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fenseurs et l'emplacement même des tentes anglaises. - Le général Soimonoff fut tué en atteignant les premières hauteurs du plateau.

XL. C'est alors que se leva, surprise dans son sommeil, l'armée britannique, et qu'elle opposa ses inébranlables poitrines aux baïonnettes russes; c'est alors qu'cut lieu une de ces mêlées indescriptibles, chocs désespérés de masse à masse dans l'obscurité, au milieu de la confusion de l'attaque et de l'héroïque désordre de la défense. Toutes les divisions sont accourues; nos intrépides alliés ont reconquis une partie du terrain un instant envahi. Mais l'ennemi est là; de toutes parts ses colonnes se pressent, et, reparaissent chaque fois plus menaçantes, plus compactes, plus furieuses.

C'est du côté de la redoute où était accourue la brigade des gardes que le combat fait fureur, au milieu du brouillard et de la pluie. Là, se fit remarquer dans toute son étendue le froid et infatigable courage des Anglais, couvrant, sans l'abandonner, de leurs cadavres amoncelés, ce sol qu'ils ne peuvent plus défendre.

Le lieutenant général Cathcart, voyant une forte colonne d'infanterie russe déborder la position, espéra, par un mouvement audacieux, faire une diversion en prenant l'ennemi de flanc, et s'élança avec quelques compagnies dans le ravin; mais les Russes étaient déjà maîtres des hauteurs voisines. Le général n'hésite pas,

il se met à la tête de ses soldats, l'épée à la main, et ayant à côté de lui son aide de camp, le colonel Seymour, se précipite sur les rangs ennemis. Bientôt, enveloppé par une autre colonne, que cachait à la fois un pli de terrain et ce voile épais tombé du ciel sur la terre, le général Cathcart est frappé mortellement un des premiers, et près de lui le colonel Seymour, qui cherchait à relever le corps sanglant de son général. Cette poignée de soldats s'élance alors au travers des rangs ennemis avec l'élan du désespoir, et se fraye, pour rejoindre la division, un chemin qu'elle teint de son sang (1).

(1) LE LIEUTENANT GÉNÉRAL SIR GEORGE CATHCART.

La mort du lieutenant général sir George Cathcart a été pour l'Angleterre un deuil public; car sa loyauté, son patriotisme et son dévouement égalaient sa haute réputation militaire. Après avoir rempli, dans les colonies, un poste important, et y avoir ramené la paix et la tranquillité, il venait à peine de rentrer dans son pays natal, lorsqu'un ordre subit de départ le fit rejoindre l'armée d'Orient.

Sir George Cathcart était né en 1794. A l'âge de 16 ans, il entra dans la garde, avec le grade de cornette, et passa, l'année suivante (1811), lieutenant au 6o dragons.

Il prit une part active aux campagnes de 1813 à 1815, et assista à nuit grandes batailles, où l'empereur Napoléon commandait en personne. En 1818, il fut fait capitaine, major et lieutenant-colonel en 1826; colonel en 1841, et major général en 1851.

En 1852, le gouvernement anglais avait besoin d'un officier capable, vigoureux et énergique pour dompter les révoltes des tribus, au cap de Bonne Espérance. Les qualités brillantes de sir George Cathcart, son caractère audacieux et résolu le désignaient comme l'homme de la situation; il fut nommé gouverneur et commandant militaire au cap de Bonne-Espérance.

A peine débarqué, il signala son arrivée par de brillants succès, et bientôt les tribus révoltées furent battues dans plusieurs rencontres et forcées de mettre bas les armes. Pendant tout le temps qu'il resta au

LXI. - Il était près de huit heures, lorsque les troupes commandées par le général Bourbaki se précipitèrent sur le champ du combat, et que les batteries à cheval de la réserve du commandant de La Boussinière ouvrirent leur feu. Sur l'emplacement des camps anglais que traversait la colonne, les cadavres russes étaient mêlés aux cadavres anglais, et indiquaient qu'une lutte terrible avait eu lieu sur ce point. De tous côtés on voyait des tentes renversées et déchirées en lambeaux par la mitraille, des débris d'uniformes, des armes appartenant aux deux nations,

Cap, l'énergie qu'il déploya contre les rebelles, et en même temps sa sage et loyale administration lui valurent l'estime et les sympathies de tous. Pour récompense de ses services, il fut nommé chevalier compagnon de l'ordre du Bain, distinction qu'il avait méritée depuis longtemps.

Lorsque l'Angleterre, alliée de la Turquie, déclara la guerre à la Russie, les meilleurs généraux furent mis en réquisition, et sir George Cathcart, qui avait été fait adjudant général en 1853, fut, à son retour du Cap, désigné pour faire partie de l'armée d'Orient. Arrivé sur le théâtre de la guerre, on le nomma lieutenant général, et on lui donna le commandement de la 4° division.

