Images de page
PDF
ePub

et ne manque pas de s'écrier: Voilà les grands, voilà les heureux. C'est ainsi que la puissance du monde tâche de faire voir que ses biens sont grands. Une autre puissance est établie, pour faire voir qu'il n'est rien; c'est la puissance ecclésiastique.

par la magnificence de ses équipages et la pompe de son cortége! Ministre de la loi de charité, il vouloit inspirer l'amour, et non la terreur; et pour y réussir, il lui suffisoit de se montrer avec l'appareil de ses vertus. Aussi les pauvres formoient-ils tout son train; et, à l'exemple d'un Toutes nos actions, jusqu'aux moindres gestes grand évêque, « il mettoit toute sa sûreté dans du corps, jusqu'au moindre et plus délicat mou- » le secours de leurs prières»: Habeo defenvement des yeux, doivent ressentir le mépris sionem, sed in orationibus pauperum. « Ces du monde. Si la vanité change tout, le visage,» aveugles, pouvoit-il dire avec saint Ambroise, le regard, le son de la voix; car tout devient in- » ces boiteux, ces infirmes, ces vieillards, qui me strument de la vanité: ainsi la simplicité doit >> suivent et m'accompagnent, sont plus capables tout régler; mais qu'elle ne soit jamais affectée,» de me défendre, que les soldats les plus braves parcequ'elle ne seroit plus simplicité. Entrepre- » et les plus aguerris»: Cæci illi et claudi, denons, messieurs, de faire voir à tous les hommes, biles et senes, robustis bellatoribus fortiores que le monde n'a rien de solide ni de desi- sunt'. rable; et pour cela [imitons] la frugalité, la modestie et la simplicité du grand saint Sulpice. «Ayant donc de quoi nous nourrir et de quoi >> nous couvrir, nous devons être contents: >> Habentes alimenta et quibus tegamur, his contenti simus. Que nous servent ces cheveux coupés, si nous nourrissons au-dedans tant de desirs superflus, pour ne pas dire pernicieux ? [ Saint Sulpice nous a appris, par son exemple, à faire sur nous-mêmes de continuels efforts, pour les retrancher jusqu'à la racine ].

[Sa vie, tout ecclésiastique, annonçoit un pasteur entièrement mort aux choses du siècle, uniquement dévoué aux intérêts de Jésus-Christ et au salut des ames. Loin de profiter des moyens que lui fournissoit sa place, pour se procurer plus d'aisances, de commodités et d'éclat extérieur, il jugea au contraire, que sa charge lui imposoit une nouvelle obligation de faire chaque jour, dans sa vie, de plus grands retranchements. Déja, n'étant qu'abbé de la chapelle du roi Clotaire second, il n'avoit voulu retenir, pour sa subsistance et celle des clercs qu'il gouvernoit, que le tiers des appointements que le roi lui donnoit, et il distribuoit le reste aux pauvres. Mais lorsqu'il fut élevé sur le siége de Bourges, il crut encore devoir augmenter sa pénitence, redoubler ses austérités, et pratiquer un détachement plus universel. Rien de plus frugal que sa table; on n'y donnoit rien à la sensualité et au plaisir rien de plus modeste que ses habits ou ses meubles; tout y ressentoit la pauvreté de Jésus-Christ: rien enfin de plus simple que toute sa conduite, de plus affable que sa personne, Sa bonté, pleine de tendresse, le fit regarder comme le père de son peuple; et sa douceur, toujours égale, lui mérita le surnom de Débonnaire. Qu'il étoit éloigné de vouloir en imposer à ses peuples

AI. Timot. VI. 8.

