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>> exemple à la postérité, pendant que nous aimons | tiennent plus sujet qu'auparavant, que n'a-t-il >> mieux abandonner notre liberté, que d'irriter » un seul homme par la moindre offense. Son >> esprit est violent, dit-on, et ses mouvements » sont impétueux; comme si cette violence ne » s'emportoit pas davantage, pendant que tout » le monde ne songe qu'à lui complaire en tout. >> Osons une fois pousser du moins un gémisse>>ment libre. >>

Combien est-on captif quand on ne peut pas même gémir en liberté! On est quelquefois de mauvaise humeur, je l'avoue; quoiqu'un des premiers et des moindres effets de la vertu soit de se vaincre soi-même sur cette inégalité : mais que peut-on espérer quand un homme, et encore un homme qui n'a pas plus d'autorité ni peut-être plus de savoir que les autres, ne veut rien entendre, et qu'il faut que tout passe à son mot?

Melanchton n'eut rien à répondre à ces justes plaintes, et lui-même n'en pensoit pas moins que les autres. Ceux qui vivoient avec Luther ne savoient jamais comment ce rigoureux maitre prendroit leurs sentiments sur la doctrine. Il les menaçoit de nouveaux formulaires de foi, principalement au sujet des sacramentaires, dont on accusoit Melanchton de nourrir l'orgueil par sa douceur. On se servoit de ce prétexte pour aigrir Luther contre lui, ainsi que son ami Camerarius l'écrit dans sa vie '. Melanchton ne savoit point d'autre remède à ces maux que celui de la fuite; et son gendre Peucer nous apprend qu'il y étoit résolu 2. Il écrit lui même que Luther s'emporta si violemment contre lui, sur une lettre reçue de Bucer, qu'il ne songeoit qu'à se retirer éternellement de sa présence 3. Il vivoit dans une telle contrainte avec Luther, et avec les chefs du parti, et on l'accabloit tellement de travail et d'inquiétude, qu'il écrivit, n'en pouvant plus, à son ami Camerarius : « Je suis, » dit-il, en servitude comme dans l'antre du » cyclope; car je ne puis vous déguiser mes sen» timents, et je pense souvent à m'enfuir. » Luther n'étoit pas le seul qui le violentoit. Chacun est maître à certains moments, parmi ceux qui se sont soustraits à l'autorité légitime; et le plus modéré est toujours le plus captif.

cet

Quand un homme s'est engagé dans un parti pour dire son sentiment avec liberté, et que appât trompeur l'a fait renoncer au gouvernement établi; s'il trouve après que le joug s'appesantisse, et que non seulement le maitre qu'il aura choisi, mais encore ses compagnons, le

▲ Com. in vit. Phil. Mel. - Peuc. ep. ad vit. T eod. Hosp. p. 2. f. 193 et seq. 3 Mel. lib. w. ep. 315. - Lib. IV,

253.

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point à souffrir? et faut-il nous étonner des lamentations continuelles de Melanchton? Non, Melanchton n'a jamais dit tout ce qu'il pensoit sur la doctrine, pas même quand il écrivoit à Augsbourg sa Confession de foi et celle de tout le parti. Nous avons vu qu'il accommodoit ses dogmes à l'occasion: il étoit prêt à dire beaucoup de choses plus douces, c'est-à-dire, plus approchantes des dogmes reçus par les catholiques, si ses compagnons l'avoient permis. Contraint de tous côtés, et plus encore de celui de Luther que de tout autre, il n'ose jamais parler, et se réserve à de meilleurs temps, s'il en vient ditil 2, qui soient propres aux desseins que j'ai dans l'esprit. C'est ce qu'il écrit en 1537 dans l'assemblée de Smalcalde, où on dressa les articles dont nous venons de parler. On le voit cinq ans après, et en 1542, soupirer encore après une assemblée libre du parti *, où l'on explique la doctrine d'une manière ferme et précise. Encore après, et vers les dernières années de sa vie, il écrit à Calvin et à Bulinger, qu'on devoit écrire contre lui sur le sujet de l'eucharistie et de l'adoration du pain : c'étoit des luthériens qui devoient faire ce livre : S'ils le publient, disoitil, je parlerai franchement. Mais ce meilleur temps, ce temps de parler franchement,et de déclarer sans crainte ce qu'il appeloit la vérité, n'est jamais venu pour lui; et il ne se trompoit pas quand il disoit que, de quelque sorte que tournussent les affaires, jamais on n'auroit la liberté de parler franchement sur les dogmes 5. Lorsque Calvin et les autres l'excitent à dire ce qu'il pense, il répond comme un homme qui a de grands ménagements, et qui se réserve toujours à expliquer de certaines choses, que néanmoins on n'a jamais vues: de sorte qu'un des maitres principaux de la nouvelle réforme, et celui qu'on peut dire avoir donné la forme au luthéranisme, est mort sans s'ètre expliqué pleinement sur les controverses les plus importantes de son temps.

