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LE SICILIEN,

OU

L'AMOUR PEINTRE.

SCENE I.

HALI, MUSICIENS.

HALI, aux musiciens.

CHUT. N'avancez pas davantage, et demeurez dans cet endroit jusqu'à ce que je vous appelle.

SCENE II.

HALI, seul.

Il fait noir comme dans un four. Le ciel s'est habillé ce soir en scaramouche, et je ne vois pas une étoile qui montre le bout de son nez. Sotte condition que celle d'un esclave, de ne vivre jamais pour soi, et d'être toujours tout entier aux passions d'un maitre, de n'être réglé que par ses humeurs, et de se voir réduit à faire ses propres affaires de tous les soucis qu'il peut prendre! Le mien me fait ici épouser ses inquiétudes; et, parcequ'il est amoureux, il faut que, nuit et jour, je n'aie aucun repos. Mais voici des flambeaux; et sans doute c'est lui.

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ADRASTE; DEUX LAQUAIS, portant chacun un flambeau; HÁLI.

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Et qui pourroit-ce être que moi, à ces heures de nuit? Hors vous et moi, monsieur, je ne crois pas que personne s'avise de courir maintenant les rues.

ADRASTE.

Aussi ne crois-je pas qu'on puisse voir personne qui sente dans son cœur la peine que je sens. Car, enfin, ce n'est rien d'avoir à combattre l'indifférence ou les rigueurs d'une beauté qu'on aime, on a toujours au moins le plaisir de la plainte et la liberté des soupirs mais ne pouvoir trouver aucune occasion de parler à ce qu'on adore, ne pouvoir savoir d'une belle si l'amour qu'inspirent ses yeux est pour lui plaire ou lui déplaire, c'est la plus fâcheuse, à mon gré, de toutes les inquiétudes; et c'est où me réduit l'incommode jaloux qui veille, avec tant de souci, sur ma charmante Grecque, et ne fait pas un pas sans la traîner à ses côtés.

HALI.

Mais il est, en amour, plusieurs façons de se parler; et il me semble, à moi, que vos yeux et les siens, depuis près de deux mois, se sont dit bien des choses.

ADRASTE.

Il est vrai qu'elle et moi souvent nous nous sommes parlé des yeux; mais comment reconnoître que chacun de notre côté nous ayons comme il faut expliqué ce langage? Et que sais-je, après tout, si elle entend

bien tout ce que mes regards lui disent, et si les siens me disent ce que je crois par fois entendre?

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Fais-les approcher. ( seul. ) Je veux jusqu'au jour les faire ici chanter, et voir si leur musique n'obligera point cette belle à paroître à quelque fenêtre.

SCENE IV.

ADRASTE, HALI, MUSICIENS.

HALI.

Les voici. Que chanteront-ils ?

ADRASTE.

Ce qu'ils jugeront de meilleur.

HALI.

Il faut qu'ils chantent un trio qu'ils me chanterent l'autre jour.

ADRASTE.

Non. Ce n'est pas ce qu'il me faut.

HALI.

Ah! monsieur, c'est du beau bécarre.

ADRASTE.

Que diantre veux-tu dire avec ton beau bécarre?

HALI.

Monsieur, je tiens pour le bécarre. Vous savez que je m'y connois. Le bécarre me charme; hors du bécarre point de salut en harmonie. Ecoutez un peu ce trio.

ADRASTE.

Non, je veux quelque chose de tendre et de passionné, quelque chose qui m'entretienne dans une douce rêverie.

HALI.

Je vois bien que vous êtes pour le bémol. Mais il y a moyen de nous contenter l'un et l'autre : il faut qu'ils vous chantent une certaine scene d'une petite comédie que je leur ai va essayer. Ce sont deux bergers amoureux, tout remplis de langueur, qui, sur bémol, viennent séparément faire leurs plaintes dans un bois, puis se découvrent l'un à l'autre la cruauté de leurs maîtresses; et là-dessus vient un berger joyeux avec un bécarre admirable, qui se moque de leur foiblesse.

ADRASTE.

J'y consens. Voyons ce que c'est.

HALI.

Voici tout juste un lieu propre à servir de scene; et voilà deux flambeaux pour éclairer la comédie.

ADRASTE.

Place-toi contre ce logis, afin qu'au moindre bruit que l'on fera dedans je fasse cacher les lumieres.

FRAGMENT DE COMÉDIE, chanté et accompagné par les musiciens qu'Hali

a amenés.

SCENE PREMIERE.

PHILENE TIRCIS.

PREMIER MUSICIEN, représentant Philene.
Si du triste récit de mon inquiétude
Je trouble le repos de votre solitude,

Rochers, ne soyez point fâchés:

Quand vous saurez l'excès de mes peines secretes, Tout rochers que vous êtes,

Vous en serez touchés.

DEUXIEME MUSICIEN, représentant Tircis. Les oiseaux réjouis dès que le jour s'avance Recommencent leurs chants dans ces vastes forêts; Et moi j'y recommence

Mes soupirs languissants et mes tristes regrets.
Ah! mon cher Philene...

PHILEN E.

Ah! mon cher Tircis...

TIRCIS.

Que je sens de peine !

PHILEN E.

Que j'ai de soucis!

TIRCI S.

Toujours sourde à mes vœux est l'ingrate Climene.

PHILEN E.

Chloris n'a point pour moi de regards adoucis.

TOUS DEUX ENSEMBLE.

O loi trop inhumaine!

Amour, si tu ne peux les contraindre d'aimer, Pourquoi leur laisses-tu le pouvoir de charmer?

SCENE II.

PHILENE, TIRCIS, UN PATRE.

TROISIEME MUSICIEN, représentant un pátre.
Pauvres amants, quelle erreur
D'adorer des inhumaines!

Jamais les ames bien saines

Ne se payent de rigueur;
Et les faveurs sont des chaînes
Qui doivent lier un cœur.

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