C'est ainsi, chrétiens, que Sulpice travailloit à retracer dans toute sa vie les mœurs apostoliques, et à fournir, à tous les siècles suivants, un modèle accompli de toutes les vertus qui doivent orner un ministre de Jésus-Christ. O que la frugalité de ce digne pasteur condamnera d'ecclésiastiques, qui prétendent se distinguer par ces profusions splendides, ces délicatesses recherchées de leur table, dont la religion rougit pour eux ! Comment le faste de leur ameublement somptueux pourra-t-il soutenir le parallèle de la modestie évangélique de ce saint évêque ? L'aimable simplicité de ses manières ne suffit-elle pas pour confondre à jamais ces superbes hauteurs, que des vicaires de l'humilité et de la servitude de Jésus-Christ affectent à l'égard des peuples qui leur sont confiés; le dirai-je, à l'égard même de leurs coopérateurs? Ont-ils donc oublié avec quelle force le souverain Pasteur leur interdit l'esprit de domination, et combien il leur recommande la douceur et la condescendance, dont il leur a donné de si grands exemples?

Mais que prétendent les ecclésiastiques, qui, loin d'imiter le zèle de saint Sulpice, pour ruiner l'esprit du monde, semblent au contraire, par une vie toute profane, n'être appliqués qu'à le faire vivre, l'étendre et l'affermir? Croientils que, par des mœurs si opposées à celles de nos pères, ils se rendront plus recommandables dans le monde, qu'ils cultivent avec tant de soin? Mais ce monde même, dont ils veulent se montrer amis, et obtenir la considération, les méprise souverainement, parcequ'il sait quelle doit être la vie d'un ministre des autels; et, aveugles qu'ils sont, ils ne voient pas qu'il ne fait effort, pour les entraîner dans ses mœurs dépravées, qu'afin de les avilir et les dégrader, et de faire rejaillir ensuite, sur la religion qu'ils doivent maintenir,

AS. Ambr. Serm. cont. Aux. n. 53; tom. 11, col. $75.

l'opprobre dont il les aura couverts. S'ils veu- | procurer les avantages du monde, qu'il avoit

pour objet de détruire: Mundi lucrum quæritur sub ejus honoris specie, quo mundi destrui lucra debuerunt '.

[Au reste, je ne prétends pas, mes Frères, qu'on refuse aux prêtres l'honneur qui leur est dù par tant de titres. Si, dans l'ancienne loi, l'ordre sacerdotal étoit si fort distingué, et jouissoit des plus grandes prérogatives; il convient que dans la nouvelle, dont le sacerdoce est autant au-dessus de celui d'Aaron, que la vérité l'emporte sur la figure, l'honneur rendu aux prêtres réponde à l'excellence de leur dignité, et à l'éminence du pontife qu'ils représentent sur la terre.] Il faut honorer ses ministres, pour l'amour de celui qui a dit : « Qui vous reçoit me reçoit 2.» [ Mais plus les peuples leur té

lent donc vraiment se distinguer, qu'ils pensent sérieusement à se séparer de la multitude, par la sainteté d'une vie qui les élève autant au-dessus du commun des hommes, qu'ils leur sont supérieurs par l'éminence de leur caractère]. « Car » la dignité sacerdotale exige, de ceux qui en » sont revêtus, une gravité de mœurs peu com» mune, une vie sérieuse et appliquée, une vertu » toute singulière » : Sobriam à turbis gravitatem, seriam vitam, singulare pondus, dignitas sibi vindicat sacerdotalis1. Sont-ils jaloux de soutenir en eux l'autorité du sacerdoce? qu'ils pensent à l'assurer par le mérite de leur foi et la sainteté de leur vie: Dignitatis suæ auctoritatem fidei et vitæ meritis quærant 2. [ Mais que jamais ils ne se fassent assez d'illusion, pour croire se rendre vénérables par une pompe ex-moignent de vénération et de déférence, moins térieure, qui ne peut qu'éblouir les yeux des aussi doivent-ils faire paroître d'empressement, ignorants, et qui leur attire une amère critique pour recevoir ces marques de distinction; et ils de la part de ceux qui réfléchissent ]. « Le vrai ne sauroient trop craindre de les aimer et de » ecclésiastique s'étudie à prouver sa profession s'en réjouir. Pour éviter cette funeste disposi>> par son habit, sa démarche et toute sa con- tion, ] la simplicité ecclésiastique suit cette >> duite : il n'a garde de chercher à se donner un belle règle ecclésiastique : « elle se montre un >> faux éclat par des ornements empruntés:»» exemple de patience et d'humilité, en recevant Clericus professionem suam, et in habitu, et in» toujours moins qu'on ne lui offre; mais quoiincessu probet, et nec vestibus, nec calceamentis decorem quærat 3.

