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Devant une exaltation qui créait un danger réel pour la Turquie, le devoir des alliés était d'intervenir (1).

Le 1er mai, M. Drouyn de Lhuys appelait l'attention du gouvernement anglais sur la situation qui devenait grave, disait-il; et à la suite d'un accord entre la France et l'Angleterre, une brigade de la division Forey fut débarquée au Pirée où elle dut rester jusqu'à la paix. C'est grâce à la présence des troupes françaises que la Grèce n'avait pas pris les armes et que le danger avait été conjuré de ce côté; la Turquie avait donc pu poursuivre sans crainte ses opérations militaires contre la Russie.

Aussitôt qu'avait été décidée la réunion d'un Congrès, avons-nous dit, les plénipotentiaires, en reconnaissance du rôle prépondérant de la France dans la guerre de Crime et dans toute cette phase de la question d'Orient, désignèrent Paris pour en être le siège. Ils se plurent à renouveler l'hommage fait à la France, en élevant à la présidence du Congrès le comte Walewski, ministre des Affaires étrangères de l'Empire, dès la première réunion qui se tint au quai d'Orsay le 25 février 1856.

(1) Dans le Journal le Siècle, cité par Forcade, (Revue des DeuxMondes, 45 juillet 1854, p. 394), le poète Panaghisti Soutzo publiait les vers suivants : « Comme un mortier de bronze échauffé vomit des boulets petits et grands, des clés, des chaines et des matières combustibles qui coupent les rangs ennemis et consument tout ce qu'elles touchent, montre toi aussi, ò Grèce, un grand mortier vomissant sur la Thessalie, sur l'Épire et sur la Macédoine, des soldats et des généraux, des combattants, des marins, des hommes éloquents et politiques, et partout où un Gree se montre qu'il fasse un carnage dans l'armée turque; partout où un Grec se jette, qu'il fasse un incendie! >>>

Les Grees ont toujours eu l'éloquence facile et enthousiaste : ils n'ont du reste pas changé et se sont montrés les mêmes en 1897 qu'en 1854, voire même qu'au siècle de Périclès.

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Le congrès s'annonçait comme un évènement de la plus haute importance, et Paris recevait les personnages les plus considérables de l'Europe.

Presque toutes les puissances avaient tenu à y envoyer comme premier plénipotentiaire leur ministre des affaires étrangères. Sous la présidence du comte Valewski, prirent place le comte de Buol, lord Clarendon, le comte Orloff, le comte de Cavour, Ali-Pacha, et plus tard le baron de Manteuffel.

Nous n'entrerons pas dans le détail des séances du congrès de Paris, elles se résument dans les traités qui en sont le couronnement.

C'est sur le traité du 30 mars 1856, et ses annexes que va maintenant se porter notre attention.

Nous allons essayer d'en donner une vue d'ensemble, et une appréciation générale, qui trouvera un développement naturel dans l'étude détaillée que nous ferons de l'exécution du traité de Paris.

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Appréciation générale. Situation créée par le traité.

1o La Turquie. — Elle entre dans le concert européen. — L'article 7. Traité de garantie de l'indépendance de l'empire Ottoman, 45 avril,― portée d'un tel traité.- Conditions imposées à la Turquie. L'article 9. Neutralisation de la mer Noire et des détroits.

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Le Danube et la liberté de navigation des fleuves internationaux. 20 Les puissances. Les Grandes Puissances. L'intervention collective: a) La Russie, OEuvre de réorganisation intérieure; b) La France et l'Angleterre, l'alliance anglo-française ne durera pas, mot de Talleyrand; c) Les puissances allemandes, Autriche et Prusse. le vrai vaincu c'est l'Autriche ; d) La Sardaigne, Remarquable politique du comte de Cavour, - la question italienne est posée.

3o Les nationalités de l'Empire Ottoman en 1856 : a) Principautés danubiennes; b) Serbie; c) Autres provinces de l'Empire Ottoman. Le Traité de Paris fait peu pour les nationalités; mais il fait naître beaucoup d'espérances; ( La Grèce.

