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teau, l'assurance que les plus adroits nautonniers ne pouvoient trouver dans leurs grands navires. La cour, qu'il a surmontée, a des flammes plus dévorantes, elle a des écueils plus dangereux; et bien que les inventions hardies de l'expression poétique n'aient pu nous représenter la mer de Sicile, si horrible que la nature l'a faite, la cour a des vagues plus furieuses, des abîmes plus creux, et des tempêtes plus redoutables. Comme c'est de la cour que dépendent toutes les affaires, et que c'est aussi là qu'elles aboutissent, l'ennemi du genre humain y jette tous ses appâts, y étale toute sa pompe. Là est l'empire de l'intérêt; là est le théâtre des passions; là elles se montrent les plus violentes; là elles sont les plus déguisées. Voici donc François de Paule dans un nouveau monde. Il regarde ce mouvement, ces révolutions, cet empressement éternel, et uniquement pour des biens périssables, et pour une fortune qui n'a rien de plus assuré que sa décadence; il croit que Dieu ne l'a amené en ce lieu, que pour connoître mieux jusqu'où se peut porter la folie des hommes.

A Rome, le pape lui rend des honneurs extraordinaires; tous les cardinaux le visitent. En France, trois grands rois le caressent; et après cela, je vous laisse à penser si tout le monde lui applaudit. A peine peut-il comprendre pourquoi on le respecte si fort. Il ne s'élève point parmi des faveurs si inespérées ; c'est toujours le même homme, toujours humble, toujours soumis. Il parle aux grands et aux petits avec la même franchise, avec la même liberté : il traite avec tous indifféremment, par des discours simples, mais bien sensés, qui ne tendent qu'à la gloire de Dieu, et au salut de leurs ames. O personnage vraiment admirable! Doux attraits de la cour, combien avez-vous corrompu d'innocents? ceux qui vous ont goûtés ne peuvent presque goûter autre chose. Combien avons-nous vu de personnes, je dis même des personnes pieuses, qui se laissoient comme entraîner à la cour, sans dessein de s'y engager? Oh non, ils se donneront bien de garde de se laisser ainsi captiver. Enfin l'occasion s'est présentée belle, le moment fatal

est venu,

la vague les a poussés, et les a emportés ainsi que les autres. Ils n'étoient venus, disoient-ils, que pour être spectateurs de la comédie; à la fin, à force de la regarder, ils en ont trouvé l'intrigue si belle, qu'ils ont voulu jouer leur personnage. La piété même s'y glisse, souvent elle ouvre des entrées favorables; et après que l'on a bu de cette eau, tout le monde le dit, les histoires le publient, l'ame est toute changée par une espèce d'enchantement : c'est un breuvage charmé, qui enivre les plus sobres.

5.

Cependant l'incomparable François de Paule est solitaire jusque dans la cour rien ne l'ébranle, rien ne l'émeut; il ne demande rien, il ne s'empresse de rien, non pas même pour l'établissement de son ordre; il s'en remet à la Providence. Pour lui, il ne fait que ce qu'il a à faire, d'instruire ceux que Dieu lui envoie, et d'édifier l'Église par ses bons exemples. Je pense que je ne dirai rien qui soit éloigné de la vérité, si je dis que la cour de Louis XI devoit être la plus raffinée de l'Europe: car s'il est vrai que l'humeur du prince règle les passions de ses courtisans, sous un prince si rusé tout le monde raffinoit sans doute; c'étoit la manie du siècle, c'étoit la fantaisie de la cour. François de Paule regarde leurs souplesses avec un certain mépris. Pour lui, bien qu'il soit obligé de converser souvent avec eux, il conserve cette bonté si franche et si cordiale, et cette naïve enfance de son innocente simplicité. Chacun admire une si grande candeur, et tout le monde demeure d'accord qu'elle vaut mieux que toutes les finesses.