C'est que durant la vie de Luther il falloit se taire. On ne fut pas plus libre après sa mort. D'autres tyrans prirent la place. C'étoit Illyric, et les autres qui menoient le peuple. Le malheureux Melanchton se regarde au milieu des luthériens ses collègues, comme au milieu de ses ennemis, ou, pour me servir de ses mots, comme au milieu de guêpes furieuses, et n'espère trouver de sincérité que dans le ciel 1. Je voudrois

'Ci-dessus. liv. 11, — Lib. iv. ep. 204.—3 L'b. 1. ep. 110. col. 147 4 - Ep. Mol. inter Calv. ep. p. 218, 236. — Lib. IV, ep. 136. - Ep. Mel. int. Culv. ep. p. 199. Calv. resp. 211, -Mel. epist. ad Calv. inter Calv. epist. p. 144.

» qui ne prenons aucun soin de guérir les con⚫ » sciences agitées de doutes, ni d'expliquer les » dogmes purement et simplement, sans sophis»terie? Ces choses me tourmentent terrible»ment. » Il souhaite, dans la même année, « qu'une assemblée pieuse juge le procès de » l'eucharistie sans sophisterie et sans tyran

qu'il me fût permis d'employer le terme de démagogue, dont il se sert : c'étoit, dans Athènes et dans les états populaires de la Grèce, certains orateurs qui se rendoient tout puissants sur la populace, en la flattant. Les Églises luthériennes étoient menées par de semblables discoureurs : «gens ignorants, selon Melanchton', qui ne connoissoient ni piété, ni discipline.» nie '. Il juge donc la chose indécise; et » Voilà, dit-il, ceux qui dominent; et je suis » comme Daniel parmi les lions. » C'est la peinture qu'il nous fait des Églises luthériennes. On tomba de là dans une anarchie, c'est-à-dire, comme il dit lui-même 2, dans un état qui enferme tous les maux ensemble: il veut mourir, et ne voit plus d'espérance qu'en celui qui avoit promis de soutenir son Eglise, même dans sa vieillesse, et jusqu'à la fin des siècles. Heureux, s'il avoit pu voir: qu'il ne cesse donc jamais de la soutenir !

cinq ou six manières d'expliquer cet article, que nous trouvons dans la Confession d'Augsbourg et dans l'apologie, ne l'ont pas contenté. En 1536, accusé de trouver encore beaucoup de doutes dans la doctrine dont il faisoit profession, il répond d'abord qu'elle est inébranlable 2; car il falloit bien parler ainsi, ou abandonner la cause. Mais il fait connoître aussitôt après, qu'en effet il y restoit beaucoup de défauts: il ne faut pas oublier qu'il s'agissoit de doctrine. Melanchton rejette ces défauts sur les vices et sur l'opiniâtreté des ecclésiastiques, « par lesquels il est ar» rivé, dit-il, qu'on laisse parmi nous aller les » choses comme elles pouvoient, pour ne rien » dire de pis; qu'on y est tombé en beaucoup de » fautes, et qu'on y fit au commencement beau» coup de choses sans raison. » Il reconnoît le désordre; et la vaine excuse qu'il cherche, pour rejeter sur l'Église catholique les défauts de sa religion, ne le couvre point. Il n'étoit pas plus avancé en 1537, et durant que tous les docteurs du parti, assemblés avec Luther à Smalcalde, y expliquoient de nouveau les points de doctrine, ou plutôt qu'ils y souscrivoient aux décisions de Luther. « J'étois d'avis, dit-il 3, qu'en » rejetant quelques paradoxes on expliquât plus » simplement la doctrine : » et encore qu'il ait souscrit, comme on a vu, à ces décisions, il en fut si peu satisfait, qu'en 1542 nous l'avons vu « souhaiter encore une autre assemblée, où les » dogmes fussent expliqués d'une manière ferme

