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trouva encore le moyen de relever leurs courages. Il leur faisait dire que le visir n'attenterait jamais à ses jours, qu'il voulait les effrayer par les rigueurs exercées contre lui; qu'ils ne consentissent à aucune de ses propositions, et que Dieu qui veillait sur les pharès de la Selléïde, le tirerait du mauvais pas où il se trouvait ; il se recommandait aux prières de Samuel. En effet, il n'était pas dans l'intérêt d'Ali de commettre ce crime; il n'osait même attaquer les Souliotes. La Porte, dont il respectait les ordres quand il ne pouvait pas les enfreindre sans se compromettre, lui ayant défendu toute espèce d'agression il se serait contenté de menacer, lorsqu'il saisit, comme une bonne fortune, un incident que personne ne pouvait prévoir, et qu'il sut, au-delà de toute espérance tourner à son profit.

contre eux,

La corvette française l'Arabe, expédiée par le premier consul Bonaparte, ou, ce qui est plus vraisemblable, par quelque armateur particulier, après avoir débarqué à OEtylos, dans le Magne, des munitions de guerre qu'elle échangea contre des productions du pays, avait touché à Athènes pour troquer sa poudre contre des huiles, à Zante et à Parga, où elle en vendit encore, afin de se procurer des rafraîchissements, en trafiquant ainsi à la cueillette. Aussitôt Ali, qui était sans cesse aux aguets, écrit à Constantinople, que les Français veulent faire insurger la Grèce, qu'ils ont débarqué un arsenal entier dans le Magne, qu'ils viennent d'envoyer des caissons de munitions de guerre aux Souliotes, et que l'empire est menacé

d'une commotion politique, si on n'y apporte un prompt remède. Sans approfondir le fait, la Porte, toujours prête à frapper quand il ne s'agit que de verser le sang des chrétiens, adressa à son visir, qui avait appuyé sa dénonciation de quelques centaines de bourses distribuées aux Redgiali (1) du Sultan, un firman par lequel il lui était enjoint de requérir les forces des pachas ses voisins, des beys, des tenanciers de la couronne, et d'attaquer les infidèles de Souli, avec tous les moyens d'extermination qu'il jugerait convenable d'employer,

A la lecture de ce firman qui retentit dans les Albanies, Samuel arborant l'étendart de la croix sur les remparts de Sainte Vénérande, appela les fils des Grecs aux combats, tandis que leur ennemi cherchait à réchauffer l'ardeur des Turcs peu disposés à le seconder, parce qu'ils redoutaient plus sa puissance que celle des Souliotes incapables de s'agrandir. Par suite des lois féodales de l'Épire, imaginées pour défendre contre le pouvoir d'un seul la liberté des agas, en livrant la multitude à l'esclavage, il arrive maintenant que cette caste émancipée par l'islamisme réclame ses droits pour vendre ses services au plus offrant, lorsqu'il s'agit de guerres intestines pareilles à celle que le satrape entreprenait. Ainsi Ali éprouva plus de difficultés qu'il n'en prévoyait pour rassembler ses contingents, les beys même de Janina marchandaient avec lui, mais

(1) Espèce de conseillers d'état.

comme il ne s'agissait que de débourser des fonds, qu'il savait toujours reprendre avec usure, il résolut de ne pas compter avec ses amis, et les difficultés furent applanies. Afin d'intimider les gens qui avaient une propension marquée pour les Souliotes, et de diviser même ceux-ci au moyen de scrupules religieux, il eut recours au saint ministère des prélats de l'église orthodoxe. L'archevêque d'Arta, Ignace, écrivit ainsi par son ordre aux fidèles de la Cassiopie, pour leur défendre sous peine d'excommunication d'assister les Souliotes. Il le força de s'adresser ensuite aux chefs des armatolis: Courage, métropolitain, lui disait Ali, ne ménage pas les serments ; mais toutes ces démarches n'obtinrent aucun succès. Vainement un religieux Sinaïte (1) de l'Archimandrion de Janina fut envoyé vers les Souliotes, pour leur enjoindre de mettre bas les armes, ils lui signifièrent de se retirer, sans quoi ils le feraient fusiller comme corrupteur de la jeunesse. Jérotheos archevêque de Janina les admonesta aussi inutilement, ainsi que leur prélat Chrysanthe évêque de Glychys, qui ne trouva de salut qu'en se réfugiant à Parga; et le peuple, les papas, les religieux, résistant aux comminations spirituelles, les hostilités, plus efficaces que les foudres ecclésiastiques, ne tardèrent pas

commencer.