» qu'elle n'accepte jamais le tout, elle a la pru»dence de ne point tout refuser » : Seipsum præbeat patientiæ atque humilitatis exemplum, minus sibi assumendo quàm offertur ; sed tamen ab eis qui se honorant nec totum nec nihil accipiendo. Il ne faut pas recevoir tout ce qu'on nous offre, de peur qu'il ne paroisse que nous nous repaissons de cette fumée; il ne faut pas le rejeter tout-à-fait, à cause de ceux à qui on ne pourroit se rendre utile, si l'on ne jouissoit de quelque considération: Propter illos accipiatur quibus consulere non potest, si nimiá dejectione vilescat.

[ Voilà les leçons que les Pères et les conciles ont données aux ecclésiastiques, ou plutôt ils n'ont fait que renouveler celles que Jésus-Christ lui-même leur avoit laissées dans ses exemples. Qu'il nous exprime admirablement] la simplicité de sa vie, lorsqu'il nous dit : « Les renards » ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des >> nids et des retraites; mais le Fils de l'homme » n'a pas où reposer sa tête ! » Vulpes foveas habent, et volucres cœli nidos; Filius autem hominis non habet ubi caput reclinet. [ Son dessein, en nous tenant ce discours, n'est pas d'exciter en nous ] des sentiments de pitié [ sur un état, qui paroît à la nature si digne de compassion: mais il veut nous donner du courage, [et nous inspirer un généreux détachement de tout ce qui peut paroître le plus nécessaire; parceque la foi d'un ministre de Jésus-Christ ne connoît d'autre nécessité, que celle de tout sa-gere, quamdiu cum illis est sponsus*. Elle est sécrifier pour son Dieu et le salut des ames ].

[Telles sont les dispositions avec lesquelles on doit entrer dans le sacerdoce de Jésus-Christ, pour continuer son œuvre]; et malheur à ceux qui, poussés du desir de s'élever, cherchent, dans l'honneur attaché au sacerdoce, un moyen de se

'S. Ambr. ad Iren. Epist. xxvIII, n. 2; tom. II, col. 902.— 2 Conc. Carthag. IV. cap. XV. Lab. Concil. tom. u, col. 1201. Thid. c, XLV. col. 1204. - Matt. VIII. 20.

[Mais après avoir imité le saint dépouillement de Sulpice, à l'égard de toutes les vanités du siècle, il faut encore entrer dans son esprit de ] gémissement [sur les ames qui en sont malheureusement captives ]. L'état de l'Église, durant cette vie, c'est un état de désolation, parceque c'est un état de viduité: Non possunt filii sponsi lu

parée de son cher Époux, et elle ne peut se consoler d'avoir perdu plus de la moitié d'elle-même. Cet état de désolation et de viduité de l'Église doit paroître principalement dans l'ordre ecclésiastique. Le sacerdoce est un état de pénitence,

'S. Gregor. Mag. Past. 1. part. cap. vIII. tom. 11, col. 9. - Matt. x. 40. - S. August. ad Aurel. Epist. n. 7, t. II, col. 29. Matt, IX. 13.

contre Dieu: [ et s'il avoit tant de crédit pour la conservation et le rétablissement de la vie corporelle, ] combien plus en devoit-il avoir pour le soutien et le renouvellement de la vie spirituelle ?

