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cheval qu'il frappe, le livre désarmé à la rage sanguinaire des barbares.

coup

En un instant, il est couvert de blessures. Un de sabre lui fait une plaie profonde au bras; son corps est ensanglanté; on déchire ses vêtements; on l'enlève par les cheveux pour lui trancher la tête, lorsque Hassan Tchapari, aga de Margariti, suspend le coup fatal, et sauve le brave des braves. Ali, descendu sur le champ de bataille, au milieu des houras de la victoire, commande de le respecter. 11 fixe avec des yeux étonnés une pyramide de têtes de nos vaillants soldats; il admire la sévère beauté de leur physionomie quoique couverte des voiles du trépas. Il s'étonne de leur jeunesse; hélas! il a neigé sur les montagnes (1); les vétérans de notre gloire, échappés au fer d'Ali, maintenant couverts de cicatrices, n'offrent plus qu'une tête blanchie aux regards de la pitié publique; et ces volontaires, qui méritèrent tant de couronnes civiques, sont réduits, la plupart, à demander le pain de l'aumône. Qu'est devenu Richemont? Trop heureux ceux qui ont vécu; que la terre leur soit légère!

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Après avoir savouré le plaisir du carnage, le satrape enjoint à Tahir et au vieux Abas, son père, de conduire à Janina les esclaves français chargés des têtes de leurs camarades, qu'on leur fit écorcher. Pour lui il tourna aussitôt ses pas vers Prévésa, où il arriva

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(1) Xióvios atà Bouva. J'ai conservé cette métaphore que les Grecs emploient pour dire qu'un homme a vieilli.

assez à temps pour arrêter l'incendie. Il s'empare du a consulat de France, et se réservant le privilége du meur tre, il fait publier l'ordre de suspendre les massacres. L'archevêque Ignace d'Arta, qu'il conduisait avec lui, pour persuader aux Grecs qu'il n'en voulait pas leur religion, est appelé au conseil, comblé d'égards, et chargé de parcourir les environs, afin d'engager les chrétiens à rentrer dans leurs demeures, avec la garantie d'une entière sûreté. Il écrit en même temps au gouverneur de Leucade, que ce qui vient de se passer est l'effet d'un malentendu, et qu'il s'est vu contraint de tirer l'épée, parce que les Français ayant dépassé la frontière, en occupant le Palæo Castron enfin (Nicopolis), il craignait qu'on ne l'accusat d'avoir vendu le territoire du Sultan, s'il ne les avait repoussés de cette position. Il donnait dans une autre lettre adressée au général Chabot, le détail de ce qui venait d'avoir lieu. Il se justifiait d'avoir arrêté l'adjudantgénéral Rose (1), en disant que c'était afin d'avoir

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auprès de lui, sous le titre d'otage, un négociateur ďôtage, non avoué, dans le sein duquel il déposerait ses plus secrètes pensées. Il le priait en conséquence de renvoyer à Janina l'épouse de cet officier, pour qu'il vécût pas séparé de la plús douce de ses consolations, et on y consentit. Enfin, il terminait sa lettre en ces termes: Il est des nécessités auxquelles il faut se

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(1) Il y avait en cela quelque chose de vrai, car il ne se décida, qu'après plusieurs sommations du divan, à envoyer ce prisonnier à Constantinople. hop hai quy

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soumettre. Considérez má position, et jugez-la impartialement dans votre sagesse. La Porte a déclaré la guerre à votre république. Je suis de plus in formé que le sultan a conclu un traité d'alliance offensive et défensive avec la Russie et l'Angleterre, puissances qui sont les ennemies irréconciliables de votre pays et du notre. Leurs flottes s'avancent vers les Iles loniennės; devais-je attendre que les Russes s'établissent dans l'Épire, en occupant les quatre cantons qui appartenaient à Venise? J'ai donc été réduit à la dure extrémité de m'emparer de Buthrotum et de Prévésa; Vonitza est sur le point de m'ouvrir ses portes, et j'ose espérer que vous voudrez bien faire évacuer Parga. Notre commun intérét exige cette condescendance de votre part. En devançant ainsi nos ennemis, nous les brouillon's avec le Sultan, et vous vous assurez en moi un allié d'autant plus sincère, que je serai indépendant par le fait des localités. Ce sera alors que je pourrai vous assister si vous êtes bloqués, tandis que les assiégeants seront à ma disposition pour les subsistances, que je ne manquerai pas de leur refuser, sans me compromettre auprès de la Portè. Le rusé satrápe adressait en même temps une espèce de sommation arrogante aux Parguinotes, qu'il exhortait à égorger la garnison française dont il les priait de lui apporter les têtes, leur promettant à cette condition sa clémente et puissante protection.