Ici il me vient une pensée : de considérer lequel a l'ame plus grande et plus royale, de Louis, ou de François de Paule. Oui, j'ose comparer un pauvre moine avec un des plus grands rois et des plus politiques, qui ait jamais porté la couronne; et sans délibérer davantage, je donne la préférence à l'humble François. En quoi mettonsnous la grandeur de l'ame? Est-ce à prendre de nobles desseins? Tous ceux de Louis sont enfermés dans la terre : François ne trouve rien qui soit digne de lui, que le ciel. Louis, pour exécuter ce qu'il prétendoit, cherchoit mille pratiques et mille détours; et avec sa puissance royale, il ne pouvoit si bien nouer ses intrigues, que souvent un petit ressort venant à manquer, toute l'entreprise ne fût renversée. François se propose de plus grands desseins, et sans aucun détour, y va par des voies très courtes et très assurées. Louis, à ce que remarque l'histoire, avec tous ses impôts et tous ses tributs, à peine a-t-il assez d'argent dans ses coffres, pour réparer les défauts de sa politique. François rachète tous ses péchés, François gagne le ciel par ses larmes et par de pieux desirs; ce sont ses richesses les plus précieuses, et il en a dans son cœur un trésor immense, et une source infinie. Louis, en une infinité de rencontres, est contraint de plier sous les coups de sa mauvaise fortune : et la fortune et le monde sont au-dessous de François. Enfin, pour vous faire voir la royauté de François, considérez ce prince qui tremble dans ses forteresses, et au milieu de ses gardes. Il sent approcher une ennemie qui tranchera toutes ses espérances, et néanmoins il ne peut éviter ses atta

ques. Fidèles, vous entendez bien que c'est de la mort dont je parle. Regardez maintenant le pauvre François, voyez, voyez si la mort lui fait seuIement froncer les sourcils : il la contemple avec un visage riant, il lui tend de bon cœur les mains, il lui montre l'endroit où elle doit frapper, il lui présente cette pourriture du corps. O mort! lui dit-il, quoique le monde t'appelle cruelle, tu ne me feras aucun mal, tu ne m'ôteras rien de ce que j'aime ; tu ne rompras pas le cours de mes desseins; au contraire, tu ne feras qu'achever l'ouvrage que j'ai commencé ; tu me déferas toutà-fait des choses dont il y a si long-temps que je tâche de me dépouiller; tu me délivreras de ce corps. O mort! je t'en remercie : il y a près de quatre-vingts ans que je travaille moi-même à m'en décharger.

l'amour de Dieu nous est un langage barbare. Les ames froides et languissantes, comme les nôtres, ne comprennent pas ces discours, qui sont pleins d'une ardeur si divine; Non capit ignitum eloquium frigidum pectus, disoit le dévot saint Bernard 1. Si je vous dis que l'amour de Dieu fait oublier toutes choses aux ames qui en sont frappées; si je vous dis qu'en étant possédées, elles en perdent le soin de leur corps, qu'elles ne songent presque plus ni à l'habiller, ni à le nourrir; comme peut-être vous ne ressentez pas ces mouvements en vous-mêmes, vous prendrez peut-être ces vérités pour des rêveries agréables; et moi, qui suis bien éloigné d'une expérience si sainte, je ne pourrois jamais vous parler des doux transports de la charité, si je n'empruntois les sentiments des saints Pères.

Écoutez donc le grand saint Basile, l'orneO fermeté invincible de François de Paule! ô grande ame et vraiment royale! Que les rois de ment de l'Église orientale, le rempart de la foi la terre se glorifient dans leur vaine magnifi- catholique contre la perfidie arienne. Voici cence: il n'y a point de royauté pareille à celle comme parle ce saint évêque : « Sitôt que quel, de François de Paule. Il règne sur ses appétits: » que rayon de cette première beauté commence il est paisible, il est satisfait. La vie la plus heu- » à paroître sur nous, notre esprit, transporté reuse, est celle qui appréhende le moins la mort. » par une ravissante douceur, perd aussitôt la » mémoire de toutes ses autres occupations: il ouEt qui de nous aime si fort le monde, qu'il ne >>blie toutes les nécessités de la vie. Nous aimons desirât plutôt de mourir comme le pauvre François de Paule, que comme le roi Louis XI? Que » tellement cet amour bienheureux et céleste, si nous voulons mourir comme lui, il faudroit » que nous ne pouvons plus sentir d'autres flamvivre aussi comme lui. Sa vie a donc été bien- >> mes. » Fidèles, que veut-il dire, que nous aiheureuse. Il est vrai qu'il s'est affligé par diver-mons cet amour tout céleste? Cœlestem illum ac ses austérités; mais, souffrant pour l'amour de planè beatum amantes amorem 2. C'est par l'acelui qui seul avoit gagné ses affections, sa cha-mour qu'on aime : mais comment se peut-il faire rité charmoit tous ses maux, elle adoucissoit toutes ses douleurs. O puissance de la charité! direz-vous. Mais le voulez-vous voir par l'exemple de saint François; un moment d'audience satisfera ce pieux desir.

