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gesse orientale; quand il a la force de parler, il a celle d'agir: veillez à ses discours; imposez-lui silence, et vous n'aurez pas à redouter ses actions. Heureux le roi qui gouverne ses sujets par la crainte et la terreur. Le vertueux Sélim III, la postérité lui donnera ce surnom, convaincu que ces maximes de l'âge d'or du despotisme ne l'avaient pas empêché d'être battu par les infidèles, que les traités de paix éternelle avec la Russie n'avaient rien de durable, que l'empire Ottoman, ébranlé par l'anarchie, touchait à son déclin, avait senti qu'au lieu du cordon des muets et du poignard de Capigi-Bachis, il fallait pour régner, une armée disciplinée et des finances afin de la soutenir. Il avait, en conséquence, décrété le Nizam-Dgédid ou milice régulière, et établi un nouvel impôt qui pesait particulièrement sur le vin, dont l'usage est interdit aux musulmans. Il n'en fallut pas davantage pour agiter l'oulèma (1), qui ne boit que de l'eau, si l'on en croit ses casuistes, et ne va surtout jamais à la guerre; et depuis le mouphti jusqu'au dernier des sacristains ou muezzins, tous commencèrent à crier à l'innovation. Les janissaires hurlèrent

(1) Oulemas, ou docteurs de la loi. Ce corps se compose de trois classes; les juges, les interprètes de la loi, et les ministres du culte. Si l'on réfléchit qu'il y avait en 1805, à Constantinople seulement, 485 mosquées pour la prière dụ vendredi, et en y comprenant les succursales, cinq mille mosquées ordinaires, on aura une faible idée du nombre de ces individus dotés par la superstition, qui défendent les vieux us, Adet, contre l'autorité par les armes de la religion.

et les pachas qui entrevoyaient la repression prochaine de leurs brigandages dans cette institution, mirent en avant Passevend Oglou de Vidin, pour l'opposer à l'établissement de la milice régulière.

Le sultan qui ne connaît guères le mécontentement public, que quand il voit embraser des quartiers de Constantinople, avait mis le rebelle au ban de l'empire. Quarante pachas de l'Asie-Mineure et de l'Europe, accourus à son ordre, se trouvaient campés devant Vidin, sous le commandement de Cutchuk Hussein Capitan pacha, chef de cette confédération de vice-rois, plus attentifs à s'observer qu'à combattre le proscrit, lorsqu'on apprit le débarquement en Égypte de l'armée française, composée de l'élite de nos guerriers. Ali pacha, qui venait à peine d'arriver sur les bords du Danube, ne tarda pas à recevoir courriers sur courriers de son fils Mouctar, par lequel il était informé que les Français, dans leurs dispositions fraternelles, cherchaient à remuer les Grecs. Ils venaient de se mettre en communication avec les Souliotes, leur consul à l'Arta avait distribué quatre mille cocardes dans les environs de sa résidence, et les paysans commençaient à chanter je ne sais, disait-il, quel hymne appelé la marseillaise, traduit en grec par le thessalien Riga (1). Ces nouvelles, un peu exagérées, furent communiquées par Ali au généralissime ottoman, et prévoyant que la guerre

(1) C'était le Aɛute maïdes tõv Élλńvov, qu'on lit tronqué et mutilé dans la traduction de lord Byron.

éclaterait entre la Turquie et la France, il obtint sans peine du visir des visirs la permission de retourner à Janina, où il arriva en poste, pour prendre part aux évènements qui allaient éclater.

