque Malakoff.

(1)

LE COLONEL DE LA TOUR DU PIN.

Le colonel de La Tour du Pin était un de ces hommes qui ont en soi le feu sacré de la guerre. Il aimait le danger, et recherchait avec une fiévreuse activité les mâles émotions du combat. Elève de Saint-Cyr, il entra dans l'armée comme sous-lieutenant en 1826. Après deux ans de séjour à l'Ecole d'application d'état-major, il passa plusieurs années en Afrique. Capitaine en 1833, il fut aide de camp du général Trobriand, puis du maréchal Clausel, gouverneur d'Algérie; officier distingué, plein d'instruction et de qualités réelles et solides, il était aimé et apprécié de tous; il fut aussi attaché, comme aide de camp, au général Changarnier. En 1841, il était nommé chef d'escadron, après avoir été blessé d'un coup de feu. Malheureusement une cruelle infirmité devait entraver la carrière militaire du commandant de La Tour du Pin. En 1843, il fut mis en non-activité, et employé, comme officier hors cadre, à l'état-major du ministre de la guerre. En 1848, il était remis en activité sur son instante demande, car pour lui c'était une amère douleur de se trouver ainsi à l'écart. Il fut nommé lieutenant-colonel pour fait de guerre en 1848, et colonel en 1853; à cette époque encore, la surdité dont il était atteint le fit mettre de nouveau en non-activité. Il ne chercha plus dès lors à lutter contre le sort qui s'acharnait ainsi à briser son avenir; mais quelle fut sa douleur quand une armée s'embarqua pour l'Orient! Tous ses instincts de

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