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brasures soient fermées par des portières, aussitôt que chacune des pièces a fait feu.

La nuit est venue; les travaux en avant continuent sur le versant droit du ravin qui descend à Sébastopol; les batteries sont remises en état et prêtes pour le lendemain (1).

III. En effet, le 19 octobre, à six heures et demie. du matin, le mugissement de feu, un instant interrompu, recommence. Les batteries anglaises, qui n'avaient pas cessé de tirer pendant la journée du 18, redoublent d'énergie; la place répond avec une violence extrême. De toutes parts le tir est précipité, terrible; bientôt la ville et les positions des assiégeants sont couvertes d'une fumée épaisse; un brouillard intense vient s'y joindre; les artilleurs chargent leurs pièces et font feu sans pouvoir assurer la direction du tir.

(1)

Journal du corps de siége.

Batteries 1 et 2 (marine), sont réparées; les épaulements reçoivent plus d'épaisseur et d'élévation, les embrasures sont en partie refaites.

Batterie 3, remise en état.

Batterie 4. Cette batterie, qui a beaucoup souffert par suite de l'explosion d'un magasin à poudre, est réparée; on refait les platesformes, magasins, embrasures; le matériel détérioré est changé. Au jour elle est prête à faire feu avec 5 canons et deux mortiers : la sixième plate-forme ne peut être rétablie.

Batterie 5, est amenée à l'état de recevoir 3 pièces de 24: 2 contre l'épaulement de gauche et une derrière la première traverse.

Batterie 6, est remise autant que possible en état avec le concours de canonniers fournis par les batteries de la 4° division.

Batterie 7, terminée et armée.

Batterie 8, a réparé quelques dégradations.

De tous côtés ce sont de foudroyantes détonations, et de rapides éclairs traversent et semblent déchirer ce voile immense qui enveloppe les combattants. Deux officiers de l'état-major du général commandant le corps de siége, le chef d'escadron de Laville et le capitaine Schmitz, frère du capitaine d'artillerie emporté par un boulet quelques jours auparavant, partent par ordre du général Forey, pour apprécier le résultat du feu des batteries. Le premier se dirige vers la tranchée; le second vers la batterie du fort Génois, qui seule, sous le commandement du brave capitaine de vaisseau Penhoät, avait continué son feu sans interruption aucune, quoique la place eût, depuis l'avantveille, réuni tous ses efforts pour l'écraser (1). Cette batterie se composait de quatre obusiers de vingt-deux, et d'une pièce de cinquante.

IV.

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Les deux officiers étaient partis à travers cette pâle et mate obscurité que jetaient sur le plateau le brouillard et la fumée du combat. Le terrain qu'ils parcourent est labouré sur leur passage par des projectiles de toute nature qui éclatent et frémissent sur le sol déchiré.

Nos batteries sont en bon état; les épaulements résistent; aucun dégât notable n'est venu jusqu'à présent entraver notre feu. La batterie 5, seule, prise encore

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1) Le lieutenant d'artillerie Polignac avait été chargé des réparations de cette batterie dans la nuit du 17 au 18 octobre.

de revers et d'enfilade malgré de nombreuses traverses, était si cruellement maltraitée, qu'elle ne tarda pas à recevoir l'ordre, vers neuf heures, de cesser son feu; la plupart de ses pièces étaient égueulées, et presque tous les servants mis hors de combat par la nuée de projectiles qui l'accablaient sans relâche.

Lorsque le capitaine Schmitz atteignit la batterie du fort Génois, elle était littéralement broyée. Une seule pièce continuait à tirer; toutes les autres, hors de service, étaient couchées sur leurs affûts brisés; les parapets étaient à jour, le sang inondait les platesformes, les bombes et les obus à Scharpenelle (1) éclataient de tous côtés.

Le commandant Penhoät, debout au milieu de ce désastre, surveillait le tir de son unique pièce et donnait froidement le signal aux canonniers.

Tant que je pourrai tirer un coup de canon, je resterai là, dit-il au capitaine Schmitz.