SECOND POINT.

Ne vous étonnez pas, chrétiens, si dans une vie si dure, si laborieuse, l'admirable François de Paule a toujours un air riant, et toujours un visage content. Il aimoit, et c'est tout vous dire; parceque, dit saint Augustin, « celui qui aime, >> ne travaille pas : » Qui amal, non laborat '. Voyez les folles amours du siècle, comme elles triomphent parmi les souffrances. Or la charité de Jésus venant d'une source plus haute, est aussi plus pressante et plus forte Charitas Christi urget nos. Et encore que son cours soit plus réglé, il n'en est pas moins impétueux. Certes, il faut l'avouer, mes chers Frères, à notre grande confusion, que nous entendons peu ce que l'on nous dit de son énergie. Le langage de

In Joan, Tract, XLVIII, n. 1; tom. III, part. 11, col. 644.

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qu'on aime l'amour? Ah! c'est que l'ame fidèle, blessée de l'amour de son Dieu, aimant elle sent qu'elle aime, elle s'en réjouit, elle en triomphe de joie, elle commence à s'aimer elle-même, non pas pour elle-même, mais elle s'aime de ce qu'elle aime Dieu Cœlestem illum ac planè beatum amantes amorem. Et cet amour lui plaît tellement, qu'en faisant toutes ses délices, elle regarde tout le reste avec indifférence. C'est ce que dit le tendre et affectueux saint Bernard 3, que celui qui aime, il aime : Qui amat, amat. Ce n'est pas, ce semble, une grande merveille. Il aime, c'est-à-dire, il ne sait autre chose qu'aimer; il aime, et c'est tout, si vous me permettez cette façon de parler familière. L'amour de Dieu, quand il est dans une ame, il change tout en soi-même : il ne souffre ni douleur, ni crainte, ni espérance que celle qu'il donne.

François de Paule, 6 l'ardent amoureux! Il est blessé, il est transporté, on ne peut le tirer de sa chère cellule, parcequ'il y embrasse son

In Cant. Serm. LXXIX, n. 1; tom. 1, col. 1544. - In Psal. XLIV, n. 6; tom. 1, p. 164. — In Cant. Serm. LXXXIII, n. 3; tom. 1, col. 4558.

Dieu en paix et en solitude. L'heure de manger arrive: il a une nourriture plus agréable, goûtant les douceurs de la charité. La nuit l'invite au repos : il trouve son véritable repos dans les chastes embrassements de son Dieu. Le roi le demande avec une extrême impatience: il a affaire, il ne peut quitter; il est renfermé avec Dieu dans de secrètes communications. On frappe à sa porte avec violence: la charité, qui a occupé tous ses sens par le ravissement de l'esprit, ne lui permet d'entendre autre chose, que ce que Dieu lui dit au fond de son cœur dans un saint et ineffable silence. C'est qu'il aime son Dieu, et qu'il aime tellement cet amour, qu'il veut le voir tout seul dans son cœur ; et autant qu'il lui est possible, il en chasse tous les autres mouvements. Comme chacun parle de ce qu'il aime, et que l'aimable François de Paule n'aime que ce saint et divin amour, aussi ne parle-t-il d'autre chose. Il avoit gravée bien profondément au fond de son ame cette belle sentence du saint apôtre: Omnia vestra in charitate fiant: «Que toutes » vos actions se fassent en charité. » Allons en charité, disoit-il, faisons par charité : c'étoit la façon de parler ordinaire, que ce saint homme avoit toujours à la bouche; fidèle interprète du cœur. De cette sorte, tous ses discours étoient des cantiques de l'amour divin, qui calmoient tous ses mouvements, qui enflammoient ses pieux désirs, qui charmoient toutes les douleurs de cette vie misérable.