C'est à quoi on se devoit arrêter : et puisqu'il en falloit enfin revenir aux promesses faites à l'Église, Melanchton n'avoit qu'à considérer qu'elles devoient avoir toujours été autant inébraulables dans les siècles passés, qu'il vouloit croire qu'elles le seroient dans les siècles qui ont suivi la réformation. L'Église luthérienne n'avoit point d'assurance particulière de son éternelle durée; et la réformation faite par Luther ne devoit pas demeurer plus ferme que la première institution faite par Jésus-Christ et par ses apôtres. Comment Melanchton ne voyoit-il pas que la réforme, dont il vouloit qu'on changeât tous les jours la foi, n'étoit qu'un ouvrage humain? Nous avons vu qu'il a changé et rechangé beaucoup d'articles importants de la Confession d'Augsbourg, après même qu'elle a été présentée à l'empereur 3. Il a aussi ôté en divers temps beaucoup de choses importantes de l'apologie, encore qu'elle fût souscrite de tout le parti avec autant de soumission que la Confes-» et précise *. » Trois ans après, et en 1545, il sion d'Augsbourg. En 1532, après la Confession reconnoît encore que la vérité avoit été découd'Augsbourg et l'apologie, il écrit encore « que verte fort imparfaitement aux prédicateurs du » des points très importants restent indécis, et nouvel Évangile. « Je prie Dieu, dit-ll 5, qu'il » qu'il falloit chercher sans bruit les moyens » fasse fructifier cette telle quelle petitesse de » d'expliquer les dogmes *. Que je souhaite, » doctrine qu'il nous a montrée. » Il déclare que » dit-il, que cela se fasse, et se fasse bien! » pour lui il a fait tout ce qu'il a pu. « La volonté, comme un homme qui sentoit en sa conscience » dit-il, ne m'a pas manqué; mais le temps, les que rien jusqu'alors ne s'étoit fait comme il faut. » conducteurs et les docteurs. » Mais quoi! son En 1533 : « Qui est-ce qui songe, dit-il 5, à gué- maître Luther, cet homme qu'il avoit cru sus>> rir les consciences agitées de doutes, et à dé- cité de Dieu pour dissiper les ténèbres du mon» couvrir la vérité? » En 1535 : « Combien, de, lui manquoit-il? Sans doute il se fondoit » dit-il, méritons-nous d'être blâmés, nous peu sur la doctrine d'un tel maître, quand il se plaint si amèrement d'avoir manqué de docteur.

Lib. IV. ep. 836, 842, 845. 2 Ibid. et l. 1. ep. 107, iv, 76 786, etc.- Voy, ci-dessus, liv, III.--^ Z. IV. ep. 133.— ' Ibid. ep. 140.- Ibid. e .ep. 170.

Zib. 1. ep. 144. 2 Lib. IV. ep. 194. — Ibid, ep. 98. Lib. 1, ep. 140. — • Lib. IV. ep. 662,

En effet, après la mort de Luther, Melanchton, qui en tant d'endroits lui donne tant de louanges, écrivant confidemment à son ami Camerarius, se contente de dire assez froidement, qu'il a du moins bien expliqué quelque partie de la doctrine céleste '. Un peu après, il confesse que lui et les autres sont tombés dans beaucoup d'erreurs, qu'on ne pouvoit éviter en sortant de tant de ténèbres 2, et se contente de dire que plusieurs choses ont été bien expliquées; ce qui s'accorde parfaitement avec le desir qu'il avoit qu'on expliquât mieux les autres. On voit, dans tous les passages que nous avons rapportés, qu'il s'agit de dogmes de foi; puisqu'on y parle partout de décisions, et de décrets nouveaux sur la doctrine. Qu'on s'étonne maintenant de ceux qu'on appelle chercheurs en Angleterre. Voilà Melanchton lui-même qui cherche encore beaucoup d'articles de sa religion, quarante ans après la prédication de Luther, et l'établissement de sa réforme.

