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pour consulter les manuscrits de l'écrivain grec. Plus tard il fut agréé comme précepteur des fils du roi Henri II. Durant le cours de cette éducation des enfants de France, il termina sa traduction des Vies de Plutarque qu'il dédia à Henri II, et il commença celle des OEuvres morales, qu'il n'acheva que sous le règne de Charles IX, son élève. Ce dernier nomma le professeur Amyot grand aumonier, puis évêque d'Auxerre. Enfin, son autre élève, Henri III, ajouta au titre de grand aumonier celui de commandant de l'ordre du Saint-Esprit.

Amyot était plus familiarisé avec les sources de l'antiquité païenne qu'avec les saints Pères circonstance qui étonnerait chez un évêque, si nous n'étions à l'époque de la Renaissance. Amyot promit de se livrer aux études ecclésiastiques, ne fût-ce que pour prêcher son troupeau, mais il est permis de douter qu'il y fit de grands progrès.

Comblé d'honneurs et de richesses, il mourut à Auxerre le 6 février 1593, à l'âge de quatre-vingts ans. Il est un des exemples de la libéralité avec laquelle les rois de France récompensaient alors les humanistes. Lui, si pauvre au début, laissa en mourant plus de deux cent mille écus. Il est, d'ailleurs, curieux que ces récompenses, accordées aux hommes qui ressuscitaient les beautés du paganisme, fussent prélevées sur les richesses et les dignités de l'Église.

Amyot, quoique traducteur de la pensée des autres, est un des écrivains les plus originaux dont puisse s'enorgueillir la France. Il n'interprète pas seulement Plutarque, il le complète. Son influence sur la littérature du xvie siècle fut considérable. D'une main il rouvrit les sources sacrées de l'antiquité, de l'autre il traça le lit dans lequel devait couler la langue française, cette rivière jusque-là capricieuse, vagabonde, grossie par mille affluents, mais dont les eaux se purifièrent en se mêlant aux ondes du vieil Hélicon. « Nous autres

ignorants étions perdus, a dit Montaigne, si ce livre (Traduction des Vies de Plutarque) ne nous eût rélevés du bourbier; grâce à lui, nous osons, à cette heure, et parler et écrire; les dames en régentent les maîtres d'école c'est notre bréviaire. »

En cherchant le génie des langues mortes, Amyot trouva le génie vivant de notre langue. Le caractère du style d'Amyot est une simplicité, on pourrait même dire une naïveté aimable, qui s'associe, dans l'occasion, à la noblesse, à l'élévation et au sentiment. Non content de conquérir Plutarque, il enrichit sur son propre fond l'idiome français d'une foule de tons, d'ornements et de qualités qui lui manquaient encore. « Quelle obligation, s'écrie Vaugelas, ne lui a pas notre langue; n'ayant jamais eu personne qui en ait mieux su le génie et le caractère que lui, ni qui ait usé de mots et de phrases si naturellement françaises! »

A ces témoignages, j'ajouterai celui de Racine : « Cette traduction, dit-il, a, dans le vieux style du traducteur, une grâce que je ne crois pas pouvoir être égalée dans notre langue moderne. »>

CHAPITRE VI.

XVIe siècle.

RABELAIS.

Rabelais type d'une époque.

Son lieu de naissance. Influence des

Il reçoit

pays vignobles sur l'imagination. - Éducation de Rabelais. la prêtrise. — L'habit ne fait pas le moine. Fredaines de Rabelais.

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Ses relations avec les frères du
La persécution se ranima.

succès.

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Ce que c'était que l'in

Il fréquente les partisans de la réRabelais persécuté comme hérétique.

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Bellay. - Anecdotes.— Sa vie à Langey. Rabelais étudiant à Montpellier. - Ses Une cérémonie burlesque. — Rabelais acteur. Sa mission auprès du chancelier Duprat. — Comment il obtient audience, et l'objet de sa mission. Rabelais imprimeur à Lyon. Sa Chronique Gargantuine. Pantagruel. - Rabelais à Rome, puis à Paris, ensuite à Metz. Rabelais curé de Meudon. Sa mort. Anecdotes. Curieux tes

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Ce qui manque à l'œuvre de Rabelais. Ses invectives, surtout contre les juges et les moines. Son influence sur la langue française. Locutions proverbiales. — Les moutons de Panurge. — Le quart d'heure de Rabelais. Origine de ces proverbes. - Rabelais est le trait d'union entre deux époques.

1.

A ce nom tressaillent de joie tous « les buveurs infatigables, les chevaleureux champions et autres qui s'adonnent à toutes gentillesses, les liseurs bénévoles, » en un mot, tous les échos passés, présents et à venir de la vieille gaieté française.