Mais quel étoit son gémissement sur les ecclésiastiques mondains, [qui, par l'indécence de leur conduite, avilissent le saint ministère dont ils sont revêtus! Hélas! mes Frères, si le cœur sacerdotal de saint Sulpice était si vivement touché d'en voir dans ces heureux temps, qui ne cherchoient, dans l'honneur du sacerdoce, destiné à la ruine du monde, qu'un moyen de s'y avancer et d'y faire fortune; quels seroient ses larmes et ses sanglots aujourd'hui, où l'on en voit si peu qui entrent dans le ministère, avec un desir sincère de s'y consacrer entièrement au service de

pour ceux qui ne font pas pénitence; les prêtres doivent les pleurer, avec saint Paul, d'un cœur pénétré de la plus vive douleur: Lugeam multos qui non egerunt pœnitentiam '. [Car il ne faut pas s'imaginer qu'il suffise de se conduire d'une manière irréprochable, de donner à tous des exemples de toutes les vertus : Le prêtre vraiment digne de ce nom] « non-seulement ne » commet aucun crime, mais il déplore encore » et travaille à expier ceux des autres, comme » s'ils lui étoient personnels : » Nulla illicita perpetrat, sed perpetrata ab aliis, ut propria deplorat 2. Aussi les joies dissolues du monde portoient-elles un contre-coup de tristesse sur le cœur de saint Sulpice: car il écoutoit ces paroles comme un tonnerre: «Malheur à vous qui » riez maintenant, parceque vous serez réduits » aux pleurs et aux larmes! » Væ vobis qui ri-l'Église, et de se sacrifier pour Jésus-Christ? ] detis nunc, quia lugebitis et flebitis 3. Il s'ef- Oui, nous devons le dire avec douleur et confufrayoit pour son peuple, et tâchoit, par ses dis- sion; « ceux qui semblent porter la croix, la porcours, non d'exciter ses acclamations, mais de » tent de manière qu'ils ont plus de part à sa lui inspirer les sentiments d'une componction» gloire, que de société avec ses souffrances : » salutaire : Docente te in ecclesiá, non clamor | Hi qui putantur crucem portare, sic portant, populi, sed gemitus suscitetur 4.

ut plus habeant in crucis nomine dignitatis, quàm in passione supplicii '. [ Ils ignorent sans doute pourquoi ils sont prêtres; ils ne veulent pas entendre qu'ils n'ont été admis au sacerdoce de Jésus-Christ, que pour consommer l'œuvre de son immolation. Mais que feront-ils, lorsque ce grand pontife, prêtre et victime, paroîtra, et cherchera, pour les associer à sa gloire, des mi

mœurs, aient joint une mortification générale, une entière séparation de toutes les vanités et de tous les plaisirs du monde]? S'ils avoient de la foi, pourroient-ils y songer sans sécher d'effroi ?

1

Jésus-Christ, mes Frères, en choisissant ses ministres, leur dit encore, comme à saint Pierre: » M'aimes-tu ? pais mon troupeau. » En effet, >> il ne confieroit pas des brebis si tendre>>ment aimées à celui qui ne l'aimeroit pas : >> Neque enim non amanti committeret tam amatas. Cet amour [étoit la vraie] source des larmes de saint Sulpice ; [ et comme il aimoit sansnistres, qui, à l'innocence et à la pureté des mesure, ses larmes, sur les désordres de son peuple, ne pouvoient jamais tarir]. Jésus-Christ gémissant pour nous, [ dans les jours de sa vie mortelle, présentoit à ce saint évêque un modèle, qui pressoit son cœur de soupirer sans cesse pour ses frères. Il savoit que ce divin Sauveur, incaSaint Sulpice, touché de cette pensée, se repable de gémir depuis qu'il est entré dans sa tire, pour régler ses comptes avec la justice di · gloire, a spécialement établi les prêtres, pour le vine. Il connoît la charge d'un évêque; il sait suppléer dans cette fonction: aussi travailloit-il « que tous doivent comparoître devant le tribuà perpétuer, par le mouvement du même Esprit,» nal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive les gémissements ineffables du Pontife céleste].» ce qui est dû aux bonnes ou mauvaises actions Ses prières [ étoient continuelles, animées de cet » qu'il aura faites, pendant qu'il étoit revêtu de esprit de ferveur et de persévérance, qui force » son corps » Ut referat unusquisque propria la résistance même du ciel ]. « Il avoit éprouvé, corporis, prout gessit2. « Si le compte est si exact » par sa propre expérience, qu'il pouvoit obtenir » de ce qu'on fait en son propre corps, ô com» du Seigneur tout ce qu'il lui demanderoit: » » bien est-il redoutable de ce qu'on fait dans le Orationis usu et experimento jam didicit, » corps de Jésus-Christ, qui est son Église! » Si quod obtinere à Domino quæ poposcerit possit. reddenda est ratio de his quæ quisque gessit in Il l'avoit expérimenté, priant en faveur du roi, corpore suo, quid fiet de his quæ quisque gessit réduit à l'extrémité; puisqu'il l'avoit emporté in corpore Christi 3! Il ne se repose pas sur sa vocation si sainte, si canonique; il sait que Ju