Si l'on demande quels étoient les dogmes que Melanchton prétendoit mal expliqués, il est certain que c'étoit les plus importants. Celui de l'eucharistie étoit du nombre. En 1553, après tous les changements de la Confession d'Augsbourg, après les explications de l'apologie, après les articles de Smalcalde, qu'il avoit signés, il demande encore une nouvelle formule pour la cène 3. On ne sait pas bien ce qu'il vouloit mettre dans cette formule; et il paroit seulement que ni celles de son parti, ni celles du parti contraire, ne lui plaisoient, puisque, selon lui, les uns et les autres ne faisoient qu'obscurcir la matière *.

Un autre article, dont il souhaitoit la décision, étoit celui du libre arbitre, dont les conséquences influent si avant dans les matières de la justification et de la grace. En 1548, il écrit à Thomas Cranmer, cet archevêque de Cantorbéri qui jeta le roi son maître dans l'abîme par ses complaisances : « Dès le commencement, dit-il, les » discours qu'on a faits parmi nous sur le libre » arbitre, selon les opinions des stoïciens, ont » été trop durs, et il faut songer à faire quelque » formule sur ce point, » Celle de la Confession d'Augsbourg, quoiqu'il l'eût lui-même dressée, ne le contentoit plus : il commençoit à vouloir que le libre arbitre agit non seulement dans les devoirs de la vie civile, mais encore dans les opérations de la grace, et par son secours. Ce n'étoit pas là les idées qu'il avoit reçues de Luther, niceque Melanchton lui-même avoit expliqué à

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Augsbourg. Cette doctrine lui suscita des contradicteurs parmi les protestants. Il se préparoit à une vigoureuse défense, quand il écrivoit à un ami; S'ils publient leurs disputes stoïciennes (touchant la nécessité fatale, et contre le franc arbitre) je répondrai très gravement et très doctement'. Ainsi, parmi ses malheurs, il ressent le plaisir de faire un beau livre, et persiste dans sa croyance, que la suite nous découvrira davantage.

On pourroit marquer d'autres points dont Melanchton desiroit la décision long-temps après la Confession d'Augsbourg. Mais ce qu'il y a de plus étrange, c'est que pendant qu'il sentoit en sa conscience, et qu'il avouoit à ses amis, lui qui l'avoit faite, la nécessité de la réformer en tant de chefs importants, lui-même, dans les assemblées qui se faisoient en public, il ne cessoit de déclarer, avec tous les autres, qu'il s'en tenoit précisément à cette Confession, telle qu'elle fut présentée dans la diète d'Augsbourg; et à l'apologie, comme à la pure explication de la parole de Dieu 2. La politique le vouloit ainsi; et c'eût été trop décrier la réformation, que d'avouer qu'elle eût erré dans son fondement.

Quel repos pouvoit avoir Melanchton durant ces incertitudes? Le pis étoit qu'elles venoient du fond même et pour ainsi dire de la constitution de son Église, en laquelle il n'y avoit point d'autorité légitime, ni de puissance réglée. L'autorité usurpée n'a rien d'uniforme elle pousse ou se relâche sans mesure. Ainsi la tyrannie et l'anarchie s'y font sentir tour à tour, et on ne sait à qui s'adresser pour donner une forme certaine aux affaires.