«Eh bien! M. le Comte, dit l'Empereur, au premier entretien avec le comte Orloff, nous apportez-vous la paix? » « Sire, je viens la chercher,» répondit l'ambassadeur

russe.

Le ton était bien changé depuis la mission de Menchikof, et la Russie allait supporter les conséquences de la guerre qu'elle avait elle-même allumée en Europe (1). Mais les vainqueurs montrèrent une modération qui n'a

(1) La prise de Kars avait été la seule victoire importante des armées russes.

pas toujours été imitée depuis; et, s'ils ont pris des mesures nécessitées par l'ambition de Nicolas Ier, du moins n'ont-ils pas voulu dépouiller le vaincu.

Ils avaient pris les armes dans l'intérêt de l'équilibre européen; ils eurent le courage et le bon sens de ne pas chercher à renverser cet équilibre à leur profit, et, fidèles à l'engagement pris dès le commencement des hostilités, de ne rechercher « aucun avantage particulier », ils ne réclamèrent ni augmentation de territoire ni avantages politiques (1).

Deux idées dominèrent les négociations de Paris : limitation des forces offensives de la Russie et établissement de la protection et du contrôle collectif de l'Europe sur la Turquie.

Dans ce but, les plénipotentiaires neutralisèrent la mer Noire, et assurèrent la liberté de navigation sur le cours inférieur du Danube. Pour séparer plus complètement la Russie de la Turquie, les représentants de la France avaient eu l'idée de créer sur les bords de ce fleuve un État capable d'opposer une résistance sérieuse à toute tentative. d'invasion. Mais cette idée fut repoussée par le congrès; elle n'aboutit, et encore bien imparfaitement, nous le verrons, qu'après de nouvelles et longues négociations (2).

Enfin, le Congrès, tout en admettant l'Empire Ottoman dans le concert européen, consacra, quoiqu'on en ait pu

(4) Art. 4 du traité de Londres du 10 avril 1854 : « Animées du désir de maintenir l'équilibre européen, les H. P. C. renoncent d'avance à retirer aucun avantage particulier des évènements qui pourront se produire. »

(2) Cet état est la Roumanie. Mais actuellement encore, les peuples roumains ne sont pas tous réunis sous le sceptre du roi Charles.

dire, le droit d'intervention des Puissances à son égard. On peut toutefois regretter qu'il se soit insuffisamment occupé des nationalités de l'Empire Ottoman et ait semblé ainsi avoir voulu se préparer des prétextes pour des interventions futures.

Nous allons, en reprenant les trois éléments de la question d'Orient, jeter successivement un coup d'œil sur la situation faite en 1856, à la Turquie, aux Puissances et aux Nationalités (1).

40 La Turquie.

La Turquie, cause première de la guerre, à qui la France, l'Angleterre et la Sardaigne avaient prêté le secours de leurs armes, ne devait pas tirer grand parti du traité. Elle avait peu brillé sur les champs de bataille : l'incapacité de ses généraux et la rapacité de ses administrateurs avaient fait oublier la bravoure de ses soldats, et son armée avait perdu de son prestige en proportion de l'admiration provoquée par nos troupes. La lutte devant Sébastopol avait

(1) « Trois éléments constituent la question d'Orient les Puis«sances, la Turquie, les nations qu'elle a autrefois subjuguées et dont « les unes aujourd'hui sont libres et dont les autres cherchent à le « devenir.

«Depuis un siècle, l'Europe cherche à maintenir la Turquie en pos« session de son domaine. La Turquie décline et devient chaque jour « plus incapable de conserver un empire qui ne se maintient que par « la violence. Les nations qu'elle a asservies cherchent à s'émanciper, «ou, si elles le sont déjà, à reconquérir sur le Ture les territoires qu'elles occupaient avant l'invasion ottomane et à reconstituer sur « ses anciennes bases leur ancienne puissance. » (Max Choublier. La Question d'Orient depuis le traité de Berlin, p. 28. Paris 1897. Chez Rousseau.)

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