II. Cor. xu. 21. tom. i, col. 10.

2 S. Greg. Mag. Pas. part. 1, cap. x; 3 Luc. VI. 25. -S. Hieron. ad Nepot.

Ep. XXXIV, tom. IV, col. 262. cap. x; tom. II, col, 10.

-S. Greg. Mag. Pust, part. I.

Salvian. de Gub. Dei, libr. III, n. 3, p. 48.— 2 II. Cor. v. 10. Serm. ad Cler. in conc. Rem. in Ap. op. S. Bern, tom. u, col, 733.

das a été élu par Jésus-Christ même, et que ce- | qui la tyrannisent, délivrée du tumulte des af

pendant, par son avarice, il a perdu la grace de l'apostolat.

Justice de Dieu, que vous êtes exacte! vous comptez tous les pas, vous mettez en la balance tous les grains de sable. Il se retire donc, pour se préparer à la mort, pour méditer la sévérité de la justice de Dieu. Il récompense un verre d'eau; mais il pèse une parole oiseuse, particulièrement dans les prêtres, où tout, jusqu'aux moindres actions, doit être une source de graces. Tout ce que nous donnons au monde, ce sont des larcins que nous faisons aux ames fidèles.

faires qui l'accablent, peut commencer à goûter, dans un doux repos, les joies solides, et des plaisirs capables de la contenter. Là, occupée à se purifier des souillures qu'elle a pu contracter dans le commerce du monde; plus elle devient pure et détachée, plus elle est en état de puiser à la source de ces voluptés célestes, qui l'élèvent, la transportent et l'ennoblissent, en l'attachant à l'auteur de tout bien.] Tous les autres divertissements [ne sont rien qu'un] charme de notre chagrin, qu'un amusement d'un cœur enivré. Vous sentez-vous dans ce tumulte, dans ce bruit, dans cette dissipation, dans cette sortie A quoi pensons-nous, chrétiens? que ne nous de vous-même? Avec quelle joie, dit David, retirons-nous, pour nous préparer à ce dernier « votre serviteur a trouvé son cœur, pour vous jour? N'avons-nous pas appris de l'apôtre, que» adresser sa prière ! » Invenit servus tuus cor nous sommes tous ajournés, pour comparoître suum, ut oraret te oratione hâc '. personnellement devant le tribunal de JésusChrist? Quelle sera cette surprise, combien étrange et combien terrible, lorsque ces saintes vérités, auxquelles les pécheurs ne pensoient jamais, ou qu'ils laissoient inutiles et négligées dans un coin de leur mémoire, leur paroîtront tout d'un coup, pour les condamner? Aigre, inexorable, inflexible, armée de reproches amers te trouverons-nous toujours, ô vérité persécutante? Oui, mes Frères, ils la trouveront: spectacle horrible à leurs yeux, poids intolérable sur leurs consciences, flammes dévorantes dans leurs entrailles. [Pour qu'elle nous soit alors favorable, il faut se retirer quelque temps; afin d'écouter ses conseils, avant que d'être convaincus par son témoignage, jugés par ses règles, condamnés par ses arrêts et par ses sentences suprêmes. Accoutumons-nous aux yeux et à la présence de notre juge; [prévenons cette] solitude effroyable, où l'ame se trouvera réduite devant Jésus-Christ, [lorsqu'elle sera citée à son tribunal] pour lui rendre compte. Le remède le plus efficace, c'est une douce solitude devant luimême, pour lui préparer ses comptes. Attendre à la mort, combien dangereux! c'est le coup du souverain Dieu presse trop violemment.

