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peaux, indépendamment de ses troupes particulières, les contingents du pacha de Delvino, du visir de Bérat, des beys du Musaché, des Vaivodes de la Taulantie, du sangiac de Scodra, terre nourricière des braves; des chefs des Dibres, d'Ochrida, du Lakoulak, de Baxor, canton du mont Bôra, de Calcanderen, de Pristina, et tous les spahis de la Thessalie. En avançant par les sources des fleuves qui arrosent la Macédoine transaxienne, il vit arriver à son quartier, la cavalerie de Serrès, les agas du territoire de Thessalonique, les timariots de Mélénik, de la Cavalle, de Drama, de Démir-Hissar, de Radovich, de Koumlèkeu, de Doubnitza, le drapeau entier de Sophia, et il parut aux portes de Philippopolis à la tête d'une armée de plus de quatre-vingt mille hommes. Ayant assis son camp hors de la ville, au milieu des vastes plaines de la Thrace, il cita à son tribunal les chefs des rebelles qui étaient déja pris, fit décapiter les pachas d'Uskiup et de Smocôvo, hommes d'une taille gigantesque, qu'il craignait personnellement, livra au glaive quelques êtres insignifiants, en se contentant de retenir en ôtage les chefs de parti les plus influents. Il avait levé des contributions dans toutes les villes situées sur son passage; il exigea des sommes considérables de ceux qui l'approchaient; et sa marche non moins étonnante que son activité, fit croire qu'il allait porter un coup fatal à l'empire. Déja son camp retentissait de cris extraordinaires; on affectait de ne prononcer qu'avec mépris le nom du Sultan; chaque soir on chantait la carmagnole

sous la tente de son Tatar Aga (1); on parlait d'arborer des couleurs nouvelles, lorsqu'une insurrection éclata tout-à-coup parmi tant d'hommes divisés d'idiomes et d'intérêts (2). Ce mouvement était la suite du coup d'état médité par le diyan, qui crut le moment propice pour se défaire d'Ali pacha. On courait déja aux armes; on se disposait à marcher contre son quartier-général, lorsqu'il se montra aux séditieux, entouré de ses fidèles Schypetars. «< Vous voulez, s'écria-t-il, sortir de l'inaction; j'applaudis à votre résolution. Qu'on abatte les tentes, et que chacun me suive au rendez-vous que j'assigne à Sophia! >> Après avoir prononcé ces mots, il se met en marche, persuadé que ce signal serait celui de la dissolution des corps les plus mutins, qui profitèrent effectivement de l'occasion pour retourner dans leurs pays. Il reprit de son côté la route de Bitolia; et les ministres du Grand-Seigneur ne cessèrent de craindre qu'il ne vînt faire la police à Constantinople, que lorsqu'ils apprirent son retour au-delà de Vardar. Il

(1) Tatar Aga; chef des Tatars ou courriers, poste important à la cour des satrapes, où il est essentiel d'être bien informé et d'empêcher le public de savoir ce qui se passe.

(2) La plupart de ces troupes parlaient le turc, l'esclavon le valaque, le bulgare, et chaque nation, animée par d'anciennes rivalités, faisait de cette armée un assemblage hétérogène qui ne pouvait tarder à se dissoudre. Quant au complot contre Ali pacha, il ne tarda pas à en avoir les preuves, et ses ressentiments contre le Sultan Selim, auquel il l'attribuait, ne connurent plus de bornes.

respira lui-même en se retrouvant dans un pays ami; et comme il demanda carte - blanche, si on voulait qu'il rentrât en campagne, on s'empressa de le remercier, en lui annonçant que Sa Hautesse, satisfaite de sa conduite, révoquait les pouvoirs dont elle l'avait investi.

La charge de Romili Vali-cy est regardée comme onéreuse pour ceux qui l'obtiennent; mais Ali, accoutumé à tirer parti de tout, épuisa les provinces, en les frappant de contributions; rançonna ceux qu'il aurait dû punir; enleva des places fortes l'artillerie susceptible d'être transportée, et rentra à Janina chargé des dépouilles de la Romélie. Par calcul politique et par avidité, il ne laissa qu'un pays épuisé à son successeur, auquel il suscita des embarras nouveaux, en relâchant, quelque temps après, les chefs de bande qu'il avait emmenés en ôtage à Janina.

