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une autre dans les soins de l'économie, dans l'attention à un mari, l'application aux affaires de sa maison, l'éducation de ses enfants, l'établissement de sa famille. ] Parmi tant de troubles et d'empressements, presque toute votre liberté sera engagée : si vous y donnez quelque temps à Dieu, il faudra le dérober aux affaires. Dans la religion, elle est toute à vous; il n'y a heure, il n'y a moment que vous ne puissiez ménager, et le donner saintement à Dieu.

Toutefois, n'entrez pas témérairement dans une profession si relevée. L'Église, qui vous y voit avancer, vous arrête dès le premier pas : elle vous ordonne de vous éprouver, et d'exa

Telle est la liberté véritable; mais elle n'est pas au goût des hommes du siècle. Cette tranquillité leur est ennuyeuse, ce repos leur semble une léthargie ils exercent leur liberté d'une autre manière, par un mouvement éternel, errant dans le monde deçà et delà. Ils nomment liberté leur égarement; comme des enfants qui s'estiment libres, lorsque, s'étant échappés de la maison paternelle, où ils jouissoient d'un si doux repos, ils courent sans savoir où ils vont. Voilà la liberté des hommes du monde : une seule affaire ne leur suffit pas pour arrêter leur ame inquiète ; ils s'engagent volontairement dans une chaîne continuée de visites, de divertissements, d'occupations différentes, qui naissent perpé-miner votre vocation. Je vous ai dit, et il est tuellement les unes des autres ; ils ne se laissent pas un moment à eux parmi tant d'heures du meilleur temps, qu'ils s'obligent insensiblement à donner aux autres. Au milieu d'un tel embarras, il est vrai qu'ils se sentent quelquefois pressés: ils se plaignent de cette contrainte; mais, au fond, ils aiment cette servitude, et ils ne laissent pas de se satisfaire d'une image de liberté qui les flatte. Comme un arbre que le vent semble caresser, en se jouant avec ses feuilles et avec ses branches: bien que ce vent ne le flatte qu'en l'agitant, et le pousse tantôt d'un côté et tantôt d'un autre avec une grande inconstance; vous diriez toutefois que l'arbre s'égare, par la liberté de son mouvement: ainsi, dit le grand Augustin, encore que les hommes du monde n'aient pas de liberté véritable, étant toujours contraints de céder aux divers emplois qui les pressent; toutefois ils s'imaginent jouir d'un certain air de liberté et de paix, en promenant, deçà et delà, leurs desirs vagues et incertains: Tanquam oliva pendentes in arbore, ducentibus ventis, quasi quâdam libertate auræ perfruentes vago quodam desiderio suo '.

très vrai, que la vie que vous embrassez a, sans doute, de grands avantages, mais je ne puis vous dissimuler qu'elle a de grandes difficultés, pour celles qui n'y sont pas appelées. Éprouvez-vous donc sérieusement; et si vous ne sentez en vous-même un extrême dégoût du monde, une sainte et divine ardeur pour la perfection chrétienne: sortez, ma Sœur, de cette clôture, et ne profanez pas ce lieu saint. Que si Dieu, comme je le pense, vous a inspiré, par sa grace, le mépris des vanités de la terre, et un chaste desir d'être son Épouse, que tardez-vous de vous revêtir de l'habit que votre Époux vous prépare? et pourquoi vois-je encore sur votre personne tous les vains ornements du monde, c'est-à-dire, la marque de sa servitude? « Rejetez loin d'une » tête libre tout ce vain attirail, qui ne peut con» venir qu'à des esclaves: » Omnem hunc ornatús servitutem à libero capite depellite'.

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Et ne vous étonnez pas, si je dis que cet habit est la marque de sa servitude: car qu'est-ce que la servitude du siècle ? C'est un attachement aux soins superflus: c'est ôter le temps à la vérité pour le donner à la vanité. La nécessité et la puQuelle est, ma sœur, cette liberté qui ne nous deur ont fait autrefois les premiers habits; la permet pas de penser à nous, et qui, nous déro-bienséance s'en étant mêlée, elle y a ajouté quelbant tout notre temps, nous mène insensiblement à la mort, avant que d'avoir appris comment il faut vivre? Si c'est cette liberté que vous perdez, en vous jetant dans ce monastère, pouvez-vous y avoir regret? Au contraire, ne devez-vous pas rendre graces à Dieu d'une perte si fructueuse ? Si vous demeurez dans le siècle, il vous arrivera ce que dit l'apôtre : « Vous vous » y occuperez du soin des choses du monde, et » vous vous trouverez partagée et divisée: »> Sollicitus est quæ sunt mundi, et divisus est 2. Votre liberté sera divisée au milieu des soins de la terre une partie se perdra dans les visites;