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Un défaut si essentiel, et en même temps si inévitable dans la constitution de la nouvelle réforme, causoit des troubles extrêmes au malheureux Melanchton. S'il naissoit quelques questions, il n'y avoit aucun moyen de les terminer. Les traditions les plus constantes étoient méprisées. L'Écriture se laissoit tordre et violenter à qui le vouloit. Tous les partis croyoient l'entendre: tous publioient qu'elle étoit claire. Personne ne vouloit céder à son compagnon. Melanchton crioit en vain qu'on s'assemblât pour terminer la querelle de l'eucharistie, qui déchiroit la réforme naissante, Les conférences qu'on appeloit amiables n'en avoient que le nom, et ne faisoient qu'aigrir les esprits, et embarrasser les affaires. Il falloit une assemblée juridique, un concile qui eût pouvoir de déterminer, et auquel les peuples se soumissent. Mais où le prendre dans la nouvelle réforme? La mémoire des évêques méprisés

Lib. 11. ep. 200. — 2 Lib. 1, 56, 70, 76.

y étoit encore trop récente : les particuliers qu'on voyoit occuper leurs places n'avoient pas pu se donner un caractère plus inviolable. Aussi vouloient-ils de part et d'autre, luthériens et zuingliens, qu'on jugeât de leur mission par le fond. Celui qui disoit la vérité avoit, selon eux, la mission légitime. C'étoit la difficulté de savoir qui la disoit cette vérité, dont tout le monde se fait honneur; et tous ceux qui faisoient dépendre leur mission de cet examen la rendoient douteuse. Les évêques catholiques avoient un titre certain, et il n'y avoit qu'eux dont la vocation fut incontestable. On disoit qu'ils en abusoient; mais on ne nioit point qu'ils ne l'eussent. Ainsi Melanchton vouloit toujours qu'on les reconnût; toujours il soutenoit qu'on avoit tort de ne rien accorder à l'ordre sacré 1. Si on ne rétablissoit leur autorité, il prévoyoit avec une vive et inconsolable douleur, que « la discorde seroit éter» nelle, et qu'elle seroit suivie de l'ignorance, » de la barbarie, et de toute sorte de maux. >> Il est bien aisé de dire, comme font nos réformés, qu'on a une vocation extraordinaire; que l'Église n'est pas attachée comme les royaumes à une succession établie, et que les matières de religion ne se doivent pas juger en la même forme que les affaires sont jugées dans les tribunaux. Le vrai tribunal, dit-on, c'est la conscience, où chacun doit juger des choses par le fond, et entendre la vérité par lui-même : ces choses, encore une fois, sont aisées à dire. Melanchton les disoit comme les autres 2; mais il sentoit bien dans sa conscience, qu'il falloit quelque autre principe pour former l'Église. Car aussi pourquoi seroit-elle moins ordonnée que les empires? pourquoi n'auroit-elle pas une succession légitime dans ses magistrats? Falloit-il laisser une porte ouverte à quiconque se voudroit dire envoyé de Dieu, ou obliger les fidèles à en venir toujours à l'examen du fond, malgré l'incapacité de la plupart des hommes ? Ces discours sont bons pour la dispute; mais quand il faut finir une affaire, mettre la paix dans l'Église, et donner sans prévention un véritable repos à sa conscience, il faut avoir d'autres voies. Quoi qu'on fasse, il faut revenir à l'autorité, qui n'est jamais assurée, non plus que légitime, quand elle ne vient pas de plus haut, et qu'elle s'est établie par elle-même. C'est pourquoi Melanchton vouloit reconnoître les évêques que la succession avoit établis, et ne voyoit que ce remède aux maux de l'Église.

La manière dont il s'en explique dans une de ses lettres est admirable 3. « Nos gens demeurent

Lab, iv. ep. 196. — 3 Lib. 1. ep. 69. -Resp. ad Bell.