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Après avoir ainsi combiné son plan, Ali pacha exigea du pieux archevêque d'Arta, de se rendre sur la plage

d'Actium, où les débris de la garde municipale de Prévésa s'étaient réfugiés, en lui remettant un plein pouvoir pour régler avec eux une capitulation; car ils étaient de plein droit sujets de la France et non de la Porte Ottomane. Ignace, qui aurait dû savoir que la foi des tyrans n'est jamais qu'une cruelle perfidie, détermina ainsi trois cent soixante-dix de ces fugitifs a mettre bas les armes. Il fut stipulé qu'ils s'embarqueraient sur une corvette du pacha, chargée de les transporter à Salagora, afin de ne pas les laisser rentrer dans leurs foyers, pendant la première effervescence des troupes, qu'Ali lui-même avait de la peine à contenir.

La précaution semblait dictée par la prudence; rien ne devait leur manquer, l'archevêque, convaincu de ce qu'il annonçait aux Prévésans, partit en leur donnant cette assurance. Ce furent les dernières paroles d'espérance qu'ils reçurent; car à peine le vaisseau qu'ils montaient eut-il pris le large, qu'on les encombra dans les entre-ponts, et les écoutilles ayant été fermées sur eux, le réduit où ils gisaient ne leur présenta plus que l'image anticipée du tombeau.

En attendant l'heure de la vengeance trop lente au gré de ses desirs, Ali qui avait arrêté l'incendie, livrait Prévésa à un pillage méthodique. Les ornements des églises, les vases sacrés du sanctuaire (1), les

(1) Je l'ai encore vu six ans après prendre des glaces sur la patène volée à l'église latine, et boire dans le calice : les candélabres, les colonnes dorées, avaient été employés à orner

meubles et les effets des particuliers étaient apportés à ses pieds. Après avoir prélevé la part du lion, il distribuait aux soldats Albanais des capes, des hardes et des ustensiles de cuisine. Il partageait, entre les agas, des enfants, objets de leur luxure, des vierges timides, des religieux, des religieuses; et quinze cents chrétiens furent ainsi distribués aux descendants d'Agar, nés pour servir. Afin d'établir une sorte de distinction entre les captifs, il consentit à recevoir la rançon des Ioniens de Ste-Maure pris les armes à la main, en autorisant leurs parents et leurs amis, auxquels il accorda des sauf-conduits, à réclamer leurs frères partout où ils les trouveraient. Au milieu de cette confusion, apercevant Ignace, à peine eut-il connu le résultat de sa mission, qu'il lui ordonna de partir immédiatement pour Janina. Il dirigea en même temps son fils Véli vers Paramythia; et, aprés avoir laissé le commandement de Prévésa à Mouctar, il s'embarqua à la nuit tombante pour Salagora, échelle de l'Amphilochie, où le vaisseau chargé des Prévésans *capitulés s'était rendu.

Dès que le soleil parut à l'horizon, Ali pacha qui voulait célébrer sa victoire par une triple hécatombe,

une chambre particulière de son palais; enfin, j'ai un jour remarqué, à l'une de ses ceintures, les extrémités d'une étole sur lesquelles il y avait deux têtes de chérubins en broderie; et comme mon frère lui en fit l'observation, il répondit que, quand l'archevêque de Janina mourrait, il ne se ferait pas de scrupule de porter, si cela l'accommodait, sa couronne, ni sa chape!

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