1 In Ts. CXXXVI, n. 9, tom. IV, col. 1518.-2 I. Cor. VII. 35.

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ques ornements. La nécessité les avoit fait simples; la pudeur les faisoit modestes : la bienséance se contentoit de les faire propres ; mais la curiosité s'y étant jointe, la profusion n'a plus eu de bornes ; et pour orner un corps mortel, presque toute la nature travaille, presque tous les métiers suent, presque tout le temps s'y consume. Combien en a-t-on employé à ce vain ajustement qui vous environne! combien d'heures s'y sont écoulées! Et n'est-ce pas une servitude? Omnem hanc ornatûs servitutem à libero capite depellite.

Que dirai-je de la coiffure ? C'est ainsi que le

Tertull. de Cult. fem. lib. 11, n. 7.

monde prodigue les heures, c'est ainsi qu'il se joue du temps: ille prodigue jusqu'aux cheveux; c'est-à-dire, la chose la plus nécessaire, à la chose la plus inutile. La nature, qui ménage tout, jette łes cheveux sur la tête avec négligence, comme an excrément superflu. Ce que la nature regarde comme superflu, la curiosité en fait une affaire: elle devient inventive et ingénieuse, pour se faire une étude d'une bagatelle, et un emploi d'un amusement. N'ai-je donc pas raison de vous dire que ces superbes ornements du siècle, c'est l'habit de la servitude?

Venez donc, ma très chère Sœur, venez recevoir des mains de Jésus les ornements de la liberté. On changeoit autrefois d'habit à ceux que l'on vouloit affranchir ; et voici qu'on vous présente humblement au divin auteur de la liberté, afin qu'il lui plaise de vous dépouiller aujourd'hui de toutes les marques de votre esclavage. Qu'on ne trouble point, par des pleurs, une si sainte cérémonie ; que la tendresse de vos parents ne s'imagine pas qu'elle vous perde, lorsque Jésus-Christ vous prend en sa garde. Quoi, ce changement d'habit vous doit-il surprendre? Si le siècle jusqu'ici vous a habillée, doit-on vous envier le bonheur que Jésus-Christ vous revête à sa mode? Quittez, quittez donc ces vains ornements, et toute cette pompe étrangère. Recevez des mains de l'Église le dévot habit du grand saint Bernard; ou plutôt représentez-vous la main de Jésus invisiblement étendue : c'est lui qui vous environne de cette blancheur, pour être le symbole de votre innocence; c'est lui qui vous couvre de ce sacré voile, qui sera le rempart de votre pudeur, le sceau inviolable de votre retraite, la marque fidèle de votre obéissance.

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de s'être unie par ses alliances à tout ce que cette grande ville a de plus illustre. Encore que l'on ait vu vos prédécesseurs remplir les places les plus importantes, ne leur enviez pas la part qu'ils ont eue au gouvernement de l'Etat ; mais tâchez de leur succéder en la grace que Dieu leur a faite, de se bien gouverner eux-mêmes. Quel honneur ferez-vous, ma Sœur, à ceux qui vous ont donné la naissance, en purifiant tous les jours, par la perfection religieuse, ces excellentes dispositions qu'une bonne naissance vous a transmises; qu'une sage éducation et l'exemple de la probité, qui luit de toutes parts dans votre famille, ont si heureusement cultivées!

* Qui pourroit rapporter les lois importunes que le monde s'est imposées ? Premièrement il nous accable d'affaires qui consument tout notre loisir; comme si nous n'avions pas nous-mêmes une affaire assez importante, [ dans cette application que nous devons donner] à régler les mouvements de nos ames! Combien dérobe-t-il tous les jours aux personnes de votre sexe du temps qu'elles emploieroient à orner leur esprit, par le soin inutile de parer le corps! Combien de sortes d'occupations a-t-il enchaînées les unes aux autres ! quel commerce de visites, quels détours de cérémonies a-t-il inventés, pour nous tenir dans un mouvement éternel, qui ne nous laisse presque pas un moment à nous, et dont le monde ne cesse de se plaindre ! Quelle liberté peut-on concevoir dans cette cruelle nécessité de perdre le temps, qui nous est donné pour l'éternité, par tant d'occupations inutiles qui nous font insensiblement venir à la mort, avant que d'avoir appris comment il faut vivre ?

