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SCENE III.

MESSIEURS DESFONANDRES, TOMÈS,
MACROTON, BAHIS.

(Ils s'asseyent et toussent. )

M. DESFONANDRÈS.

Paris est étrangement grand, et il faut faire de longs trajets quand la pratique donne un peu. M. TOMÈS.

Il faut avouer que j'ai une mule admirable pour cela, et qu'on a peine à croire le chemin que je lui fais faire tous les jours.

M. DESFONANDRÈS.

J'ai un cheval merveilleux, et c'est un animal infatigable.

M. TOMÈS.

Savez-vous le chemin que ma mule a fait aujourd'hui? J'ai été premièrement tout contre l'Arsenal; de l'Arsenal, au bout du fauxbourg Saint-Germain; du fauxbourg Saint-Germain, au fond du Marais; du fond du Marais, à la porte Saint-Honoré; de la porte Saint-Honoré, au fauxbourg Saint-Jacques; du fauxbourg Saint-Jacques, à la porte de Richelieu; de la porte de Richelieu, ici; d'ici, je dois aller encore à la Place royale.

M. DESFONANDRÈS.

Mon cheval a fait tout cela aujourd'hui; et de plus, j'ai été à Ruel voir un malade.

M. TOMÈS.

Mais, à propos, quel parti prenez-vous dans la querelle des deux médecins Théophraste et Artémius? car c'est une affaire qui partage tout notre corps.

M. DESFONANDRÈS.

Moi, je suis pour Artémius.

M. TOMÈS.

Et moi aussi. Ce n'est pas que son avis, comme on a vu, n'ait tué le malade, et que celui de Théophraste ne fût beaucoup meilleur assurément; mais enfin il a tort dans les circonstances, et il ne devoit pas être d'un autre avis que son ancien. Qu'en ditesvous?

M. DESFONANDRÈS.

Sans doute, il faut toujours garder des formalités, quoi qu'il puisse arriver.

M. TOMÈS.

Pour moi, j'y suis sévere en diable, à moins que ce ne soit entre amis; et l'on nous assembla un jour, trois de nous autres, avec un médecin de dehors, pour une consultation, où j'arrêtai toute l'affaire, et ne voulus point endurer qu'on opinất, si les choses n'alloient dans l'ordre. Les gens de la maison faisoient ce qu'ils pouvoient, et la maladie pressoit; mais je n'en voulus point démordre, et la malade mourut bravement pendant cette contestation.

M. DESFONANDRÈS.

C'est fort bien fait d'apprendre aux gens à vivre et de leur montrer leur béjaune.

M. TOMÈS.

Un homme mort n'est qu'un homme mort, et ne fait point de conséquence; mais une formalité négligée porte un notable préjudice à tout le corps des médecins.

SCENE I V.

SGANARELLE, MESSIEURS TOMÈS, DESFONANDRÈS, MACROTON, BAHIS.

SGANARELLE.

Messieurs, l'oppression de ma fille augmente; je vous prie de me dire vîte ce que vous avez résolu. M. TOMÈS, à M. Desfonandrès.

Allons, monsieur.

M. DESFONANDRÈS.

Non, monsieur; parlez, s'il vous plaît.
M. TOMÈS.

Vous vous moquez.

M. DESFONANDRÈS.

Je ne parlerai pas le premier.

M. TOMÈS.

Monsieur...

M. DESFONANDRES.

Monsieur...

SGANARELLE.

Hé! de grace, messieurs, laissez toutes ces cérémonies, et songez que les choses pressent. (Ils parlent tous quatre à-la-fois.)

M. TOMÈS.

La maladie de votre fille...

M. DESFONANDRÈS.

L'avis de tous ces messieurs tous ensemble...

M. MACROTON.

A-près avoir bien con-sul-té...

M. BAHIS.

Pour raisonner...

SGANARELLE.

Hé! messieurs, parlez l'un après l'autre, de grace.

M. TOMÈS.

Monsieur, nous avons raisonné sur la maladie de

votre fille; et mon avis, à moi, est que cela procede d'une grande chaleur de sang: ainsi je conclus à la saigner le plutôt que vous pourrez.

M. DESFONANDRÈS.

Et moi, je dis que sa maladie est une pourriture d'humeurs, causée par une trop grande réplétion: ainsi je conclus à lui donner de l'émétique.

M. TOMÈS.

Je soutiens que l'émétique la tuera.
M. DESFONANDRÈS.

Et moi, que la saignée la fera mourir.
M. TOMÈS.

C'est bien à vous de faire l'habile homme!
M. DESPON ANDRÈS.

Oui, c'est à moi; et je vous prêterai le collet en tout genre d'érudition.

M. TOMÈS.

Souvenez-vous de l'homme que vous fites crever ces jours passés.

M. DESFONANDRÈS.

Souvenez-vous de la dame que vous avez envoyée en l'autre monde, il y a trois jours.

M. TOMÈS, à Sganarelle.

Je vous ai dit mon avis.

M. DESFONANDRÈS, à Sganarelle. Je vous ai dit ma pensée.

M. TOMES.

Si vous ne faites saigner tout-à-l'heure votre fille, c'est une personne morte. (Il sort.)

M. DESFONANDRÈS.

Si vous la faites saigner, elle ne sera pas en vie dans un quart-d'heure. (Il sort.)

SCENE V.

SGANARELLE, MESSIEURS MACROTON, BAHIS.

SGANARELLE.

A qui croire des deux ? et quelle résolution prendre sur des avis si opposés? Messieurs, je vous conjure de déterminer mon esprit, et de me dire sans passion ce que vous croyez le plus propre à soulager ma fille.

M. MACROTON.

Mon-si-eur, dans ces ma-ti-e-res-là, il faut pro-céder a-vec-que cir-con-spec-ti-on, et ne ri-en fai-re, com-me on dit, à la vo-lé-e, d'au-tant que les fau-tes qu'on y peut fai-re sont, se-lon no-tre maî-tre Hippo-cra-te, d'u-ne dan-ge-reu-se con-sé-quen-ce.

M. BAHIS, bredouillant.

Il est vrai; il faut bien prendre garde à ce qu'on fait, car ce ne sont point ici des jeux d'enfants; et quand on a failli, il n'est pas aisé de réparer le manquement et de rétablir ce qu'on a gâté. Experimentum periculosum. C'est pourquoi il s'agit de raisonner auparavant comme il faut, dc peser mûrement les choses, de regarder le tempérament des gens, d'examiner les causes de la maladie, et de voir les remedes qu'on y doit apporter.

SGANARELLE, à part.

L'un va en tortue, et l'autre court la poste.

M. MACROTON.

Or, mon-si-eur, pour ve-nir an fait, je trou-ve que vo-tre fil-le a u-ne ma-la-die chro-ni-que, et qu'el-le peut pé-ri-cli-ter si on ne lui don-ne du se-cours, d'au-tant que les symp-tô-mes qu'el-le a sont in-dica-tifs d'u-ne va-peur fu-li-gi-neu-se et morr-di-can-te qui lui pi-co-te les mem-bra-nes du cer-veau. Or cet-te va-peur, que nous nom-mons en grec at-mos,

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