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progrès, que l'on pouvait prévoir le jour où un assaut serait possible contre le bastion du Mât; mais ce n'était toutefois qu'à la condition d'un assaut semblable sur les lignes d'attaque de l'armée anglaise, qui comprenaient le Redan et Malakoff; car une tentative isolée sur le bastion du Mât prise à revers de toutes parts, tant par les batteries des casernes que par celle de Karabelnaïa, devait, en laissant les Français exposés à un feu meurtrier, les empêcher de s'y maintenir.

XXVII.—Chaque jour de retard rendait la position plus délicate et plus difficile. De tous côtés les Russes élevaient avec une infatigable et habile activité des défenses qui se reliaient entre elles sur tous les points où l'on pouvait supposer que déboucheraient les colonnes d'assaut; des batteries basses étaient établies croisant leurs feux et balayant tout le terrain que nos troupes auraient à parcourir. Chaque jour le rapport du corps de siége signalait ces travaux, sur lesquels les compagnies des francs-tireurs entretenaient un feu journalier très-bien dirigé, et qui causait à l'ennemi des pertes sensibles (1).

(1)

Journal du corps du siége.

« Du 20 au 21 octobre. Les Russes ont élevé de nouvelles batteries sur le revers du ravin descendant au port du Sud et traversé par la parallèle

« Du 22 au 23. L'ennemi, en abandonnant les batteries soumises à l'action de nos pièces, se hâte d'en ouvrir dans les bas fonds qui ne sont pas vus; et de là, sous des inclinaisons convenables, tourmente nos travaux par de nombreux projectiles. Il met des pièces partout

XXVII.-Le 1" novembre, 47 nouvelles pièces ouvrent leur feu contre la place. Les Anglais tirent également de toutes leurs batteries. Le bastion du Mât, le principal but de l'attaque du côté des Français, cesse de tirer dans l'après midi, ou du moins son tir est telle

où elles peuvent être à l'abri des carabines des francs-tireurs, et tire des points les plus éloignés de la place.

Du 25 au 26. Les Russes font de nouvelles batterie, ils placent de grands sacs à terre en face du bastion du Mât, qui regarde la route de Sébastopol, à 3 mètres du pied de l'épaulement.

Du 26 au 27. Les Russes continuent à construire des retranchements sur le côté gauche du ravin qui descend à la ville.

Les francs-tireurs, placés dans toute la longueur de la 2° parallèle, dirigent leur feu contre les batteries du bastion du Mât et contre celles placées dans le ravin où passe la route de Sébastopol, et qui sont établies derrière une tranchée que les Russes ont faite pendant la nuit, pour relier le bastion du Mât au fort du milieu.

Ils tirent sur des pièces de campagne qui bientôt sont réduites au silence. On aperçoit que l'ennemi a établi une batterie de 6 pièces devant une poudrière qui est au fond du ravin. Les assiégés transforment en une batterie de quatre embrasures la gabionnade qu'ils ont élevée en avant de la face gauche du bastion du Mât.

Du 27 au 28. Les Russes construisent à la gauche du bastion du Mât une batterie de 4 pièces, pour contre-battre la batterie no 11. On va reconnaître cette batterie; on s'en approche à 40 mètres, sans être vu, et on constate que l'on y travaille activement au moyen de terres apportées dans des paniers; on s'occupe aussi des platesformes.

Du 30 au 31. Outre la batterie de 8 pièces, que les Russes ont construite en arrière de la tour du Centre, ils ont établi un retranchement en pierres sèches, derrière lequel on voit déjà 2 pièces en batterie. Ce retranchement s'appuie d'un côté à la batterie de 8 pièces, dont il vient d'être question, de l'autre, à celle de la promenade. Ils construisent aussi, en avant d'une maison jaune, à mi-côte du versant sud du mamelon sur lequel se trouve la partie la plus importante de la ville, une forte batterie destinée à agir à l'extérieur de la place, mais principalement pour la défense intérieure contre la colonne d'attaque. Enfin, ils en amorcent une autre, dans le même but, à droite du magasin à poudre.

ment affaibli, qu'il lance à peine quelques volées, à de rares intervalles. L'on peut facilement constater les dégradations que lui a occasionnées notre artillerie.