Les Souliotes, quoique privés d'un de leurs chefs

à

(1) Il y a un couvent de religieux de sainte Catherine du mont Sinaï établi à Janina; voyez t. I, c. xi, de mon Voyage.

les plus intrépides, résolurent d'ouvrir la campagne par la destruction du poste de Vilia, que le visir avait fait construire à l'entrée du grand défilé. Ils manquaient de tout pour attaquer un donjon flanqué de quatre tours, défendu par des canons et une garnison de cent quatre-vingts hommes parfaitement approvisionnés ; mais que ne peuvent pas oser des hommes réduits à combattre pour leur existence, car c'était-là la situation à laquelle les Grecs se trouvaient réduits. Samuel, qui venait, après de longues austérités, de renaître à la liberté, reparaît aux délibérations générales. D'un ton prophétique, il annonce au peuple que Mitococalis, un de ses lieutenants, est l'homme du Jugement dernier, que la Providence a suscité pour renverser le château de Vilia. Cette nuit même, s'écria-t-il, il tombera comme les murs de Jéricho; je ne demande pour le prédestiné le prédestiné en Dieu, que deux cents hommes, quelques barils de poudre, et l'assistance des braves femmes de Souli, afin de transporter les magasins des infidèles dans nos montagnes.

Avec quelle impatience on attendit la nuit glorieuse annoncée par Samuel! Jamais Israël ne frémit de plus d'impatience en approchant des rives du Jourdain, où s'élevait la ville que le seigneur, livra à sa colère (1), que les Souliotes n'en éprouvèrent, en con

(1) Jéricho, appelée Hiérichos par les anciens, et maintenant Ériha, est située dans une plaine bordée par le Jourdain, à sept lieues au N. E, de Jérusalem; sa prise est rapportée à J'an du monde 2553, 1451 ans avant Jésus-Christ.

templant les bords de l'Acheron, et la faible distance qui les séparait de Vilia. Ils se délectaient comme des loups affamés qui examinent du haut des montagnes la bergerie (mandra), qu'ils doivent assaillir pendant le sommeil des pâtres, pour s'y repaître de carnage et de sang. On délivre à Samuel ce qu'il a demandé, on choisit les braves destinés à l'accompagner; toutes les femmes demandent à le suivre; et dès que les ténèbres commencent à envelopper les montagnes, il s'achemine, la croix en main, suivi de cette singulière colonne expéditionnaire.

La nuit tombe; nul bruit ne se fait entendre dans les rangs; un silence profond règne au loin. Arrivés à un lieu indiqué, Samuel ordonne à sa troupe de faire halte, de pousser un cri général au premier coup de fusil qu'il tirera, et d'accourir alors à son secours. Après avoir ainsi disposé son embuscade, il donne sa bénédiction à Mitococalis, il prie pour lui-même, et, chargeant quatre femmes d'autant de barils de poudre, il arrive, armé de pioches, ainsi que son compagnon, au pied du rempart de Vilia. La maçonnerie peu solide des constructions albanaises leur permet de faire un large trou au pied d'une des tours, et ils y placent leur foyer destructeur. Alors le signal convenu est donné, l'embuscade se lève en poussant des cris prolongés, les Turcs arrivent sur la muraille du côté où le bruit se fait entendre, et le feu mis à la mine fait sauter la tour avec trenteeinq soldats accourus à sa défense. A cette explosion, les Souliotes se précipitent par la brêche, et sans

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