Et cette autre nécessité qu'on s'impose, de se faire considérer dans le monde n'est-ce pas encore une servitude qui nous rend esclaves de ceux auxquels nous sommes obligés de plaire; qui nous assujettit au Qu'en dira-t-on, et à tant de circonspections importunes; qui nous fait vivre tout pour les autres, comme si nous ne devions pas enfin mourir pour nous-mêmes ? Quelle folie, quelle illusion, de s'établir cette dure loi de faire toujours une vie publique, puisqu'enfin

Mais, en vous dépouillant des habits du siècle, dépouillez-vous aussi au dedans de toutes les vanités de la terre. Ne vous laissez pas éblouir au faux brillant que jette aux yeux la grandeur hu- | maine songez que les soins, les inquiétudes, et encore le dépit et le chagrin, ne laissent pas souvent de nous dévorer sous l'or et les pierreries; et que le monde est plein de grands et illustres malheureux que tous les hommes plain-nous devons tous faire une fin privée! droient, si l'ignorance et l'aveuglement ne les faisoient juger dignes d'envie. Réjouissez-vous donc saintement en votre innocente simplicité, qui donnera plus de lustre à votre famille que toutes les grandeurs de la terre. Car s'il est glorieux à votre maison d'avoir mérité tant d'honneurs, c'est un nouveau degré d'élévation de les savoir mépriser généreusement; et je la trouve bien mieux établie de s'étendre si avant, par votre moyen, jusque dans la maison de Dieu, que

Au milieu de tant de captivités, les hommes du siècle s'estiment libres: et parmi toutes ces lois et toutes ces contraintes du monde [ils nous vantent leur indépendance]. Mais vous, ma Sœur, vous êtes libre pour Jésus-Christ: son sang vous a acheté la liberté; ne vous rendez point esclave des hommes, mais sacrifiez votre liberté

Bossuet a composé ce qui suit, jusqu'à la fin du discours. pour donner une nouvelle forme au troisième point de son sermon. (Edit. de Déforis,)

et quand l'ame sera dans le ciel, le corps ne souffrira rien sur la terre. Promenez-vous en esprit, et ne cherchez point pour cela de longues allées : entrez par la magnifique étendue du chemin qui conduit à Dieu ; que tous les autres vous soient fermés vous serez toujours assez libre, pourvu que celui-ci soit ouvert pour vous; et tant que vous marcherez dans les voies de Dieu, vous ne serez jamais resserrée. Ne tenez votre liberté que de Jésus-Christ; n'ayez que celle qu'il vous présente, et vous serez véritablement affranchie : parceque sa main puissante vous délivrera, premièrement, de la tyrannie du péché, par les saintes précautions de la discipline religieuse, par lesquelles vous tâchez de vous imposer cette heureuse nécessité de ne pécher plus; puis de celle des passions et des convoitises, par la mortification et la pénitence, par laquelle vous dompterez les maux qui vous flattent, et vous sanctifierez les maux qui vous blessent; et enfin de toutes ces lois importunes que le monde s'est imposées par ses bienséances imaginaires, qui ne nous permettent pas de vivre à nous-mêmes, ni de profiter du temps pour l'éternité. Telle sera votre liberté dans le siècle, jusqu'à temps que le Fils de Dieu, surmontant en vous la corruption et la mort, vous rendra parfaitement libre dans la bienheureuse immortalité. Amen.

