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que de desobeissance à vos commandemens, je m'en acquiteray au moins mal qu'il me sera possible. Et, commençant par celles qui sont de plus necessaire observation à tous roys et princes pour bien regir et gouverner leurs Estats et faire prosperer leurs desseins et entreprise, je diray à vostre Majesté,

Premierement, qu'ils doivent aimer Dieu de tout leur cœur, et exercer humanité envers tous hommes, mais principalement envers ceux dont ils ont le regime et gouvernement.

Plus, qu'ils soient hommes d'entendement et de courage, et qu'ils tournent leur vertu en une vraye habitude, par usage et longue pratique.

Plus, qu'ils rendent leurs promesses et leur foy inviolables, et, pour cet effet, qu'ils regardent bien ce qu'ils peuvent, avant que de promettre.

Plus, qu'ils aiment l'honneur et la reputation du monde, et que, pour l'acquerir, ils ayent non seulement interieurement les parties necessaires pour y parvenir, mais qu'ils en rendent des tesmoignages exterieurs en toutes leurs actions, faits, operations, dits, paroles, contenances et mouvemens de leur esprit et de leur corps, d'autant que sur iceux se forment les jugemens plus universels, comme estans exposez à la veuë de tous.

Plus, qu'ils soient soigneux de bien reconnoistre les parties dont leurs dominations sont composées, afin de diversifier la forme du regime, mesnagement et usage d'icelles, selon leurs diverses dispositions et subsistances.

Plus, qu'ils fassent le semblable des esprits et des personnes qui leur sont soûmis et assujettis, et fas

sent sur eux et leur naturel et inclinations, semblables reflections, la mode d'agir et de prendre les temps à propos estans des plus excellens ingrediens qui entrent en la composition des operations et bon succez des entreprises.

Plus, lorsque les situations des pays et provinces, et les inclinations et humeurs des peuples d'icelles, auront esté bien reconnues par leurs dominateurs, ils doivent essayer de faire le semblable des Estats qui leur sont voisins, et autres avec lesquels ils peuvent avoir quelque chose à démesler.

Plus, faut considerer de quelle forme de gouvernement sont lesdits Estats, dautant qu'il faut diversement proceder avec ceux qui sont ou monarchique, ou aristocratique, ou democratique, ou pesle-mesle d'iceux.

Plus, ils doivent considerer que les choses de ce monde subsistent peu souvent en un mesme Estat ; et partant est-ce une grande prudence de mediter sur toutes mutations, et se tenir tousjours preparé pour remedier à icelles, et se souvenir que le droict et la raison interdisent beaucoup d'actions, que l'impetuosité, l'audace et la necessité contraignent de faire.

Plus, ils doivent essayer de sçavoir quelles sont toutes les dominations des autres roys et potentats, leurs scituations, estenduës, consistances, defauts, abondances, forces, foiblesses, interests, amitiez et association.

Plus, qu'ils essayent de connoistre quel est l'esprit d'un chacun d'iceux, quels sont ses desirs, ses esperances, et s'il est turbulent ou pacifique, pecunieux 6

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ou necessiteux, aymé ou hay de ses peuples, et sur tout des gens de guerre.

Plus, qu'ils scachent les diverses factions qui sont ou se forment entre leurs voisins, et à laquelle de toutes il leur peut estre le plus honeste, utile et honnorable de s'allier.

Plus, qu'ils usent d'une telle sorte de vie et conduite, qu'ils engendrent de bonnes opinions de leurs personnes et de leurs fortunes, fuyant tous vices enormes et actions honteuses.

Plus, qu'ils ne tesmoignent point de haines envenimées contre qui que ce puisse estre, mais d'estre tousjours disposez à toute honneste reconciliation.

Plus, qu'ils ne manquent jamais de secourir et d'assister ceux ausquels ils auront promis et juré amitié, sur tout lors qu'ils auront droit et raison, et qu'ils seront poursuivis en leurs honneurs et en leurs vies.