» d'accord que la police ecclésiastique, où on » reconnoît des évêques supérieurs de plusieurs » églises, et l'évêque de Rome supérieur à tous » les évêques, est permise. Il a aussi été permis > aux rois de donner des revenus aux Églises : >> ainsi il n'y a point de contestation sur la supé»riorité du Pape, et sur l'autorité des évêques : » et tant le Pape que les évêques peuvent aisé>>ment conserver cette autorité : car il faut à » l'Église des conducteurs pour maintenir l'or» dre, pour avoir l'œil sur ceux qui sont appelés >> au ministère ecclésiastique, et sur la doctrine » des prêtres, et pour exercer les jugements ec»clésiastiques; de sorte que, s'il n'y avoit point » de tels évêques, IL EN FAUDROIT FAIRE. LA » monarchie duU PAPE serviroit aussi beaucoup » à conserver entre plusieurs nations le consen>>tement dans la doctrine: ainsi on s'accorderoit » facilement sur la SUPÉRIORITÉ DU PAPE, si on » étoit d'accord sur tout le reste; et les rois » pourroient eux-mêmes facilement modérer les »entreprises des papes sur le temporel de leurs » royaumes. » Voilà ce que pensoit Melanchton sur l'autorité du Pape et des évêques. Tout le parti en étoit d'accord, quand il écrivit cette lettre: Nos gens, dit-il, demeurent d'accord: bien éloigné de regarder l'autorité des évêques, avec la supériorité et la monarchie du Pape, comme une marque de l'empire anti-chrétien, il regardoit tout cela comme une chose desirable, et qu'il faudroit établir, si elle ne l'étoit pas. Il est vrai qu'il y mettoit la condition que les puissances ecclésiastiques n'opprimassent point la saine doctrine : mais s'il est permis de dire qu'ils l'oppriment, et sous ce prétexte, de leur refuser l'obéissance qui leur est due, on retombe dans l'inconvénient qu'on veut éviter, et l'autorité ecclésiastique devient le jouet de tous ceux qui voudront la contredire.

C'est aussi pour cette raison que Melanchton cherchoit toujours un remède à un si grand mal. Ce n'étoit certainement pas son dessein, que la désunion fût éternelle. Luther se soumettoit au concile, quand Melanchton s'étoit attaché à sa doctrine. Tout le parti en pressoit la convocation; et Melanchton y espéroit la fin du schisme, sans quoi j'ose présumer que jamais il ne s'y seroit engagé. Mais après le premier pas, on va plus loin qu'on n'avoit voulu. A la demande du concile, les protestants ajoutèrent qu'ils le demandoient libre, pieux et chrétien. La demande est juste. Melanchton y entre: mais de si belles paroles cachoient un grand artifice. Sous le nom de concile libre, on expliqua un concile d'où le Pape fût exclu, avec tous ceux qui faisoient profession de lui être soumis. C'étoient les intéres

sés, disoit-on : le Pape étoit le coupable, les évêques étoient ses esclaves : ils ne pouvoient pas être juges. Qui donc tiendroit le concile? les luthériens? de simples particuliers, ou des prêtres soulevés contre leurs évêques? Quel exemple à la postérité! et puis n'étoient-ils pas aussi les intéressés ? N'étoient-ils pas regardés comme les coupables par les catholiques, qui faisoient sans contestation le plus grand parti, pour ne pas dire ici le meilleur de la chrétienté? Quoi donc! pour avoir des juges indifférents, falloit-il appeler les mahométans et les infidèles, ou que Dieu envoyât des anges? Et n'y avoit-il qu'à accuser tous les magistrats de l'Église, pour leur ûter leur pouvoir, et rendre le jugement impossible? Melanchton avoit trop de sens pour ne pas voir que c'étoit une illusion. Que fera-t-il ? Apprenons-le de lui-même. En 1537, quand les luthériens furent assemblés à Smalcalde, pour voir ce que l'on feroit sur le concile que Paul III avoit convoqué à Mantoue, on disoit qu'il ne falloit point donner au Pape l'autorité de former l'assemblée où on lui devoit faire son procès, ni reconnoître le concile qu'il assembleroit. Mais Melanchton ne put pas être de cet avis: « Mon >> avis fut, dit-il, de ne refuser pas absolument » le concile; parceque encore que le Pape n'y » puisse pas être juge, toutefois il a LE DROIT » DE LE CONVOQUER; et il faut que le concile » ordonne qu'on procède au jugement. » Voilà donc d'abord de son avis le concile reconnu; et ce qu'il y a ici de plus remarquable, c'est que tout le monde demeuroit d'accord qu'il avoit raison dans le fond. « De plus fins que moi, » poursuit-il, disoient que mes raisons étoient » subtiles et VÉRITABLES, mais inutiles: que la » tyrannie du Pape étoit telle, que si une fois > nous consentions à nous trouver au concile, » on entendroit que par-là nous accorderions au » Pape le pouvoir de juger. J'ai bien vu qu'il y » avoit quelque inconvénient dans mon opinion: >> mais enfin elle étoit la plus honnête. L'autre » l'emporta après de grandes disputes; et je crois » qu'il y a ici quelque fatalité. »