Le rire de Rabelais a traversé les âges. L'auteur de Gargantua et Pantagruel est resté, sous son masque macaronique, le type d'une époque. Il a écrit l'épopée burlesque du xvIe siècle. Son nom, transformé en épi

thète, est devenu l'enseigne d'un genre de littérature que d'autres ont cultivé, mais où nul ne s'est élevé à sa hauteur.

François Rabelais naquit vers 1483, à une lieue de Chinon, dans une métairie de son père, aubergiste, qui débitait son vin, peut-être même ses gais propos et ses chansons, sous l'enseigne de la Lamproie.

Chinon est une petite ville de l'ancienne Touraine, située sur la Vienne, dans un pays fertile et agréable. Il y aurait peut-être lieu de rechercher l'influence qu'ont exercé les vignobles sur l'esprit et le caractère de quelques écrivains français. La verve de Rabelais ressemble au vin du cru, abondant, et qui égaie sans trop monter à la tête.

A Senillé, près de l'endroit où Rabelais passa son enfance, était un couvent de Bénédictins. C'est là qu'il commença son éducation. Plus tard il entra, comme novice, au couvent de Fontenay-le-Comte, en Poitou, maison de l'ordre de Saint-François, où il reçut la prêtrise en 1511.

L'habit ne fait pas le moine, et Rabelais resta tel que l'avait fait la nature. C'était un Triboulet en soutane (1).

(1) Triboulet était le fou de François Ier. C'était l'usage d'avoir à la cour un bouffon qu'on appelait le fou du roi, dont la charge était d'amuser le monarque par ses saillies. On attribue à Triboulet plusieurs bons mots dont l'authenticité paraît douteuse. Un des plus célèbres de ces bouffons de roi fut l'Angely, fou de Louis XIII, que Boileau a rendu célèbre dans ses Satires. Il avait été valet d'écurie du prince de Condé ; s'étant rendu remarquable par ses saillies spirituelles, le roi l'attacha à son service. C'est un des personnages les plus remarquables du beau drame de Victor Hugo: Marion Delorme. Ces fous jouissaient seuls du privilége de dire la vérité aux rois et aux courtisans; ils devaient avoir fort à faire s'ils étaient sincères; il s'agit de savoir si, ayant les mains pleines de vérités, ils avaient le courage de les ouvrir; ce qu'il y a de certain, c'est que l'Angely en ouvrit une, mais ce fut pour recevoir de l'argent afin de fermer l'autre, celle des vérités, et il amassa ainsi des sommes considérables, en vendant son silence aux courtisans qui redoutaient ses railleries.

:

Ses goûts mondains, son esprit facétieux, ses relations, déjà établies avec les savants, tranchaient sur l'ignorance et l'épicuréisme grossiers des autres moines. L'hypocrisie cria au scandale; la jalousie surtout, excitée par une supériorité d'intelligence qui commençait à se faire jour, jura de se venger du frère François. On visita sa cellule et celles de ses amis où l'on trouva des livres profanes. Rabelais n'était pas, d'ailleurs, Rabelais pour rien il aimait la plaisanterie et la farce. Les uns, parmi les collecteurs d'anecdotes, l'accusent d'avoir mêlé au vin des religieux certaines drogues dont il est parlé dans les poëtes latins. D'autres rapportent que, dans une fête de village, Rabelais, affublé de la robe de l'ordre, avait pris, dans l'église, la place de la statue de saint François. La statue vivante aurait alors répandu autour d'elle une certaine quantité d'eau; elle en aurait même aspergé les fidèles qui, prenant la chose pour de l'eau bénite, criaient au miracle. Pour ce fait ou pour un autre, notre coupable fut envoyé dans la paix du Seigneur, in pace. Le mot était doux, mais la punition était fort dure: elle consistait dans la réclusion perpétuelle, au pain et à l'eau, dans la privation d'air et de lumière; c'était la mort, moins l'instrument qui la donne.

Il est à observer que tous les hommes qui ont le plus égayé le monde par leurs écrits, avaient traversé des. situations pénibles: le rire humain aurait-il besoin de mûrir par l'adversité?

Rabelais fut heureusement délivré par le lieutenant du bailliage, Tirageau, qui força les portes du couvent et la clôture du cachot. Il est bon d'avoir des amis.

Tiré de sa prison, Rabelais passa dans un autre couvent, puis bientôt il s'attacha comme prêtre séculier à la personne de l'évêque de Maillezais.

Les controverses religieuses commençaient à agiter les esprits. Rabelais connut les partisans plus ou moins avoués de la réforme. Clément Marot, Hugues Salel, An

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