Plus, qu'ils ne forment jamais de hauts desseins ny de grandes entreprises, sans longues precedentes meditations, consultations de leurs plus certains et confidens amis, et en avoir balancé les utilitez avec les dommages qui s'en peuvent esperer ou apprehenher.

Plus, de tenir pour les meilleurs conseils ceux qui donnent de mediocres esperances de biens, lors qu'ils sont exempts de tous inconveniens et hasards.

Plus, qu'ils scachent que pour faciliter les hautes entreprises contre des potentats autant ou plus puissans qu'ils ne sauroient estre, ou se defendre de leurs attaquemens, il est bien dangereux d'entrer en une telle guerre ou de la soustenir seuls, et se souvenir qu'elles sont sujettes à de grandes dépences et à de bien tardifs profits et contentemens.

Plus, que les grandes dominations sont sujettes à de grands soins, sollicitudes et despences, tant pour leur manutention contre le dedans, que contre les envies, ombrages et jalousies du dehors.

Plus, que les possessions et encore plus les conquestes des Estats et seigneuries fort esloignées les unes des autres, et separées par de grands traits de terres et de mers, sont ordinairement sujettes à plus de despences qu'elles ne sont de revenu.

Plus, que tous grands potentats qui s'entrecraignent les uns les autres, se portent envie et ont des jalousies de leurs trop excessives puissances, doivent plustost penser à disperser les Estats des excessivement puissans et avides, et en faire profiter les plus foibles de leur association, qu'à se les approprier et d'en augmenter les leurs, et qu'ils ne sçauroient aussi bien faire sans se conciter leurs meilleurs amis pour ennemis.

Plus, que tous mediocres et foibles potentats qui sont avoisinez par plusieurs fort grands et puissans, doivent essayer de les tenir tous en bonne intelligence, et faire ce qu'ils pourront pour les empécher d'entrer en guerre, et, en tout cas, ne se declarer point plus pour l'un que pour l'autre, et se tenir en paix et amitié de toutes parts.

Plus, tous roys et potentats, lesquels par pretentions à mesmes seigneuries, envies et jalousies d'Estat, ne peuvent esviter d'estre en mauvaise intelligence, qu'ils n'esperent jamais de la pouvoir changer, diminuer ny alleger par aucuns traittez, accords alliances ny mariages que ce puisse estre, les alliances des supresmes grandeurs estans ordinairement

estouffées des interests d'Estat, qui sont la cause des causes et raison des raisons, que les sculs assaisonnemens proportionnels peuvent diminuer.

ami

Plus, tous roys et potentats fort puissans, par tiez, alliances et confederations desquels plusieurs autres moindres dominations se seront conjointes, doivent essayer à les tenir en bonne union, paix et amitié les unes avec les autres, travailler soigneusement à leurs reconciliations, lors que le besoin le requerra, sans jamais estimer que leurs divisions leur puissent estre advantageuses en quelque chose que ce soit, et, en tout cas, ne se jetter en aucune façon dans leurs partialitez, afin de ne devenir point suspects en leurs decisions et jugemens d'amiables compositeurs.

Plus, que tous roys et potentats dominent sur leurs propres sujets avec de telles esgalitez proportionnelles, qu'elles ne confondent point les qualitez ny les conditions des personnes, et facent paroistre à tous une equanamité, douceur et attrempance.

Plus, qu'ils scachent que toutes sortes de vertus et de sciences ne resident pas en un seul homme, et que ceux qui ont l'esprit vif, de fortes imaginations, et beaucoup d'inventions, manquent souvent de solidité et maturité de jugement pour faire le meilleur choix d'icelles.

Plus, qu'ils essayent de prendre une entiere connoissance des qualitez et capacitez, tant acquises que naturelles, de leurs plus qualifiez serviteurs, afin d'user de remunerations envers ceux de merite, et de reprehensions envers les autres.

Plus, de donner de l'employ à tous ceux qui en

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