:

[ocr errors]

Mais cette solitude est ennuyeuse, [et qui peut se résoudre à s'y enfoncer?] « O que le père du » mensonge ce malicieux imposteur, nous » trompe subtilement, pour empêcher que nos >> cœurs, avides de joie, ne fassent le discerne» ment des véritables sujets de se réjouir!» Heu, quàm subtiliter nos ille decipiendi artifex fallit, ut non discernamus, gaudendi avidi unde veriùs gaudeamus ' ! [C'est dans la solitude que l'ame, dégagée des objets sensibles Julian. Pom. de vilá contemp. lib. 11, c. XIII, int. oper. S. Prosp.

Mais l'on craint de passer pour un homme inutile, et de rendre sa vie méprisable: Sed ignavam infamabis. Il faut faire quelque figure dans le monde; [y devenir important, nécessaire; servir l'état et la patrie : Patriæ et imperio, reique vivendum est 2. Ainsi le temps s'écoule sans s'en apercevoir. Sous ces spécieux prétextes, on contracte chaque jour de nouveaux engagements avec le monde, loin de rompre les anciens. L'unique nécessaire est le seul négligé : tous les bons mouvements, qui nous portoient à nous en occuper, se dissipent; et enfin, après avoir été le jouet du temps, du monde et de soimême, on est surpris de se voir arrivé, sans préparation, aux portes de l'éternité.

Madame, votre majesté doit penser sérieusement à ce dernier jour. Nous n'osons y jeter les yeux; cette pensée nous effraie, et fait horreur à

tous vos sujets, qui vous regardent comme leur mère, aussi bien que comme celle de notre monarque. Mais, madame, autant qu'elle nous fait horreur, autant votre majesté se la doit rendre ordinaire et familière. Puisse votre majesté être tellement occupée de Dieu, avoir le cœur tellement percé de la crainte de ses jugements, l'ame si vivement pénétrée de l'exactitude et des rigueurs de sa justice, qu'elle se mette en état de rendre bon compte d'une si grande puissance, et de tout le bien qu'elle peut faire, et encore de tout le mal qu'elle peut, ou empêcher par autorité, ou modérer par conseils, ou détourner par prudence : c'est ce que Dieu demande de vous. Ah! si les vœux que je lui fais pour votre salut sont reçus devant sa face, cette salutaire pensée jettera votre majesté dans une humiliation si profonde, que, méprisant autant sa grandeur

II. Reg. VII. 27.-2 Tertul. de Pallio, n. 5.

royale, que nous sommes obligés de la révérer, elle fera sa plus chère occupation du soin de mériter, dans le ciel, une couronne immortelle.

PANÉGYRIQUE

DE

SAINT FRANÇOIS DE SALES.

La science de saint François de Sales, lumineuse, mais beaucoup plus ardente. Avec quel fruit il a travaillé à l'édification de l'Église. Son éloignement pour tous les objets de l'ambition: bel exemple de sa modération. Douceur extrème, qu'il témoignoit aux ames qu'il conduisoit. Cette douceur absolument nécessaire au directeur : trois vertus principales qu'elle produit. Combien le saint prélat les possédait éminemment.

Alle erat lucerna ardens et lucens.

Il étoit une lampe ardente et luisante. Joan. v. 33.