Mais encore est-il nécessaire que je tâche de vous faire comprendre la force de cette parole, qui étoit si familière au saint dont nous célébrons les louanges. Comprenez, comprenez, chrétiens, combien doivent être divins les mouvements des ames fidèles. L'antiquité profane consacroit toutes nos affections, et en faisoit ses divinités; et l'amour avoit ses temples dans Rome, pour ne pas parler en ce lieu de ceux de la peur, et des autres passions plus basses. Quand ils se sentoient possédés de quelque mouvement extraordinaire, ils croyoient qu'il venoit d'un Dieu, ou bien que ce desir violent étoit lui-même leur dieu: An sua cuique deus fit dira cupido"? Permettez-moi ce petit mot d'un auteur profane, que je m'en vais tâcher d'effacer par un passage admirable d'un auteur sacré. Il n'y a que les chrétiens qui puissent se vanter que leur amour est un Dieu. « Dieu est amour; Dieu est charité,» dit le bien aimé disciple: Deus charitas est 3. Et puisque Dieu est charité, poursuit-il, celui » qui demeure en charité, demeure en Dieu, » Dieu en lui: » Et qui manet in charitate, in I. Cor. XVI. 44.- Virg. Æneid. 1. Ix. v. 185. - I. Joan.

IV. 16.

et

Deo manet, et Deus in eo. O divine théologie ! comprendrons-nous bien ce mystère? Oui, certes, nous le comprendrons avec l'assistance divine, en suivant les vestiges des anciens docteurs.

Pour cela, élevez vos esprits jusqu'aux choses les plus hautes, que la foi chrétienne nous représente. Contemplez dans la Trinité adorable le Père et le Fils, qui, enflammés l'un pour l'autre par le même amour, produisent un torrent de flammes, un amour personnel et subsistant, que l'Ecriture appelle le Saint-Esprit ; amour qui est commun au Père et au Fils, parcequ'il procède du Père et du Fils. C'est ce Dieu qui est charité, selon que dit l'apôtre saint Jean: Deus charitas est. Car de même que le Fils de Dieu procédant par intelligence, il est intelligence, et par soi; ainsi le Saint-Esprit procédant par amour, est amour. C'est pourquoi le dévot saint Bernard voulant nous exprimer que le Saint-Esprit est amour, il appelle le baiser de la bouche de Dieu, un fleuve de joie, un fieuve de vin pur, un fleuve de feu céleste, un qui vient de deux, qui unit les deux, lien vital et vivant: Unus ex duobus, uniens ambos, vivificum gluten. En quoi il suit la profonde théologie de son maître saint Augustin, qui appelle le Saint-Esprit le lien commun du Père et du Fils2; et de là vient que les Pères l'ont appelé le saint complément de la Trinité, d'autant que l'union, c'est ce qui achève les choses : tout est accompli quand l'union est faite, on ne peut plus rien ajouter.

