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résolut donc de mettre tout en œuvre pour détruire cette peuplade chrétienne, avant qu'elle eût établi avec les étrangers des relations capables de la rendre formidable. Le moment était propice; l'esprit des Mahométans lui était favorable à cause de ses succès contre les chrétiens. Les passions nationales avaient parlé; et il exposa, fort impolitiquement sans doute à cette époque, les intérêts qui le faisaient agir, dans la circulaire suivante qu'il adressa aux chefs Islamistes

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« Agas (1), l'empire ottoman est sur son déclin, puis« qu'il est environné d'ennemis, qui sont les Français « et les Russes. Nos livres disent (son Chalcas lui << avait fait cette interprétation, comme étant tirée du Koran) qu'après la destruction de notre empire, les Albanies se soutiendront pendant quarante << ans et plus contre les ennemis de la foi, si nous <«<restons unis. Commençons donc par extirper du <«< milieu de nous la race impie des Souliotes << attendons de pied ferme les infidèles. Je vous dis donc, ainsi qu'il est écrit dans notre livre, que le «< temps approche où des malheurs sans nombre nous «< accableront de toutes parts. Ainsi, mes frères, vous

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(1) Cette espèce de proclamation était conçue en ces termes positifs : Αγάδες, τὸ βασίλειον μᾶς κοντεύει νὰ χαθῆ, ἐπειδὴ τὸ περιτριγυρίζουν πολλοὶ ἐχθροὶ, καὶ περισσότερον ἀπὸ τοὺς ἄλλους, οἱ Μουσκόβοι, καὶ Φράντζεζοι· γράφουν ὅμως τὰ κητάπιά μας, ὅτι καὶ τὸ βασίλειον μᾶς θαπαρθῇ, ἡμεῖς ἐδὼ εἰς τὴν Αρβανιτίαν καθολικοί μουσουλμάνοι θέλει που λεμήσομεν σάραντα χρόνους μὲ τοὺς ἐχθροὺς, πῶς ὅμως, καὶ πότε θέλει πολεμήσομεν, ὅταν συμφωνήσωμεν, καὶ πάρωμεν τὸ Σούλι. (Καὶ τὰ ἑξ.) Histoire de Souli, p. 40.

qui êtes catholiques musulmans, réunissez-vous à «< moi, et jurons, au nom de Allah et de son pro«< phète, de nous emparer de Souli, ou de mourir. »

A la nouvelle de la prise des cantons vénitiens, Chaïnitza que nous avons en quelque sorte perdue de vue, avait quitté son palais de Liboovo, pour se rendre à Janina. L'oisiveté du harem n'avait fait qu'accroître la méchanceté de son cœur (1)! son souffle aurait embrasé le foyer le plus ardent (2); car jamais tête de serpent ne fut placée sur un corps plus envenimé (3) que celui de cette impie, qui justifiait à elle seule, disait l'archevêque Jerothéos, le portrait de la femme criminelle, tracé par la Sagesse divine. Elle demandait à grands cris à voir la Franghia: c'était ainsi qu'elle désignait les contrées que son frère venait d'arracher aux Français. Elle exigea qu'il lui accordât les ornements des églises pour en faire des dolmans à ses esclaves, et on les lui donna; quelques têtes empaillées de nos soldats, qu'on lui octroya sans difficulté; des jeunes filles prévésanes pour les égorger, ce qu'Ali lui refusa, en calmant sa fureur par la promesse de lui livrer bientôt Souli, où elle pourrait à loisir se baigner dans le sang de ces infidèles, de tout temps ennemis de leur maison. Elle accabla d'injures la douce Éminé, mère de ses

(1) Multam malitiam ei docuit otíositas. Eccles. xxv. (2) Halitus ejus prunas ardere facit. JOB. XLI.

(3) Non est caput nequius super corpus colubri, et non est ira super iram mulieris. Eccles. xxv.

neveux Mouctar et Veli, qui n'avait cessé de pleurer sur le sort des chrétiens, d'intercéder en leur faveur; et, après avoir serré son frère entre ses bras, elle reprit la route de l'Argyrine, précédée des trophées que le satrape lui avait accordés.

