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IL

LE MÉDECIN MALGRÉ LUI. 171

ACTE TROISIEME.

SCENE I.

LEANDRE, SGANARELLE.

LÉANDRE.

L me semble que je ne suis pas mal ainsi pour un apothicaire; et, comme le pere ne m'a guere vu, ce changement d'habit et de perruque est assez capable, je crois, de me déguiser à ses yeux.

Sans doute.

SGANARELLE.

LÉANDRE.

Tout ce que je souhaiterois seroit de savoir cinq ou six grands mots de médecine pour parer mon discours et me donner l'air d'habile homme.

SGANARELLE.

Allez, allez, tout cela n'est pas nécessaire ; il suffit de l'habit: et je n'en sais pas plus que vous.

LÉANDRE.

Comment!

SGANARELLE.

Diable emporte,

si j'entends rien en médecine! Vous êtes honnête homme, et je veux bien me confier à vous comme vous vous confiez à moi.

LÉANDRE.

Quoi! vous n'êtes

pas

effectivement...

SGANARELLE.

Non, vous dis-je ; ils m'ont fait médecin malgré mes dents. Je ne m'étois jamais mêlé d'être si savant que cela; et toutes mes études n'ont été que jusqu'en sixieme. Je ne sais pas sur quoi cette imagination leur est venue; mais quand j'ai vu qu'à toute force

ils vouloient que je fusse médecin, je me suis résolu de l'être aux dépens de qui il appartiendra. Cependant vous ne sauriez croire comment l'erreur s'est répandue, et de quelle façon chacun est endiablé à me croire habile homme. On me vient chercher de tous côtés; et, si les choses vont toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir toute ma vie à la médecine. Je trouve que c'est le métier le meilleur de tous; car, soit qu'on fasse bien, ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos ; et nous taillons comme il nous plaît sur l'étoffe où nous travaillens. Un cordonnier en faisant des souliers ne sauroit gåter un morceau de cuir qu'il n'en paie les pots cassés ; mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous, et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession est qu'il y a parmi les morts une honnêteté, une discrétion la plus grande du moude; et jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui l'a tué.

LEANDRE.

Il est vrai que les morts sont fort honnêtes gens

sur cette matiere.

SGANARELLE, Voyant des hommes qui viennent

à lui.

Voilà des gens qui ont la mine de me venir consulter. (à Léandre.) Allez toujours m'attendre auprès du logis de votre maîtresse.

SCENE II.

THIRAUT, PERRIN, SGANARELLE.

THIBAUT.

Monsieu, je venons vous charcher, mon fils Perrin

et moi.

SGANARELLE.

Qu'y a-t-il?

THIBAUT.

Sa pauvre mere, qui a nom Parrette, est dans un lit malade il y a six mois.

SGANARELLE, tendant la main comme pour recevoir de l'argent.

Que voulez-vous que j'y fasse?

THIBAUT.

Je voudrions, monsieu, que vous nous baillissiez queuque petite drôlerie pour la garir.

SGANARELLE.

Il faut voir. De quoi est-ce qu'elle est malade?

THERAUT.

Alle est malade d'hypocrisie, monsieu.

D'hypocrisie?

SGANARELLE.

THIBAUT.

Oui, c'est-à-dire qu'alle est enflée par-tout ; et l'an dit que c'est quantité de sériosités qu'alle a dans le corps, et que son foie, son ventre, ou sa rate, comme vous voudrais l'appeler, au glieu de faire du sang, ne fait plus que de l'iau. Alle a, de deux jours l'un, la fievre quotiguenne, avec des lassitudes et des douleurs dans les mufles des jambes. On entend dans sa gorge des fleumes qui sont tout prêts à l'étouffer; et par fois il li prend des syncoles et des conversions, que je crayons qu'alle est passée. J'avons dans notre village un apothicaire, révérence parler, qui li a donné je ne sais combien d'histoires; et il m'en coûte plus d'eune douzaine de bons écus en lavements, ne v's en déplaise, en apostumes qu'on li a fait prendre, en infections de jacinthe, et en portions cordales. Mais tout ça, comme dit l'autre, n'a été que de l'onguent mitonmitaine. Il veloit li bailler d'une certaine drogue que l'on appelle du vin amétile; mais j'ai-z-eu peur fran

chement que ça l'envoyît a patres; et l'an dit que ces gros médecins tuont je ne sais combien de monde avec cette invention-là.

SCANARELLE, tendant toujours la main. Venons au fait, mon ami, venons au fait.

THIBAUT.

Le fait est, monsieu, que je venons vous prier de nons dire ce qu'il faut que je fassions.

SGANARELLE.

Je ne vous entends point du tout.

PERRIN.

Monsieu, ma mere est malade; et v'là deux écus que je vous apportons pour nous bailler queuque remede.

SGANARELLE.

Ah! je vous entends, vous. Voilà un garçon qui parle clairement, et qui s'explique comme il faut. Vous dites que votre mere est malade d'hydropisie, qu'elle est enflée par tout le corps, qu'elle a la fievre, avec des douleurs dans les jambes, et qu'il lui prend par fois des syncopes et des convulsions, c'est-à-dire des évanouissements?

PERRIN.

Hé! oui, monsieu, c'est justement ca.

SCANARELLE.

J'ai compris d'abord vos paroles. Vous avez aq pere qui ne sait ce qu'il dit. Maintenant vous me demandez un remede?

Qui, monsieu.

PERRIN.

SGANARELLE.

Un remede pour la guérir?

PERRIN.

C'est comme je l'entendons.

SGANARELLE.

Tenez, voilà un morceau de fromage qu'il faut que vous lui fassiez prendre.

PERRIN.

Du fromage, monsieu ?

SGANARELLE.

Oui; c'est un fromage préparé, où il entre de l'or, du corail et des perles, et quantité d'autres choses. précieuses.

PERRIN.

Monsieu, je vous sommes bien obligés; et j'allons li faire prendre ça tout-à-l'heure.

SGANARELLE.

Allez. Si elle meurt, ne manquez pas de la faire enterrer du mieux que vous pourrez.

SCENE III.

JACQUELINE, SGANARELLE; LUCAS, dans le fond du théâtre.

SGANARELLE.

Voici la belle nourrice. Ah! nourrice de mon cœur, je suis ravi de cette rencontre; et votre vue est la rhubarbe, la casse, et le séné, qui purgent toute la mélancolie de mon ame.

JACQUELINE.

Par ma figué, monsieu le médecin, ça est trop bian dit pour moi, et je n'entends rian à tout votre latin.

SGANARELLE.

Devenez malade, nourrice, je vous prie; devenez malade pour l'amour de moi. J'aurois toutes les joies du monde de vous guérir.

JACQUELINE.

Je sis votre sarvante; j'aime bian mieux qu'an ne me garisse pas.

SGANARELLE.

Que je vous plains, belle nourrice, d'avoir un mari jaloux et fàcheux comme celui que vous avez!

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