C'est donc ce Dieu charité, qui est l'amour du Père et du Fils, qui descendant en nos cœurs y opere la charité. « Celui, dit saint Augustin, » qui lie la société du Père et du Fils, c'est lui » qui lie la société et entre nous, et avec le Père » et le Fils. Ils nous réduisent en un par le » Saint-Esprit, qui est commun à l'un et à l'au» tre, qui est Dieu, et amour de Dieu : » Quod ergo commune est Patri et Filio, per hoc nos voluerunt habere communionem et inter nos et secum, et per illud donum nos colligere in unum quod ambo habent unum, hoc est, per Spiritum sanctum Deum et donum Dei. C'est done le Saint-Esprit, qui étant dès l'éternité le lien du Père et du Fils, puis se communiquant à nous par une miséricordieuse condescendance, nous attache premièrement à Dieu par un pur amour, et par le même noeud nous unit les uns aux autres. Telle est l'origine de la charité, qui

In Cant. Serm. VIII. n. 2; tom. 1, col. 1288. In Ascens. Dom. Serm. v, n. 13; tom. 1. col. 926. In Fest. Pent. Serm. III. n. 1; tom. I. col. 933, S. Aug. Serm, LXXI, n. 78; L. v,

col. 392. Serm. CCXIII, n.6; tom. v. col. 941. Enchir. cap. Lvi, n. 15; tom. vi, col. 247. S. Basil. lib. de Spir. sancto, cap. XVIII, n. 45; tom. 111, p. 38. S. Aug. Serm. LXXI, n. 18; tom. v, col. 392.

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DEUXIÈME PANÉGYRIQUE DE FRANÇOIS DE paule.

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l'Esprit de Dieu, souverain moteur de son ame. De là vient ce que remarque le même auteur, que bien qu'il fût ignorant et sans lettres, il parloit si bien des choses divines, et dans un sens si profond, que tout le monde en étoit étonné. C'est que ce maître tout puissant l'enseignoit par son onction. Enfin, c'étoit par sa charité qu'il sembloit avoir sur toutes les créatures un commandement absolu; parceque, uni à Dieu par une amitié si sincère, il étoit comme un Dieu sur la terre, selon ce que dit l'apôtre saint Paul, que « qui s'at» tache à Dieu est un même esprit avec lui: » Qui autem adhæret Domino, unus spiritus est'.

C'est une chose admirable, que la miséricorde de notre Dieu ait porté cette majesté souveraine à se rabaisser jusqu'à nous, non seulement par une amitié cordiale, mais encore quelquefois, si je l'ose dire, par une étroite familiarité. « Je » viens, dit-il, frapper à la porte; si quelqu'un » m'ouvre, j'entrerai avec lui, et je souperai » avec lui, et lui avec moi : » Ecce sto ad ostium et pulso; si quis audierit vocem meam, et ape

est la chaîne qui lie toutes choses : c'est ce Dieu charité. Il n'est pas plutôt en nos ames, que lui, qui est amour et charité, il les embrase de ses feux, il y coule un amour qui lui ressemble en quelque sorte: à cause qu'il est le Dieu charité, il nous donne la charité. Remplis de cet amour, qui procède du Père et du Fils, nous aimons le Père et le Fils, et nous aimons aussi avec le Père et le Fils cet amour bienheureux qui nous fait aimer le Père et le Fils, dit saint Augustin. Ne vous souvient-il pas de ce que nous disions tout-à-l'heure, que nous aimions l'amour? C'est le sens profond de cette parole de saint Basile, que nous n'avions pour lors que légèrement effleuré. Ce baiser divin, souvenez-vous que c'est saint Bernard qui appelle ainsi le Saint-Esprit, ce baiser mutuel que le Père et le Fils se donnent dans l'éternité, et qu'ils nous donnent après dans le temps, nous nous le donnons les uns aux autres par un épanchement d'amour. C'est en cette manière que la charité passe du ciel en la terre, du cœur de Dieu dans le cœur de l'homme, où, comme dit l'apôtre', « elle est répandue par le Saint-Es-ruerit mihi januam, intrabo ad illum, et cœ>> prit qui nous est donné. » Par où vous voyez ces deux choses, que le Saint-Esprit nous est donné, et que par lui la charité nous est donnée; et partant, il y a en nos cœurs, premièrement la charité incréée, qui est le Saint-Esprit, et après, la charité créée, qui nous est donnée par le Saint-Aussi certes, s'il m'est permis de parler comme Esprit. De là vient que l'apôtre saint Jean, qui a dit que Dieu est charité, dit dans le même endroit que la charité est de Dieu : Charitas ex Deo est 2. Car le Saint-Esprit n'est pas plutôt dans nos ames, que, les embrasant de ses feux, il y coule un amour qui lui est en quelque sorte semblable: étant le Dieu charité, il y opère la charité. C'est pourquoi l'apôtre saint Jean, considérant le ruisseau dans sa source, et la source dans le ruisseau, prononce cette haute parole, que « Dieu est charité, » et que, « qui demeure en >> charité, demeure en Dieu, et Dieu en lui. »