à Jésus-Christ seul: Pretio empti estis, nolite | prit est libre: il peut aller jusqu'auprès de Dieu; fieri servi hominum '. Que si le monde a ses contraintes, que je vous trouve heureuse, ma Sœur, vous qui, estimant trop votre liberté pour la soumettre aux lois de la terre, professez hautement que vous ne voulez vous captiver que pour l'amour de celui qui, étant le maître de toutes choses, s'est rendu esclave pour nous, afin de nous tirer de la servitude! Dépouillez donc courageusement, dépouillez, avec cet habit séculier, toute la servitude du monde ; rompez toutes ses chaînes, et oubliez toutes ses caresses: il vous offroit des fleurs; mais le moindre vent les auroit séchées : votre éducation et votre naissance vous promettoient de grands avantages; mais la mort vous les auroit enfin enlevés. Ne songez plus, ma Sœur, à ce que vous étiez dans le siècle, si ce n'est pour vous élever au-dessus; et apprenez de saint Bernard votre père, que la religieuse qui s'en souvient trop « ne dépouille pas le vieil homme, » mais le déguise par le masque du nouveau : » Veterem hominem non exuit, sed novo palliat 2. Que vous sert de voir votre race ornée par la noblesse des croix de Malte, et par la majesté des sceaux de France, qui ont été avec tant d'éclat dans votre maison? Que vous sert d'être née d'un père qui a rempli si glorieusement la première place dans l'un de nos plus augustes sénats; plus encore par l'autorité de sa vertu, que par celle de sa dignité? Que vous sert tant de pourpre qui brille de toutes parts dans votre famille? En ce dernier jugement de Dieu, où nos consciences seront découvertes, vous ne serez pas estimée par ces ornements étrangers, mais par ceux que vous aurez acquis par vos bonnes œuvres : tellement que vous ne devez retenir de ce que vous avez vu dans votre maison, que les exemples de probité que l'on y admire, et dans lesquels vous avez été si bien élevée.

Et que l'on ne croie pas qu'en quittant le monde, vous ayez aussi quitté les plaisirs : vous ne les quittez pas; mais vous les changez. Ce n'est pas les perdre, ma Soeur, que de les porter du corps à l'esprit, et des sens dans la conscience. Que s'il y a quelque austérité dans la profession que vous embrassez, c'est que votre vie est une milice, où les exercices sont laborieux, parcequ'ils sont forts, et où plus on se durcit au travail, plus on espère de remporter de victoires. Mesurez la grandeur de votre victoire, par la dureté de votre fatigue. Votre corps est renfermé, mais l'es

I. Cor. VII, 23. · -In Cant. Serm. XVI, n. 9, tom. 1, col. 1315.

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SERMON

PRECHE

A LA VÉTURE D'UNE POSTULANTE

BERNARDINE.

Comment l'homme, par son péché, est-il devenu l'esclave de toutes les créatures. Trois lois qui captivent dans le monde ses amateurs. Avec quelle justice l'homme est abandonné à l'illusion des biens apparents. Combien fausse et chimérique la liberté dont se vantent les pécheurs. En quoi consiste la liberté véritable. Toute la conduite et tous les exercices de la vie religieuse, destinés à la procurer ou

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Et après cela ne dirons-nous pas que ce monde n'est qu'une prison, qui a autant de captifs qu'il a d'amateurs? De sorte que vous tirer du monde, c'est vous tirer des fers et de l'esclavage; et la clôture où vous vous jetez n'est pas, comme les hommes se le persuadent, une prison où votre liberté soit contrainte, mais un asile for

point des persécuteurs qui l'amènent : elle | toute vaine qu'elle est, éblouit ses yeux; le vient, touchée du mépris du monde ; et sachant charme de l'espérance lui ôte la vue; en un qu'elle a une chair qui, par la corruption de notre mot, tout le monde semble n'avoir d'agrément nature, est devenue un empêchement à l'esprit, que pour l'engager dans sa servitude par une elle s'en veut rendre elle-même la persécutrice affection déréglée. par la mortification et la pénitence. La tendresse d'une bonne mère n'a pas été capable de la rappeler aux douceurs de ses embrassements : elle a surmonté les obstacles que la nature tâchoit d'opposer à sa généreuse résolution; et l'alliance spirituelle, qu'elle a contractée avec vous par le Saint-Esprit, a été plus forte que celle du sang. Elle préfère la blancheur de saint Ber-tifié où votre liberté se défend contre ceux qui nard à l'éclat de la pourpre, dans laquelle nous pouvons dire qu'elle a pris naissance; et la pauvreté de Jésus-Christ lui plaît plus que les richesses dont le siècle l'auroit vue parée. Bien qu'elle sache qu'aux yeux des mondains un monastère est une prison; ni vos grilles, ni votre clôture ne l'étonnent pas : elle veut bien renfermer son corps, afin que son esprit soit libre à son Dieu; et elle croit, aussi bien que Tertullien1 : que comme le monde est une prien sortir c'est la liberté.