L'essence de la politique du cabinet ottoman donne généralement à ceux qui participent au secret de l'état, une fausseté d'autant plus décevante, qu'ils ne sont jamais aussi expansifs que quand ils dissimulent, et plus affectueux que lorsqu'ils méditent quelques vengeances atroces. Ali, de retour dans ses états, au lieu de sonner l'alarme, parut plus qu'auparavant favorable aux Français. Il s'empressa d'écrire au général (1), qu'il regardait les circonstances nouvelles comme l'évènement le plus heureux qu'il aurait pu souhaiter, afin de prouver son attachement à la France, dont il voulait rester l'allié. Il ne fallait donc pas s'étonner, s'il rappelait ses troupes de Vidin et s'il en levait même de nouvelles, son intention étant de garder une neutralité armée dans la crise qui se préparait. Le général français trompé par ces assurances, que lui confirmaient ses agents, se laissa abuser sur les desseins du visir, qui remplissait son devoir, en infor

(1) Je ne sais où M. le colonel Vialla de Sommières a pris l'épisode d'une guerre survenue à cette époque, entre Ali pacha et les Monténégrins : il n'y a pas un mot de vrai dans cette histoire, détaillée dans son voyage au Monténégro. Le 22 septembre 1798, Ali attaquait les Français à Buthrotum. Enfin jamais il n'a eu que des rapports d'intrigue avec le vladika, pour faire inquiéter, par son entremise, le visir de Scodra.

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mant la Porte de ses négociations, et en se préparant à une guerre occasionée par la plus injuste des agressions.

Certain d'avoir donné le change sur ses véritables intentions, Ali, qui aurait dû se présenter en brave, n'eût pas plutôt appris la déclaration de guerre du Grand-Seigneur contre la république française (1), qu'il débuta par une lâche perfidie. Sans dénoncer les hostilités, il appela à une conférence, dans la ville de Philatès, l'adjudant-général Rose, qu'il qualifiait du nom de frère, à qui il donna un splendide festin, à la suite duquel on lui mit les menottes, et il l'envoya chargé de chaînes à Janina, d'où il le fit bientôt après transférer à Constantinople (2). II n'y avait plus à se méprendre sur sa prétendue amitié ; cependant comme on n'était pas en mesure de se venger, on persista à se faire illusion, jusqu'au moment où il s'empara de vive force du faible poste de Buthrotum. Après ce coup de main, Ali traversa aussitôt la Thesprotie à la tête de tous les agas cette contrée et des deux Albanies qui joignirent leurs contingents à ses bandes, afin d'attaquer Pré

vésa..

de

(1) La déclaration de guerre de la Porte contre la France est du 1er Rebyul 1213, 10 septembre 1798.

(2) L'adjudant-général Rose, né à Marseille, avait été élevé à Patras, en Morée, par son oncle, qui était consul du roi dans cette résidence; il avait environ soixante-quatre ans quand je le vis aux sept tours, à Constantinople, où il mourut le 5 brumaine, 26 octobre 1799.

On songea alors à prendre des mesures de défense à Corfou, où Gentili avait été remplacé par le général Chabot, qu'un brick expédié d'Égypte par Bonaparte prévint, vers la fin de septembre, de se tenir sur ses gardes et de se préparer à la guerre.

Rien de plus fâcheux ne pouvait arriver à cette division militaire. Les commissaires civils du Directoire, qui avaient succédé partout aux fougueux proconsuls de la Convention, étaient en discors avec les généraux, la place n'était point approvisionnée, et au lieu de s'occuper de la défense, on avait perdu le temps à planter des arbres de liberté, à installer des municipalités, à célébrer des bacchanales, et à alarmer les consciences, en insultant au clergé grec et romain. La châsse de Saint-Spiridion, ses lampes en vermeil, ses nombreux ex voto, étaient menacés de passer au creuset, mais le cours des évènements, en mettant fin au pouvoir des agens directoriaux, rendit l'autorité toute entière aux gens d'épée qui respectèrent le culte public, et reconquirent ainsi le suffrage des Ioniens. Cependant, par suite d'un orgueil honorable, mais mal entendu, on s'obstina à défendre Prévésa, en disant: qu'on aurait eu mauvaise opinion des vainqueurs de l'Italie, si on les avait vu se retirer devant des Albanais, au moment du danger.

La France, qui n'a laissé que d'honorables souvenirs dans la Grèce, avait confié la défense de Prévésa et du territoire de Nicopolis, à deux cent quatrevingts de ses grenadiers commandés par le général

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