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mousqueterie, retentissait formidable sur les positions d'Inkermann.

Dans le même moment accoururent des officiers anglais; à leur tête galopait à fond de train le colonel Steel; son cheval était couvert d'écume, tant son retour avait été rapide; lui, s'arrêta devant le général Bosquet; les autres continuèrent vers lord Raglan, qui était sur les hauteurs plus près de Balaclava.

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XXXVII. Le colonel anglais venait dire au général Bosquet ce que celui-ci avait pressenti depuis le commencement de la journée : c'est que l'attaque sérieuse était sur Inkermann, que les Anglais étaient écrasés par le nombre toujours croissant de l'ennemi, que de toutes parts apparaissaient des colonnes russes remplaçant celles que l'on avait repoussées, et enlaçant le plateau de leurs masses compactes.-Le duc de Cambridge et ses vaillants gardes combattaient en désespérés. Les généraux Cathcart et Brown se multipliaient; il n'y avait pas un instant à perdre.

"Je le savais bien !... » s'écria le général Bosquet; et se retournant vers le colonel Steel : « Allez dire à nos alliés, ajouta-t-il, que les Français arrivent au pas de

course. »

Et aussitôt il donne ordre à son chef d'état-major, le colonel de Cissey, de rejoindre en toute hâte le général Bourbaki et de lui dire de se jeter, à la baïonnette, sur le flanc gauche des Russes. Mais déjà le général, qui s'éclairait sur son flanc gauche pour se relier avec la

droite des Anglais, avait compris la gravité de la situation et l'impérieuse nécessité d'arrêter l'envahissement de l'ennemi par une offensive audacieuse; déjà, lorsqu'arriva le colonel de Cissey, il avait mis ses bataillons en mouvement et gravissait avec rapidité la pente du plateau. Les batteries de la réserve du commandant de La Boussinière étaient déjà arrivées sur le terrain, tant elles avaient mis de précipitation à venir, et le général Bosquet dirigeait sur le même point un bataillon de zouaves et un bataillon de tirailleurs algériens.

D'autres officiers anglais accourent, animés par le combat, émus par tous ces morts qui jonchent le sol; les flancs des chevaux sont déchirés par les éperons des cavaliers, et le sang se mêle à l'écume. « La marche de l'ennemi, disaient-ils, fait à chaque instant des progrès. Alors la 1" division s'étend pour occuper à elle seule toute la ligne de défense de la Tchernaïa, pendant que le général d'Autemarre se prépare aussitôt à marcher, avec un bataillon de zouaves et les deux bataillons du 50°. — Le commandant Barral reçoit l'ordre d'atteler une de ses batteries et d'aller soutenir celles du commandant de La Boussinière, déjà fortement engagées.

XXXVIII. - Un drame terrible, en effet, se passait à Inkermann, et les bataillons confus se heurtaient les uns contre les autres, comme les flots de la mer bouleversés par la tempête.

Le canon, la mitraille, les balles avaient surpris les Anglais dans leurs tentes; les boulets venaient tuer les chevaux attachés à leurs piquets et les hommes encore endormis. Quel réveil au milieu de la plus complète sécurité! Officiers et soldats se jettent sur leurs armes au milieu de l'obscurité, et, à peine revêtus de leurs uniformes, s'élancent sans savoir où diriger leurs pas. On entend au milieu de la fusillade et des détonations de l'artillerie les cris des chefs qui rallient les bataillons au drapeau de l'Angleterre; des hourrahs leur répondent de toutes parts, ceux des Anglais qui accourent, ceux des Russes qui avancent : un brouillard épais enveloppe cette scène de confusion et de tumulte. Sur les tentes renversées piétine le combat et s'amoncèlent les morts; le sang court pêlemêle avec les ruisseaux de la pluie, et les bataillons formés à la hâte glissent sur cette boue sanglante.

L'Angleterre se relève de son imprévoyance par son héroïque et indomptable courage.

La seconde division, que commande le major général Pennefather, s'est formée, pendant que les avantpostes combattent et meurent un à un; une brigade se jette sur la pointe des hauteurs avec le général Adams pour arrêter l'ennemi qui s'avance à travers les taillis touffus, sous la protection d'une nuée de tirailleurs, dont le feu est terrible.

La belle brigade des gardes est debout, elle s'élance au front de bataille, à l'extrême droite de la 2o division; à sa tête sont le duc de Cambridge et le major général

Bentinck. Rien ne les arrête; la mitraille troue leurs rangs qui se reforment aussitôt.

Les bataillons de la division légère commandée par sir George Brown, courent au feu à mesure qu'ils se forment; l'une des brigades s'arrête sur les terrains en pente qui descendent à Sébastopol, l'autre se porte en avant; plus loin, la 4° division du général Cathcart s'est jetée à droite du point d'attaque; une de ses brigades, celle du général Goldie, occupe la gauche de la route d'Inkermann.

Les batteries de la 1r et de la 2a division ont pris position sur le front des lignes et commencent aussitôt un feu inégal contre cette pluie de fer qui vient à la fois de l'artillerie que les Russes ont amenée, des canons de la place et surtout des vaisseaux de guerre qui lancent du fond de la baie des volées de mitraille. Toutes les dispositions sont prises à la hâte, pour arrêter ce torrent humain qui envahit à la fois tout le plateau. Sur la 2o division qui défend le front d'attaque et occupe une petite redoute non armée, d'épaisses colonnes s'élancent en poussant des cris sauvages; d'autres gravissent les pentes qui font face à l'extrémité du port, tandis que de nombreux bataillons viennent aussi menacer le flanc et les derrières des lignes anglaises par les deux routes qui, du fond de la vallée d'Inkermann, conduisent sur la hauteur.

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CHAPITRE III.

XXXIX. Disons, avant de raconter les différents épisodes de cette journée, quels étaient les moyens d'attaque préparés par les Russes. Les forces du corps d'armée du général Dannenberg étaient divisées en deux colonnes; l'une sous les ordres du lieutenant général Soimonoff, l'autre sous ceux du lieutenant général Parloff. La colonne Soimonoff devait se porter rapidement en avant sur la rive gauche du ravin, avant le point du jour, et tourner la position d'Inkermann; la seconde colonne, avec 12 bataillons de chasseurs et des compagnies de tirailleurs, avait mission de balayer les défilés couverts d'épaisses broussailles, tandis que le reste des troupes, avançant par la nouvelle route, se formait en bataille entre le ravin et ces défilés. Les mouvements des deux généraux devaient être simultanés; mais le général Soimonoff, entendant le feu s'engager entre ses tirailleurs et les postes avancés des Anglais, « au lieu, dit le prince Menschikoff, d'appuyer sur la droite, pour tourner la position, ainsi qu'il avait été convenu, lança droit devant lui les régiments formés en colonne par compagnies; » ceux-ci se précipitèrent avec une violence extrême, et jetèrent le désordre dans le camp ennemi par l'impétuosité de leur attaque, envahissant à la fois le terrain dégarni de dé

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