son,

Et certes, ma très chère Sœur, il est véritable que, depuis la rebellion de notre nature, tout le monde est rempli de chaînes pour nous. Tant que l'homme garda l'innocence que son Créateur lui avoit donnée, il étoit le maître absolu de tout ce qui se voit dans le monde : maintenant il en est l'esclave, son péché l'a rendu captif de ceux dont il étoit né souverain. Dieu lui dit dans l'innocence des commencements: Commande à toutes les créatures: Subjicite terram; dominamini piscibus maris, et volatilibus cœli, et universis animantibus 2: « As>> sujettis-toi la terre, et domine sur les poissons » de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tous >> les animaux ; » au contraire depuis sa rebellion: Garde-toi de toutes les créatures. Il n'y en a point dans le monde qui ne croie qu'elle le doit avoir pour sujet, depuis qu'il ne l'est plus de son Dieu : c'est pourquoi les unes vomissent, pour ainsi dire, contre lui tout ce qu'elles ont de malignité; et si les autres montrent leurs appas, ou étalent leurs ornements, c'est dans le dessein de lui plaire trop, et de lui ravir, par cet artifice, tout ce qui lui reste de liberté. Les créatures, dit le Sage, sont autant de piéges tendus de toutes parts à l'esprit de l'homme. L'or et l'argent lui sont des liens, desquels son cœur ne peut se déprendre ; les beautés mortelles l'entraînent captif, le torrent des plaisirs l'emporte; cette pompe des honneurs mondains,

1 Ad Mart. n. 2. -? Genes. 1. 28. — 3 Sap. XIV. 11.

s'efforcent de l'opprimer : c'est ce que je me propose de vous faire entendre, avec le secours de la grace. Mais, afin que nous voyions éclater la vraie jouissance de la liberté dans les maisons des vierges sacrées, distinguons, avant toutes choses, trois sortes de captivités dans le monde. Il y a dans le siècle trois lois qui captivent : il y a, premièrement, la loi du péché; après, celle des passions et des convoitises; et la troisième est celle que le siècle nomme la nécessité des affaires, et la loi de la bienséance mondaine. Et en premier lieu, le péché est la plus infâme des servitudes, où la lumière de la grace étant tout éteinte, l'ame est jetée dans un cachot ténébreux, où elle souffre, de la violence du diable, tout ce que souffre une ville prise, de la rage d'un ennemi implacable et victorieux. Que les passions nous captivent, c'est ce qui paroît par l'exemple d'un riche avare qui ne peut retirer son ame engagée parmi ses trésors, et parceque Dieu défend aux Israélites d'épouser des femmes idolâtres, de peur, dit-il ', qu'elles n'amollissent leurs cœurs et les entraînent après des dieux étrangers. Et d'où vient cela, Chrétiens, si ce n'est que les passions ont certains liens invisibles, qui tiennent nos volontés asservies?

Mais j'ose dire que le joug le plus empêchant que le monde impose à ceux qui le suivent, c'est celui de l'empressement des affaires, et la bienséance du monde. C'est là ce qui nous dérobe le temps, c'est là ce qui nous dérobe à nous-mêmes; c'est ce qui rend notre vie tellement captive, dans cette chaîne continuée de visites, de divertissements, d'occupations, qui naissent perpétuellement les unes des autres, que nous n'avons pas la liberté de penser à nous. Oservitude cruelle et insupportable, qui ne nous permet pas de nous regarder! c'est ainsi que vivent les enfants du siècle. Parmi tant de servitudes diverses, nous nous imaginons être libres.

■ Exod. XXXIV. 16.

De quelque liberté que nous nous flattions, ja- | l'effusion de nos cœurs, que nul pécheur ne

mais nous ne serons vraiment libres, jusqu'à ce que le Fils de Dieu nous ait délivrés.

Mais qui sont ceux qui seront plus tôt délivrés par votre toute puissante bonté, ô miséricordieux Sauveur des hommes, si ce n'est ces ames pures et célestes, qui ont tout quitté pour 'amour de vous? C'est donc vous, mes très chères Sœurs, c'est vous que je considère comme vraiment libres; parceque le Fils vous a délivrées de la triste servitude qu'on voit dans le monde, du péché, des passions, de l'empressement. Le péché doit être exclu du milieu de vous, par l'ordre et la discipline religieuse; les passions y perdent leur force, par l'exercice de la pénitence; la loi de la prétendue bienséance, que la vanité humaine s'impose, n'y est pas reçue, par le mépris qu'on y fait du monde; et ainsi l'on y peut jouir pleinement de la liberté bienheureuse que le Fils de Dieu a rendue à l'homme: Si vos Filius liberaverit, verè liberi eritis. C'est ce que j'espère vous faire entendre aujourd'hui, avec le secours de la grace.