A la bataille de l'Alma, il soutint avec la division de réserve le flanc gauche de l'armée anglaise et le protégea énergiquement.

Le 25 octobre, à la journée de Balaclava, le général Cathcart rendit de grands services avec sa division, qui prêta aux Turcs un solide appui, et arrêta, en se déployant dans la plaine, l'attaque ennemie. C'est à la bataille d'Inkermann que le brave général devait tomber glorieusement : « Sa Majesté, dit lord Raglan dans son rapport, a été privée, par sa mort, d'un sujet dévoué et d'un officier du plus grand mérite. »

A la gauche d'Inkermann, dans une petite enceinte, entourée d'un mur en pierres sèches à moitié détruites, repose le brave général, à côté du vieux Shangways, du colonel Seymour et du général Goldie. Sur les pierres élevées devant chaque tombe, sont tracés ces quatre noms, et tout autour, des fosses nombreuses indiquent que d'intrépides combattants dorment là du dernier sommeil. Une sentinelle est placée chaque jour sur ce champ des morts.

que les terres humides recouvraient à moitié, et des blessés oubliés au milieu des morts et des mourants.

En arrivant vers la batterie fixe que les Anglais avaient établie, en avant de leur camp, sur le plateau, le général Bourbaki forma ses bataillons en bataille, et, sans attendre un seul instant, s'élança, l'épée haute, à la tête de ses vaillants soldats, au milieu des broussailles élevées qui couvraient le sol. La France tendait la main à l'Angleterre, et venait prendre sa part du combat.

En voyant accourir leurs alliés avec cet élan impétueux qui leur est propre, les Anglais poussèrent une longue acclamation et cessèrent un instant de combattre pour agiter en l'air leurs armes ensanglantées. Les blessés se relèvent à moitié et crient: hourra!... Les troupes françaises répondent par les cris répétés de vive l'Empereur puis les bataillons chargent avec fureur. On dirait une masse de fer mue par une puissance invisible. Déjà ils ont fait deux larges trouées dans les rangs ennemis; sous leurs pas, les morts s'entassent et les Russes rétrogradent; les pieds marchent sur des cadavres que cachent les broussailles, et étouffent des mourants qu'on ne voit pas.

XLII.

L'ennemi, un instant épouvanté par cet ouragan humain, resserre ses rangs éclaircis; les chefs animent leurs soldats et s'élancent les premiers sur nos baïonnettes avec une intrépidité sans égale; alors le combat redouble. - Nos deux bataillons, écrasés par le

nombre, sont à leur tour repoussés par le flot toujours croissant; mais ils se retirent pied à pied, combattant comme des lions. Le brave colonel de Camas est tombé frappé d'une balle dans la poitrine; car il s'était jeté au plus fort de la mêlée, donnant à tous l'exemple du plus intrépide et du plus audacieux courage. Deux fois refoulés et deux fois revenant à la charge, les Russes reprennent pied sur ce même terrain où gît déjà privé de vie le corps du colonel, entouré de ses soldats morts, comme il était, quelques instants auparavant, entouré de ses soldats vivants (1).

(1) Bien des versions ont été dites et écrites sur la mort du colonel de Camas, qui blessé, dit-on, avait été achevé par les Russes; aussi nous croyons devoir reproduire ici ce passage d'une lettre écrite par son frère devant Sébastopol, le 22 décembre 1854.

<< Le colonel de Camas a été atteint d'un coup de feu au bas de la poitrine, à gauche. Un sergent, appelant à son aide un de ses camades, l'entraîna, en le soutenant par-dessous les épaules, l'espace d'une trentaine de pas. De Camas, qui ne paraissait pas souffrir, mais perdait beaucoup de sang, leur dit de s'en aller et de le laisser là, où il n'avait plus qu'à mourir.... De Camas finit par perdre connaissance, et, étendu à terre, il cherchait autour de lui avec la main, répétant ces mots : « L'épée de mon père! »

« Par suite du flux et du reflux des colonnes en lutte, les Russes étaient revenus sur le terrain ou gisait de Camas. Plus tard, on le retrouva à la même place, mort; mais il est faux qu'il ait été achevé par les Russes à coups de crosse ou de baïonnette: on me l'avait dit avant que j'aie pu le voir; aucune trace de cela n'existait sur lui, il n'avait que la blessure dont il est mort, et qui lui traversait le corps. »

LE COLONEL DE CAMAS.

Le colonel Filliol de Camas avait 47 ans, et était fils du général d'artillerie le baron Filliol de Camas. C'était un officier distingué, plein d'énergique et vigoureuse résolution. Il avait de son père la taille et le type du commandement. L'armée perd en lui un chef de corps qui savait inspirer à ses soldats l'élan du champ de bataille.

Elevé à l'école spéciale de Saint-Cyr, il en sortit en 1828, et fut

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