*

Laissons un spectacle de cruauté pour arrêter notre vue sur l'image de la douceur même : laissons des petits enfants, qui emportent la couronne des hommes, pour admirer un homme qui a l'innocence et la simplicité des enfants : laissons des mères désolées, qui ne veulent point recevoir de consolation dans la perte qu'elles font de leur fils, pour contempler un père toujours constant, qui a amené lui-même ses filles à Dieu, afin de les immoler de ses propres mains, par la mortification religieuse. Il n'est pas malaisé, ce semble, de louer un père si vénérable devant des filles si respectueuses; puisqu'elles ont le cœur si bien préparé à écouter ses louanges: mais à le considérer par un autre endroit, cette entreprise est fort haute; parcequ'étant si justement prévenues d'une estime extraordinaire de ses vertus, il n'est rien de plus difficile que de satisfaire à leur piété, remplir leurs justes desirs, et égaler leurs grandes idées. C'est ce qui me fait desirer, mes Sœurs, pour votre entière satisfaction, que l'éloge de ce grand homme eût déja été fait en ce lieu auguste, où se prononcent les oracles du christianisme. Mais en attendant ce glorieux jour, trop éloigné pour nos vœux, qui ouvrira la bouche des prédicateurs, pour faire retentir, par toutes les chaires, les mérites incomparables de François de Sales, votre très saint instituteur; nous pouvons nous entretenir en particulier de ses admirables ver

*Bossuet a prononcé ce panégyrique dans un couvent de la Visitation, avant que saint François de Sales eût été canonisé, et par conséquent avant que sa fête eût été fixée au 29 janvier. Il le prêcha le jour des saints Innocents, qui est le jour de la mort de ce saint évêque : c'est ce qui explique le commencement de l'exorde, qui paroîtroit singulier si l'on ignoroit cette circonstance. (Édit. de Versailles.)

tus,

et honorer, avec ses enfants, sa bienheureuse mémoire, qui est plus douce à tous les fidèles qu'une composition de parfums, comme parle l'Écriture sainte . Commençons donc, chères ames, cette sainte conversation avec la bénédiction du ciel; et pour implorer son secours, employons les prières de la sainte Vierge, en disant, Ave.

Il y a assez de fausses lumières, qui ne veulent briller dans le monde que pour attirer l'admiration par la surprise des yeux. Il est assez naturel aux hommes de vouloir s'élever aux lieux éminents, pour étaler de loin, avec pompe, l'éclat d'une superbe grandeur. Ce vice, si commun dans le monde, est entré bien avant dans l'Église, et a gagné jusqu'aux autels. Beaucoup veulent monter dans les chaires, pour y charmer les esprits par leur science et l'éclat de leurs pensées délicates; mais peu s'étudient, comme il faut, à se rendre capables d'échauffer les cœurs par des sentiments de piété. Beaucoup s'empressent, avec ardeur, de paroître dans les grandes places, pour luire sur le chandelier 2; peu s'appliquent sérieusement à jeter, dans les ames, ce feu céleste que Jésus a apporté sur la terre.

François de Sales, mes Sœurs, votre saint et admirable instituteur, n'a pas été de ces faux luisants, qui n'attirent que des regards curieux et des acclamations inutiles. Il avoit appris de l'Évangile, que les amis de l'Époux et les ministres de sa sainte Église devoient être ardents et luisants; qu'ils devoient non seulement éclairer, mais encore échauffer la maison de Dieu : Ille erat lucerna ardens et lucens. C'est ce qu'il a fidèlement accompli, durant tout le cours de sa vie; et il ne sera pas malaisé de vous le faire connoître fort évidemment, par cette réflexion.

Trois choses principalement lui ont donné beaucoup d'éclat dans le monde : la science, comme docteur et prédicateur; l'autorité, comme évêque; la conduite, comme directeur des ames. La science l'a rendu un flambeau, capable d'illuminer les fidèles; la dignité épiscopale a mis ce flambeau sur le chandelier, pour éclairer toute l'Église; et le soin de la direction a appliqué cette lumière bénigne à la conduite des particuliers. Vous voyez combien reluit ce flambeau sacré; admirez maintenant comme il échauffe. Sa science, pleine d'onction, attendrit les cœurs; sa modestie, dans l'autorité, enflamme les hommes à la vertu; sa douceur, dans la direction, les gagne à l'amour de notre Seigneur. Voilà donc un flambeau ardent et luisant : si sa science reluit, parcequ'elle est claire, elle échauffe en

[ocr errors][merged small]
« PrécédentContinuer »