PREMIER POINT.

C'est une juste punition de Dieu, que l'homme après avoir méprisé la solide possession des biens véritables, que son Créateur lui avoit donnés, soit abandonné à l'illusion des biens apparents. Les plaisirs du paradis ne lui ont pas plu; il sera captif des plaisirs trompeurs qui mènent les ames à la perdition: il ne s'est pas voulu contenter de l'espérance de l'immortalité bienheureuse, il se repaîtra d'espérances vaines, que souvent le mauvais succès, et toujours la mort, rendra inutiles: il n'a point voulu de la liberté qu'il avoit reçue de son Souverain; il se plaira dans la liberté imaginaire, que sa raison volage lui a figurée. Justement, certes justement, Seigneur car il est juste que ceux-là n'aient que de faux plaisirs, qui ne veulent pas les recevoir de vos mains; qu'ils n'aient qu'une fausse liberté, puisqu'ils ne veulent pas la tenir de vous; et enfin qu'ils soient livrés à l'erreur, puisqu'ils ne se contentent pas de vos vérités. En effet, considérons, mes très chères Sœurs, quelle image de liberté se proposent ordinairement les pécheurs. Qu'elle est fausse, qu'elle est ridicule, qu'elle est, si je puis parler ainsi, chimérique! Écoutons-les parler, et voyons de quelle liberté ils se vantent. Nous sommes libres, nous disent-ils, nous pouvons faire ce que nous voulons. Mes Sœurs, examinons leurs pensées, et nous verrons combien ils se trompent, et nous confesserons devant Dieu, dans

peut être libre, que tous les pécheurs sont captifs. Tu peux faire ce que tu veux, et de là tu conclus: Je suis libre. Et moi je te réponds, au contraire: Tu ne peux pas faire ce que tu veux; et quand tu le pourrois, tu n'es pas libre. Montrons premièrement aux pécheurs qu'ils ne peuvent pas ce qu'ils veulent.

Et certainement nous pourrions leur dire qu'ils ne peuvent pas ce qu'ils veulent, puisqu'ils ne peuvent pas empêcher que leur fortune ne soit inconstante, que leur félicité ne soit fragile, que ce qu'ils aiment ne leur échappe; que la vie ne leur manque comme un faux ami, au milieu de leurs entreprises, et que la mort ne dissipe toutes leurs pensées. Nous pourrions leur dire véritablement qu'ils ne peuvent pas ce qu'ils veulent, puisqu'ils ne peuvent pas empêcher qu'ils ne soient trompés dans leurs vaines prétentions. Ou ils les manquent, ou elles leur manquent ils les manquent, quand ils ne parviennent pas à leur but; elles leur manquent, quand, obtenant ce qu'ils veulent, ils n'y trouvent pas ce qu'ils cherchent. C'est ainsi que nous pouvons montrer aux pécheurs qu'ils ne peuvent pas ce qu'ils veulent.

Mais pressons-les de plus près encore ; et déplorons l'aveuglement de ces malheureux qui se vantent de leur liberté, pendant qu'ils gémissent dans un si honteux esclavage. Ah! les misérables captifs, ils ne peuvent pas ce qu'ils veulent le plus; ce qu'ils détestent le plus, il faut qu'il arrive. Que prétendez-vous, ô pécheur, dans ces plaisirs que vous recherchez, dans ces biens que vous amassez par des voleries; que prétendez-vous ? Je veux être heureux. Et quoi, heureux, même malgré Dieu? Insensé, qui vous imaginez avoir aucun bien contre la volonté du souverain bien; digne, certes, qu'on dise de vous ce que nous lisons dans les Psaumes: « Voila >> l'homme qui n'a pas mis son secours en Dieu, >> mais qui a espéré dans la multitude de ses ri» chesses, et s'est plu dans sa vanité '. » Mais non seulement vous ne pouvez obtenir ce que vous avez le plus desiré : ce que vous détestez le plus, il faut qu'il arrive; cette justice divine qui vous poursuit, ces étangs de feu et de soufre, ce grincement de dents éternel: car quelle force vous peut arracher des mains toutes-puissantes de Dieu, que vous irritez par vos crimes, et dont vous attirez sur vous les vengeances?

Telle est la liberté de l'homme pécheur : malheureux, qui, croyant faire ce qu'il veut, attire

'Ps. Ll. 9,

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