On entrait alors dans les mois de mai, et les Anglais qui venaient de renverser dans l'Inde le trône du sultan de Mysore (1), employant tous leurs efforts pour soutenir le sceptre vacillant de Sélim III, invitèrent Ali à se rendre à une conférence à Buthro-tum, afin de hâter l'expulsion des Français de l'Égypte. On lui demandait de l'argent, des vivres et des soldats; car Corfou, qu'il devait aider à réduire, avait été pris sans sa participation. Ali bien résolu de n'accorder rien de ce qu'on exigeait de lui, se mit en route pour se rendre à l'entrevue qui lui était proposée, vit les généraux russes et anglais, promit tout ce qu'on voulut, sut se faire donner des munitions de guerre, quelques canons, et rentra dans ses montagnes pour songer à ses affaires particulières.

Les agas et les beys qu'il visita dans cette tournée, ébranlés par le ton prophétique de la circulaire dont il s'était fait précéder, s'étant rassemblés à Janina, prirent l'engagement signé individuellement, de s'emparer de Souli à quelque prix que ce fût; car ils ne voyaient plus dans ce boulevard qu'un avant-poste

(1) Le 4 mai 1799, le général Harris s'empara de Seringapatanam, et l'infortuné Tipoo, sultan, s'ensevelit sous les ruines de son empire.

des Russes, depuis que ceux-ci occupaient les îles Ioniennes. Comme il n'arrive jamais entre musulmans qu'une résolution dirigée contre les chrétiens soit éventée, personne ne put pénétrer le motif de leurs conciliabule. On voyait de toutes parts lever des troupes; mais les uns prétendaient que le visir voulait s'en servir pour attaquer Parga, objet de ses ressentiments; et ceux qui se disaient le mieux informés, assuraient qu'elles devaient, en vertu de l'accord résolu à Buthrotum, être transportées en Égypte, où Bonaparte humilié d'être réduit à jouer le rôle de pacha du Directoire, n'épiait que le moment de traverser les mers, afin de rentrer en France, et de relever un trône qu'il n'aurait jamais dû occuper. Tout en laissant circuler ces bruits, Ali pacha se vit, dans trois mois de temps, à la tête de douze mille mahométans, qu'il dirigea contre la Selleïde.

Quoique soupçonneux et toujours aux aguets, les Souliotes n'avaient pas prévu cette attaque, et ils ne purent comme dans d'autres circonstances, former leurs provisions de siége. A cette faute, capable de les perdre, se joignit la défection de Georges Botzaris, qui avait été polémarque de la république pendant la première guerre. N'ayant pu obtenir sa prorogation dans cette charge, du suffrage de ses compatriotes persuadés que la liberté périt où l'égalité cesse, mécontent de servir sous un de ses pairs, Christos ou Kitzos (1) Botzaris, son cousin, il passa, au premier

(1) Kitzos, dans l'idiôme épirote, est le diminutif de Christos.

signal de la marche des Turcs, dans les rangs d'Ali; sur la promesse, garantie par la Porte Ottomane, qu'on lui avait faite d'être élevé au grade de Toparque de la Selleïde, dès qu'elle serait soumise à l'autorité du Sultan. Cependant, après les impressions fâcheuses que causèrent ces évènements inaccoutumés, on reprit courage. La liberté, qui agrandit l'homme dans le malheur, redoubla l'énergie des chrétiens, qui, ayant tout sacrifié pour elle, résolurent de tenter les derniers efforts, afin de la mériter à jamais. On dressa en conséquence un état exact des ressources en vivres et en munitions; et on fit le dénombrement des troupes, qui se trouvèrent monter à quinze cents soldats, commandés par trente-un capitaines, chefs d'autant de Pharès, ou tribus.

Le visir apprenant, sans en connaître la cause, les mesures que les Souliotes adoptaient, et s'imaginant y démêler des symptômes de division, crut en hâter l'explosion, en attaquant leurs rochers de prime abord, persuadé qu'il réussirait à s'en emparer. Son armée, dix fois à peu près supérieure en nombre aux forces des chrétiens obligés de surveiller plusieurs points, et composée d'hommes ivres de fanatisme, le détermina à tenter un assaut. On était alors au milieu de l'été; les rivières et les torrents étaient guéables ou à sec, les approches des montagnes faciles, lorsque ses troupes s'ébranlèrent en poussant des hurlements, accompagnés d'un feu de mousqueterie qu'elles ouvrirent hors de portée. Les Souliotes, commandés par Photos, fils de Tzavellas,

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