C'est ce qu'on dit lorsqu'on ne sait plus où l'on en est. Melanchton chercheune fin au schisme; et faute d'avoir compris la vérité tout entière, ce qu'il dit ne se soutient pas. D'un côté il sentoit le bien que fait à l'Église une autorité reconnue: il voit même qu'il y falloit, parmi tant de dissensions qu'on y voyoit naître, une autorité principale pour y maintenir l'unité, et il ne pouvoit reconnoître cette autorité que dans le Pape. D'autre côté, il ne vouloit pas qu'il fût juge dans

↑ Lib. IV. ep. 196.

le procès que lui faisoient les luthériens. Ainsi il lui accorde l'autorité de convoquer l'assemblée, et après il veut qu'il en soit exclu: bizarre opinion, je le confesse. Mais qu'on ne croie pas pour cela que Melanchton fût un homme peu entendu dans ces affaires : il n'avoit pas cette réputation dans son parti, dont il faisoit tout l'honneur, je le puis dire: et personne n'y avoit plus de sens, ni plus d'érudition. S'il propose des choses contradictoires, c'est que l'état de la nouvelle réforme ne permettoit rien de droit ni de suivi. Il avoit raison de dire qu'il appartenoit au Pape de convoquer le concile : car quel autre le convoqueroit, surtout dans l'état présent de la chrétienté? Y avoit-il une autre puissance que celle du Pape, que tout le monde reconnût? Et la lui vouloir ôter d'abord avant l'assemblée où l'on vouloit, disoit-on, lui faire son procès, n'étoitce pas un trop inique préjugé; surtout ne s'agissant pas d'un crime personnel du Pape, mais de la doctrine qu'il avoit reçue de ses prédécesseurs depuis tant de siècles, et qui lui étoit commune avec tous les évêques de l'Église? Ces raisons étoient si solides, que les autres luthériens, contraires à Melanchton, avouoient, nous dit-il lui-même, comme on vient de voir, qu'elles étoient véritables. Mais ceux qui reconnoissoient cette vérité ne laissoient pas en même temps de soutenir avec raison, que si on donnoit au Pape le pouvoir de former l'assemblée, on ne pouvoit plus l'en exclure. Les évêques, qui de tout temps le reconnoissoient comme chef de leur ordre, et se verroient assemblés en corps de concile par son autorité, souffriroient-ils que l'on commençât leur assemblée par déposséder un président naturel pour une cause commune? Et donneroient-ils un exemple inouï dans tous les siècles passés ? Ces choses ne s'accordoient pas; et dans ce conflit des luthériens, il paroissoit clairement qu'après avoir renversé certains principes, tout ce qu'on fait est insoutenable et contradictoire.

Si on persistoit à refuser le concile que le Pape avoit convoqué, Melanchton n'espéroit plus de remède au schisme; et ce fut à cette occasion qu'il dit les paroles que nous avons rapportées, que la discorde étoit éternelle, faute d'avoir reconnu l'autorité de l'ordre sacré 1. Affligé d'un si grand mal, il suit sa pointe ; et quoique l'opinion qu'il avoit ouverte pour le Pape, ou plutôt pour l'unité de l'Église, dans l'assemblée de Smalcalde, y eût été rejetée, il fit sa souscription en la forme que nous avons vue, en réservant l'autorité du Pape.

* Lib. tv. ep. 496.

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