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transformée en un cirque retentissant des acclamations féroces des barbares, mêlées aux gémissements. et aux cris des victimes.

Mais le juste Ciel réservait un triomphe éclatant aux chrétiens, et le spectacle qui ferma les arènes fut illustré par le glorieux martyre de trois jeunes enfants d'une beauté ravissante. Je n'ai pu apprendre leurs noms pour les transmettre à la mémoire du monde chrétien. L'aîné de ces élus avait quatorze ans; sa sœur, onze, et elle marcha au supplice en conduisant par la main un frère plus jeune qu'elle. On leur avait arraché leurs vêtements!.. Une douce sérénité brillait sur la figure de ces prédestinés, qu'entourait une troupe de derviches frénétiques, auxquels on les avait livrés. Arrivés sous l'ombrage fatal des platanes de Calo-Tchesmé, lieu ordinaire des exécutions, la vierge se prosterne en élevant ses mains au Ciel. Elle voit rouler à ses pieds la tête de son jeune frère; et pendant que l'aîné luttait contre un ours auquel on l'avait livré, on n'entendit sortir de sa bouche que ces paroles ravissantes : Père des miséricordes, Dieu exorable, Dieu des faibles, sainte Reine couronnée, ayez pitié de mes frères; Christ adoré, secourez vos pauvres enfants!.... En achevans ces mots, un des bourreaux frappa la victime sans tache. La rose de la Selleïde tomba sur le sein de la terre, et les chœurs des anges reçurent les ames de ces douces créatures, qui reposent dans le sein de la divinité.

Ce supplice glaça d'effroi les mahométans, les

égorgeurs et le satrape, qui se contenta de disperser le restant des familles souliotes dans des lieux agrestes, où quelques-unes se soutiennent encore par l'espérance de voir renaître leur patrie de ses

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LIVRE DEUXIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

Quæque ipse miserrima vidi.

Campagne d'Ali Tébélen dans la Romélie. — Rentre en Épire. -Assassinat du primat d'Étolie, Sousmane, assassiné par Véli pacha. Disgrace du satrape. Son neveu Elmas nommé à sa place au sangiac de Thessalie.

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Meurt bien

tôt après.. Faux monnoyeurs de Plichivitzas, recherchés et punis. Origine de la fortune de Vasiliki, jeune fille que le visir fait esclave.

Douleur et rage de Chaïnitza à ce sujet.

J'AI écrit jusqu'à présent, d'après ses propres récits

et ceux de témoins oculaires, l'histoire d'un homme devenu fameux par le secours d'une fortune impie autant qu'aveugle. Il me reste maintenant à parler de choses qui précédèrent de peu de temps mon débarquement dans l'Épire, et d'évènements arrivés pendant une résidence de dix années que j'ai passées en qualité de consul général de France auprès du visir Ali pacha de Janina.

Parvenu à cette partie des annales du satrape de l'Épire, je fus effrayé de la carrière ensanglantée qui s'ouvrait devant moi. J'avais à dévoiler tant d'infa

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mies, de perfidies et de crimes; j'abordais un sujet si difficile à révéler, malgré la corruption de nos mœurs politiques, que je craignais de paraître partial à ceux qui se jouent de l'honneur et du sang des peuples, parce que leurs ames, malgré le mépris qu'ils font de l'humanité, sont encore loin de concevoir à quels excès un tyran sans frein peut se porter pour assouvir ses passions quand il est dominé par l'ambition; cependant il me parut indispensable, en rejetant une foule de détails que la morale réprouve, de composer un ensemble des tableaux les moins hideux que j'avais sous les yeux, pour les rattacher à la vie d'un homme qui appartient à l'histoire moderne de la Grèce, par la commotion qu'il a occasionée, ainsi que par les maux dont il l'a accablée, en le faisant assister de son vivant au jugement de la prostérité.

La destruction des Souliotes, qui depuis plus de cent quarante ans avaient triomphé des efforts des mahométans, accrut la célébrité du satrape de Janina; ses exploits étaient chantés dans les Albanies, et racontés d'une extrémité à l'autre de l'empire. Les Turcs l'appelaient le sauveur, et la renommée de sa gloire parvint au Sultan, qui crut ne pouvoir mieux récompenser le fléau des chrétiens indépendants de l'Épire, qu'en lui conférant le titre et l'autorité de Romili Vali-cy. C'était lui fournir de nouveaux moyens de se signaler, parce que la Macédoine et la Thrace étaient alors désolées par des bandes de brigands. Les Kersales ou Chrysalides, espèce de condottieri

composés d'un ramas de Bulgares, de Triballes et d'Esclavons, commandés par des chefs audacieux, dévastaient les environs de Philippopolis et les vallées du mont Pangée, en poussant leurs excursions jusque dans la Pélagonie. Les caravanes ne pouvaient plus circuler, les affaires étaient interrompues, les courriers dévalisés et l'autorité méconnue. On soupçonnait les pachas de Smocôvo et d'Uskiup, d'être intéressés à soutenir ces haïdouts ou voleurs : il devenait instant de remédier à de pareils désordres. Telle était la tâche qu'on donnait à remplir au vainqueur de Nicopolis et de la Selleïde; mais tant d'honneurs cachaient, comme on l'apprit ensuite, une arrièrepensée du ministère ottoman. Le visir de Janina lui portait ombrage; on croyait, en flattant son ambition, le compromettre en le chargeant d'une expédition qu'on n'avait osé entreprendre soi-même, et parvenir à le perdre en lui faisant éprouver des revers, ou bien à le saisir pour s'en défaire, dès qu'on l'aurait attiré hors de son gouvernement.

Ali pacha qui n'avait aucune donnée sur ces desseins, mais justement défiant, prit ses mesures comme s'il eût été environné d'ennemis. Il rassembla, en vertu du diplôme impérial qu'on lui avait adressé, dix mille soldats albanais, avec lesquels il franchit le Pinde, et vint camper à Bitolia, au printemps de 1804. Après avoir purgé les environs de quelques essaims de voleurs, et réuni les forces des aïans de l'Illyrie et de la Macédoine cisaxienne, il passa le Vardar à Tchiouperli. Il comptait alors sous ses dra

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