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nière en Angleterre, quand elle lui envoya des souvenirs et des gages de son admiration. Dois-je, hélas! ajouter que, non content de chanter la victime, Ronsard chanta aussi le bourreau! I paya, dans ses vers, un tribut à Élisabeth, qui avait, de son côté, courtisé les faveurs du poëte en lui envoyant un diamant monté sur une bague. Triste exemple, entre mille, que la dignité du caractère n'est pas toujours l'apanage du talent!

Cependant, Ronsard avait assisté en France à beaucoup de changements. Né sous le règne de François Ier, il avait vu ce roi et trois autres passer, successivement et prématurément, du trône à la tombe. Tous les souverains se déclarèrent les patrons de Ronsard; mais ce fut surtout Charles IX qui le combla de faveurs. On assure qu'il l'admit plus d'une fois comme conseiller, et qu'il lui accordait une grande liberté de parole dans ses tête-à-tête. Ce qui est plus certain, c'est qu'il échangea avec le grand poëte du temps un commerce de vers. Ronsard avait écrit à Charles IX encore enfant :

Sire, ce n'est pas tout que d'être roi de France;
Il faut que la vertu couronne votre enfance.
Un roi sans la vertu porte le sceptre en vain,
Qui ne lui sert, sinon de fardeau dans la main.

Plus tard, le jeune prince lui répondit :

L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner;
Tous deux également nous portons la couronne ;
Mais, roi, je la reçois. poëte, tu la donnes.
Ton esprit, enflammé d'une céleste ardeur,
Eclate par soi-même et moi par ma grandeur.
Si, du côté des dieux, je cherche l'avantage,
Ronsard est leur ami, si je suis leur image.
Ta lyre, qui ravit par de si beaux accords,
Te soumet les esprits dont je n'ai que les corps.
Elle t'en rend le maitre et te sait introduire
Où le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire.

Elle amollit les cœurs et soumet la beauté.
Je puis donner la mort; toi, l'immortalité !

Quel malheur, que la main qui a écrit ces beaux vers ait fait la Saint-Barthélemy!

Henri III traita également Ronsard avec une trèsgrande déférence, comme l'incarnation la plus élevée de la poésie française au xvie siècle. En 1585, Pierre de Ronsard, auquel Charles IX avait présenté deux prieurés comme moyen de subsistance, tomba malade dans celui de Saint-Côme, près de Tours, où il s'était retiré depuis quelque temps. S'il faut en croire de Thou (1), le poëte menait une vie assez irrégulière. Il mourut pourtant dans des sentiments de pénitence et de résignation, le 27 décembre de la même année. Selon le désir qu'il avait exprimé durant sa vie, il fut enterré à Saint-Côme.

3.

Ronsard eut la rare fortune de mourir dans toute sa gloire. Au moment où il ferma les yeux, rien n'annonçait autour de lui le mouvement de réaction qui allait se déchaîner contre sa mémoire. Il disparut de la scène, salué par tous les titres les plus enthousiastes, tel que l'Homère de la France, le roi des poëtes, le favori d'Apollon, etc. Et pourtant l'idole ne tarda point à tomber. Il nous faut découvrir les causes d'une chute si profonde, et que le siècle de Ronsard avait si peu prévue.

(1) Jacques-Auguste de Thou, célèbre historien français, naquit à Paris, en 1553. Il occupa les hautes charges de la magistrature et se rendit aussi célèbre par sa science que par son intégrité. Il s'attacha à Henri IV et fut un des rédacteurs de l'édit de Nantes. Son histoire se compose de cent trente-huit livres; elle est écrite en latin et intitulée : Historia mei temporis. Ce grand ouvrage contient l'histoire de l'Europe et principalement celle de la France; c'est un des plus beaux monuments des temps modernes.

Ces causes, il ne faut point les chercher dans le talent de l'auteur, qui est incontestable. Michelet, dans son style pittoresque, l'appelle un mâle. C'était, en effet, un poëte de race, fort hardi, laborieux, qui avait creusé luimême son sillon, et qui y moissonnait des gerbes d'or. Plusieurs de ses odes, de ses sonnets, de ses élégies ont des grâces qui ont résisté au temps et à la main glacée de l'érudition. Dans le style noble, il a certainement élevé de plusieurs notes la gamme un peu courte de l'ancienne poésie française. On fut surpris de son temps, et avec raison, de voir la muse gauloise, qui n'avait effleuré dans son vol humble et timide que les sentiments tendres et naïfs, monter, sur l'aile des anciens vers, ce qu'on nommait alors les hauteurs du Parnasse. Il y a, çà et là, dans les volumineuses œuvres de Ronsard, des vers hardiment frappés, et qui, par les grands airs et la grande tournure qu'il leur donne, annoncent déjà les vers de Corneille. Quand il s'abandonne à sa verve, au lieu de chercher, par des moyens artificiels, à écrire ou à penser en grec et en latin, il trouve généralement le mot propre, le mot heureux; et une sorte de mélancolie, qui n'est ni sans noblesse ni sans charme, perce à travers la roideur opiniâtre du chef d'école.