C'est une question de savoir si un état est moins malheureux lorsque son chef est méchant, que lors que ses favoris le sont, et la réponse pourrait être facile, si on admettait que des sujets éclairés peuvent redresser un prince vicieux; car des courtisans sans foi sont, comme les israëlites frappés de la maladie dont le seigneur punit leur idolâtrie, forcés de vivre en dehors de la société. Chez Ali, ainsi qu'à la cour des tyrans, il n'y avait qu'hypocrisie, parjure, déloyauté; le maître et les esclaves étaient également criminels. Dès qu'il fut rentré dans ses états, il s'annonça aux Épirotes, tel qu'un père qui revoit toujours avec plaisir ses enfants. Riche et heureux, on

lui donna des fêtes, qu'on aurait célébrées avec un égal transport, si on eût appris que sa tête, menacée par le divan, venait d'être attachée aux portes du charnier impérial de Constantinople, terme fatal de toutes les ambitions. Il était persuadé de cette vérité, aussi la diminution des impôts qu'il avait promise dans le danger fut-elle ajournée, et les corvées, loin d'être allégées, prirent une extension nouvelle. Ce fut donc à dater de la consolidation de son pouvoir, que l'Épire ressentit le calme de l'oppression, et les n'eurent pour consolation que de voir renverser les donjons et les tourelles des beys, leurs anciens oppresseurs, qui furent rangés ainsi qu'eux, sous le niveau du despotisme, qui n'admet, comme l'anarchie, que l'égalité de la misère pour les peuples. Vainqueur des grands, Ali ne s'appliqua plus qu'à briser quelques résistances, et sous le prétexte banal de complicité avec les Souliotes, il fit périr de proche en proche, les riches propriétaires de l'Acarnanie et de l'Étolie, qui furent accusés successivement de connivence avec ses ennemis.

paysans n'eurent

Un seul d'entr'eux parut l'arrêter; le sang des anciens rois serviens qui coulait dans ses veines, son intégrité, ses vertus, l'environnaient de tant de respects, qu'il n'avait jusqu'alors osé l'attaquer. Chousmane ou Sousmane (1), c'était le nom de cet

(1) Sousmane descendait des anciens rois de Servie, vulgairement appelés Triballes, qui avaient conquis l'Étolie. Voyez Cantacuzen., t. I, p. 263, 264; Niceph. Gregor., t. I, p. 281, ab ann. C. 1331 ad 1453; Chalcocondyl., p. 27.

homme cher aux Étoliens, qui avait pour crime, aux yeux du visir, non sa naissance, puisqu'en Turquie l'influence ne se mesure point sur l'extraction, mais ses richesses, qui sont, dans les états de pouvoir absolu, plus dangereuses que des crimes. Déja le tyran avait égorgé un des frères de ce sujet paisible, sous le prétexte injuste d'avoir fourni des secours à Paléopoulo, et pour feindre de ne pas participer à ce nouveau meurtre et d'être en mesure de désavouer ce crime, il chargea Véli pacha d'éteindre une famille dont il convoitait les biens.

Le fils du tyran qui s'était déja largement signalé dans la carrière des assassinats, partit en conséquence de Janina, au mois de janvier 1805, sous prétexte d'aller faire une espèce d'inspection militaire dans le midi de la Grèce, où son père avait affermé les terrains de dotation du Vacouf et du sultan. Il traversa sous cette apparence le Xéromeros et la Carlelie, pour se rendre à Missolonghi, sans que Sousmane, qui lui envoya les présents d'usage, se présentât pour lui rendre l'hommage que tout particulier de distinction doit en pareil cas à son seigneur. Loin d'en paraître offensé, Véli s'empressa d'agréer les excuses de Sousmane, en les expliquant dans leur sens naturel, qui était celui d'une juste défiance. Il lui écrivit donc qu'étant son meilleur ami, il sentait parfaitement l'embarras de la position dans laquelle de faux bruits l'avaient mis auprès du redoutable visir, son père; qu'il avait eu raison de craindre son ressentiment, mais cependant qu'il fût sans aucune inquiétude

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