nabo cum illo, et ipse mecum 2. Se peut-il rien de plus libre? François de Paule, ce bon ami, étant ainsi familier avec Dieu à cause de son innocence, il disposoit librement des biens de son Dieu, qui sembloit lui avoir tout mis à la main.

nous parlons dans les choses humaines, ce n'étoit pas une connoissance d'un jour. Le saint homme François de Paule, ayant commencé sa retraite à douze ans, et ayant toujours donné dès sa tendre enfance des marques d'une piété extraordinaire, il y a grande apparence qu'il a toujours conservé l'intégrité baptismale; et ce sont ces ames que Dieu chérit, ces ames toujours fraîches et toujours nouvelles, qui, gardant inviolablement leur première fidélité, après une longue suite d'années paroissent telles devant sa face, aussi saintes, aussi innocentes, qu'elles Que dirai-je maintenant de vous, o admirable sortirent des eaux du baptême. Et c'est, mes François de Paule, qui n'avez que la charité Frères, ce qui me confond. O Dieu de mon cœur, dans la bouche, parceque vous n'avez que la quand je considère que cette ame si chaste, charité dans le cœur? Je ne m'étonne pas, chré-virginale, cette ame qui est toujours demeurée tiens, de ce que dit de ce saint personnage le dans la première enfance du saint baptême, fait une pénitence si rigoureuse, je frémis jusqu'au judicieux Philippe de Comines, qui l'avoit vu souvent en la cour de Louis XI: « Je ne pense, fond de l'ame. Fidèles, quelle indignité! Les in» dit-il, jamais avoir vu homme vivant de si nocents font pénitence, et les criminels vivent » saincte vie, où il semblast mieux que le Sainct- dans les délices. » Esprit parloit par sa bouche. » C'est que ses paroles et son action, étant animées par la cha-l'Église, en quel endroit du monde t'es-tu maintenant retirée? Elle n'a plus aucun rang dans le siècle : rebutée de tout le monde, elle s'est jetée

rité, sembloient n'avoir rien de mortel, mais faisoient éclater tout visiblement l'opération de

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si

O sainte pénitence, autrefois si honorée dans

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dans les cloîtres; et néanmoins ce n'est pas là qu'elle est le plus nécessaire. C'est là que se retirent les personnes les plus pures; et nous qui demeurons dans les attachements de la terre, nous que les vains desirs du siècle embarrassent en tant de pratiques criminelles, nous nous moquons de la pénitence, qui est le seul remède de nos désordres. Consultons-nous dans nos consciences: sommes-nous véritablement chrétiens? Les chrétiens sont les enfants de Dieu, et les enfants de Dieu sont poussés par l'Esprit de Dieu; et ceux qui sont poussés par l'Esprit de Dieu, la charité de Jésus les presse. Hélas! oserionsnous bien dire que l'amour de Jésus nous presse, nous qui n'avons d'empressement que pour les biens de la terre, qui ne donnons pas à Dieu un moment de temps bien entier? chauds pour les intérêts du monde, froids et languissants pour le service du sauveur Jésus. Certes, si nous étions, je ne dis pas pressés, nous n'en sommes plus à ces termes; mais si nous étions tant soit peu émus par la charité de Jésus, nous ne ferions pas tant de résolutions inutiles: le saint jour de Pâques ne nous verroit pas toujours chargés des mêmes crimes, dont nous nous sommes confessés les années passées. Fidèles, qui vous étonnez de tant de fréquentes rechutes, ah! que la cause en est bien visible ! Nous ne voulons point nous faire de violence, nous voulons trop avoir nos commodités; et les commodités nous mènent insensiblement dans les voluptés : ainsi accoutumés à une vie molle, nous ne pouvons souffrir le joug de Jésus. Nous nous impatientons contre Dieu des moindres disgraces qui nous arrivent, au lieu de les recevoir de sa main pour l'expiation de nos fautes; et dans une si grande délicatesse, nous pensons pouvoir honorer les saints, nous faisons nos dévotions à la mémoire de François de Paule. Est-ce honorer les saints, que de condamner leur vie par une vie tout opposée? Est-ce honorer les saints, que d'entendre parler de leurs vertus, et n'être pas touchés du desir de les imiter? Estce honorer les saints, que de regarder le chemin par lequel ils sont montés dans le ciel, et de prendre une route contraire?