Certes, cette canonnade subite et d'une vigueur excessive dut faire croire à la ville assiégée qu'une tentative sérieuse se préparait contre elle; et, en effet, l'assaut avait été résolu en conseil, pour le 6 novembre.

Le général Forey, commandant le corps de siége, avait reçu l'ordre de préparer de solides colonnes commandées par des officiers choisis dans tous les grades, parmi ceux qui jouissaient d'une réputation connue de vigueur et d'intelligence. Tout s'apprête; on fait à la hâte dans les tranchées les plus avancées des gradins de franchissement.

Le feu des Russes a repris avec une nouvelle intensité, et notre attaque de gauche, exposée à un grand nombre de batteries nouvellement construites, est plus éprouvée que l'attaque de droite. Tout semble faire pressentir qu'on touche à un grave et solennel moment; nos canonniers de terre et de mer redoublent d'ardeur et d'énergie: chaque homine se multiplie. Sur plusieurs points, les pertes sont sérieuses, le sang coule; des coups d'embrasure démontent les pièces. Dans la même journée, quatorze canonniers sont mis hors de combat dans la batterie 13 qui est forcée de suspendre son tir: les balles, les boulets, la mitraille détruisent de tous côtés ses parapets. Les projectiles creux surtout sont lancés avec une grande précision; mais les francs-tireurs, placés aux deux extré

mités de la deuxième parallèle nouvellement ouverte, ralentissent souvent le feu de l'ennemi.

On connaît l'activité des Russes à réparer leurs travaux défensifs; on sait que les approvisionnements accumulés dans les arsenaux ne leur feront pas défaut, et que les pièces démontées la veille seront mises le lendemain en état et prêtes à faire feu. - Il faut se hâter.

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XXIX. Aussi, pendant que le général en chef, accompagné des généraux d'artillerie et du génie, explore les abords de la place, les officiers supérieurs, désignés pour diriger les diverses colonnes, étudient avec un soin minutieux le terrain où les troupes assaillantes doivent rencontrer de sérieux obstacles, après avoir franchi la première enceinte. Mais bien des points restent encore obscurs, car les affaissements de sol, impossibles à constater, peuvent créer des difficultés imprévues. C'est le bastion du Mât dont on doit s'emparer; c'est celui qui a le plus souffert et qui doit le plus souffrir par le feu continuel de nos batteries.

Dans la nuit du 3 au 4, le général de Lourmel, général de tranchée, envoie son officier d'ordonnance, le capitaine d'artillerie de Lajaille, en reconnaissance vers le bastion du Mât, afin de savoir, avec certitude, les obstacles artificiels qui peuvent en défendre les approches. Il fait une nuit profonde; la pluic tombe; des deux côtés l'artillerie, comme fatiguée par son feu incessant, semble se reposer. Quelques bombes

seulement traversent l'air de leurs rayons enflammés, et des balles perdues sifflent et labourent les crêtes de nos travaux les plus avancés. Le capitaine de Lajaille part, accompagné de quelques officiers et de cinq ou six soldats; il se glisse silencieusement; pas le moindre bruit ne trahit son approche il arrive ainsi devant le bastion sans être aperçu, et peut constater avec certitude qu'il s'y trouve un fossé, dont la profondeur doit être de 1 mètre 50 à 2 mètres, au plus.

Le lendemain, le capitaine Martin et le lieutenant Fescourt partent de nouveau au milieu de la nuit avec des sapeurs et quelques soldats, pour reconnaître une autre partie du terrain que les colonnes doivent aussi parcourir; mais cette fois, les Russes font bonne garde; la petite reconnaissance est reçue par une vive fusillade et ne peut avancer. Quelques heures avant le jour, la pluie, qui tombait à torrents, diminue d'intensité; mais un épais brouillard s'abat sur la terre. C'était le 5 novembre au matin.

XXX. Pendant que nous préparions ainsi nos moyens d'attaque, et que tous les cœurs battaient d'impatience et d'espoir, l'ennemi ne restait pas inactif, et prenait toutes les mesures qui pouvaient déjouer ou du moins entraver nos projets.

<< Tous les matins, écrivait le général commandant le corps du siége, dès les premières clartés du jour, moment ordinairement choisi pour livrer un assaut, les

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