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Le général Canrobert, instruit de cette résistance courageuse et persistante, se rendit lui-même au fort Génois; il fit au brave commandant les éloges que méritait sa conduite énergique dans cette lutte inégale avec les canons ennemis, et ordonna la suppression de la batterie (2).

(1) On appelle ainsi des obus qui éclatent en lançant des grêles de balles.

(2) Un ordre du jour porta à la connaissance de l'armée la belle conduite du commandant Penhoät.

Le tir de l'ennemi sur la batterie du fort Génois, était d'une si

Peu à peu, dans la matinée, le brouillard s'était levé, et un vent favorable avait dissipé les nuages de fumée qui enveloppaient la colline et la ville.

La tour du bastion central fut dans la journée complétement minée, et la face droite du bastion du Mât avait si grandement souffert, que le lendemain, deux pièces seulement purent faire feu.

V. Les travaux de développement et d'amélioration continuent avec activité dans les tranchées; plus de 6000 travailleurs y sont employés.

Mais l'ennemi, de son côté, s'occupe avec ardeur à réparer et à augmenter ses lignes de défenses, pendant que son artillerie couvre de mitraille les points où apparaît la marche progressive de nos tranchées; la population tout entière de Sébastopol est employée à porter de la terre, des gabions et des fascines; chaque nuit, les ouvrages s'accroissent et se relient entre eux sous l'habile direction du capitaine de génie Todleben (1).

De toutes parts, les terres se soulèvent;

grande précision, que l'on arriva à supposer qu'elle se trouvait construite sur l'ancien emplacement de leur polygone. Ce qui donna lieu à cette assertion, c'est que la petite baie qui avoisine le fort Génois s'appelle la Baie du Tir.

(1)

LE CAPITAINE DU GÉNIE TODLEBEN.

François Todleben, dont le siége de Sébastopol devait illustrer le nom, était au commencement de sa carrière militaire lorsque la guerre d'Orient éclata. C'est à cette guerre et au génie infatigable qu'il a déployé dans l'opiniâtre défense de Sébastopol qu'il doit le grade élevé qu'il occupe aujourd'hui.

Fils d'un marchand de Mittau, Todleben est né le 25 mai 1818. Après

il semble que le sol de la Crimée vient de lui-même en aide à la ville assiégée.

"

Depuis l'action du 17, écrit le vice-amiral anglais Dundas, l'ennemi n'a pas cessé de travailler à réparer ses batteries et à ériger sur le côté nord du port de nouveaux ouvrages, qui commandent les approches par terre et par mer. »

On peut le dire, des deux côtés se multiplie à l'infini tout ce que peuvent créer la force et l'intelligence humaines.

Malgré les difficultés sans cesse renaissantes de masses rocheuses, nous avançons chaque nuit à pas sûrs; nous établissons de nouvelles batteries, dont nous pressons l'armement, et nous enlaçons le bastion du Mât d'un réseau de tranchées. Les deux compagnies de francs-tireurs continuent à faire grand mal à l'ennemi, Embusquées dans de petits logements en avant des parallèles, elles portent la mort derrière les bastions russes. A plusieurs reprises, dit le journal du corps de siége, l'ennemi tire sur elles toutes ses pièces chargées à mitraille avec un acharnement sans pareil.

avoir fait ses études dans les écoles de Riga, il fut reçu au collége des ingénieurs de Saint-Pétersbourg. Au commencement de la guerre actuelle, il n'était que capitaine en second du génie; il se distingua sous les ordres du général Schilders, puis fut envoyé en Crimée. — Ce qu'il a fait devant Sébastopol appartient désormais à l'histoire, qui mêlera son nom au souvenir de ce siège gigantesque.

En moins d'une année, il devait passer successivement par les grades de capitaine, commandant, lieutenant-colonel, adjudant-colonel, maréchal de camp et adjudant-général, et recevoir de son souverain les plus grandes marques d'estime et de haute considération.

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