Figurez-vous, mes Frères, que le vénérable François de Paule vous paroît aujourd'hui sur ces terribles autels, et qu'avec sa gravité et sa simplicité ordinaire: Chrétiens, vous dit-il, qu'êtes-vous venus faire en ce temple? Ce n'est pas pour m'y rendre vos adorations : vous savez qu'elles ne sont dues qu'à Dieu seul. Vous voulez peut-être que je m'intéresse dans vos folles prétentions. Vous me demandez une vie aisée, à moi qui ai mené une vie toujours rigoureuse. Je présenterai volontiers vos vœux à notre grand

Dieu, au nom de son cher Fils Jésus-Christ, pourvu que ce soit des vœux qui paroissent dignes de chrétiens. Mais apprenez de moi, que si vous desirez que nous autres amis de Dieu priions pour vous notre commun Maître, il veut que vous craigniez ce que nous avons craint, et que vous aimiez ce que nous avons aimé sur la terre. En vivant de la sorte, vous nous trouverez de vrais frères et de charitables intercesseurs.

Allons donc tous ensemble, fidèles, allons rendre les vrais honneurs à l'humble François de Paule. Je vous ai apporté en ce lieu des reliques de ce saint homme : l'odeur qui nous reste de sa sainteté, et la mémoire de ses vertus, c'est ce qu'il a laissé sur la terre de meilleur et de plus utile; ce sont les reliques de son ame. Baisons ces précieuses reliques, enchâssons-les dans nos cœurs, comme dans un saint reliquaire. Ne souhaitons pas une viesi douce ni si aisée; ne soyons pas fâchés quand elle sera détrempée de quelques amertumes. Le soldat est trop lâche, qui veut avoir tous ses plaisirs pendant la campagne : le laboureur est indigne de vivre, qui ne veut point travailler avant la moisson. Et toi, dit Tertullien ', tu es trop délicat chrétien, si tu desires les voluptés même dans le siècle. Notre temps de délices viendra; c'est ici le temps d'épreuve et de pénitence. Les impies ont leur temps dans le siècle, parceque leur félicité ne peut pas être éternelle : le nôtre est différé après cette vie, afin qu'il puisse s'étendre dans les siècles des siècles. Nous devons pleurer ici-bas, pendant qu'ils se réjouissent: quand l'heure de notre triomphe sera venue, ils commenceront à pleurer. Gardons-nous bien de rire avec eux, de peur de pleurer aussi avec eux pleurons plutôt avec les saints, afin de nous réjouir en leur compagnie. Gémissons en ce monde, comme a fait le pauvre François : soyons imitateurs de sa pénitence, et nous serons compagnons de sa gloire. Amen.

PANÉGYRIQUE

DE

L'APOTRE SAINT PIERRE.

Divers états de son amour pour Jésus-Christ. Quelle a été la cause de sa chute, et par quels degrés son amour est parvenu au comble de la perfection.

Simon Joannis, amas me? Domine, tu omnia nosti, tu scis quia amo te.

Simon, fils de Jean, m'aimes-tu? Seigneur, vous savez toutes choses, et vous n'ignorez pas que je vous aime. Joan. xxi. 17.

C'est sans doute, mes Frères, un spectacle bien digne de notre curiosité, que de considérer le De Spectac. n. 28.

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