Où donc est alors la raison de ce revers de fortune qui atteignit, vers le commencement du xviie siècle, la gloire du poëte? Il ne faut pas dire que Ronsard s'est trompé sur les tendances de son siècle. Il est, au contraire, certain que, la renaissance païenne ayant enivré toutes les têtes, il ne fit que suivre le courant des idées, en remontant aux sources de l'inspiration antique. La France avait en outre besoin, comme je l'ai dit, de hausser le ton de sa littérature, paulo majora canamus. Jusqu'ici, encore, rien n'explique le revirement qui se reproduisit dans l'esprit public à l'égard d'un homme qui avait si bien rempli les deux conditions du programme.

Si Ronsard ne se méprit nullement sur les besoins lit

téraires de son époque, ne s'égara-t-il pas dans la voie qu'il prit pour les satisfaire? Là est, en effet, la cause de sa rapide décadence. Il voulut forcer la langue française, et de toutes les choses humaines, la langue est celle qui se laisse le moins impunément violenter. Quelques-uns des procédés dont il se servit pour enrichir et pour étendre notre idiome ont réussi dans d'autres pays, notamment en Allemagne et en Angleterre; mais ils devaient succomber en France, où le goût se refuse aux innovations. Que parlai-je, d'ailleurs, de forcer la langue, il voulut en faire une. Ce travail des mots contribua plus d'une fois à refroidir et à obscurcir la verve du poëte. C'est ainsi que, non-seulement Ronsard lui-même, mais son école - cette célèbre pléiade (1), dont il était le soleil devait peu à peu sombrer dans la nuit de l'oubli. Faut-il admettre pour cela que Ronsard fut inutile ou même nuisible au développement de la poésie française? Non, vraiment il avait dépassé le but; d'autres allaient l'atteindre.

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Sou éducation.

:

ვი

LOUISE LABÉ.

Conseils qu'elle adresse aux dames. Les femmes remarquables de Lyon à cette époque. Talents littéraires de Louise

Labé.

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Louise au siége de

Ce qu'elle dit elle

Ses goûts romanesques et belliqueux. Perpignan, sous le sobriquet de capitaine Loys. même de son allure guerrière. - Passion qu'elle conçut pour un homme de guerre. Chants de Louise en faveur de son chevalier errant. Ennemond Perrin, son mari. - OEuvres de Louise Labé. — Son surnom de «la Belle Cordière. » — Mérite de ses poésies.

sur Louise Labé.

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Une lettre de Béranger

Louise Labé était fille d'un cordier de Lyon, elle naquit vers 1525.

(1) A l'imitation des Alexandrins, qui, sous Ptolémée Philadelphe, avaient donné le nom de la constellation appelée Pléiade à la réunion de sept poëtes contemporains, on créa aussi, sous Henri III, une pléiade française qui se composait de Ronsard, du Bellay, Remi Belleau surnommé le gentil Belleau, Jodelle, Dorat, Baillif et Pontus du Thiard.

Son éducation fut très-soignée; elle vécut comme on disait alors, dans les honnêtes passe-temps; elle apprit la musique, le luth, les arts d'agrément, les belles-lettres, sans pour cela négliger les travaux d'aiguille. A ces connaissances diverses, elle joignait d'autres accomplissements, tel que l'exercice du cheval.

On ne s'étonnera plus qu'une jeune fille ornée de talents si rares, osât prier les vertueuses dames d'élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et leurs fu

seaux.

La ville de Lyon offrait à cette époque une réunion de femmes très-remarquables, et parmi lesquelles il y avait, comme dit Marot, des plumes dorées.

Dès l'âge de seize ans, l'esprit et la beauté lui marquèrent une place dans cette société choisie. Ses goûts. littéraires s'associaient à certains instincts romanesques et belliqueux. Poussée par son enthousiasme d'amazone, elle alla au siége de Perpignan, en 1542, et elle y figura en homme d'armes, sous le sobriquet de capitaine Loys. Les admirateurs de Louise la comparèrent pour ce fait de jeunesse (elle n'avait alors que dix-sept ans) à Sémiramis. Elle a dit d'elle-même :

Qui m'eut vue lors en armes fière aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le devoir faire en l'estour furieux,
Piquer, volter le cheval glorieux,
Pour Bradamante ou la haute Marphise,
Sœur de Roger, il m'eut possible prise.

:

S'il faut en croire le rigide Calvin, Louise Labé aurait conservé de cette aventure guerrière l'habitude de s'habiller souvent en homme il ajoute qu'elle fut reçue dans ce costume chez Saconay, un des dignitaires de l'Église de Lyon.

On ne touche guère à la lance sans s'y blesser. Je parle des blessures du cœur. Ce fut à ce siége, ou dans les

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