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le pied dans la salle où l'on avait préparé, au lieu d'un banquet, les instruments de leur supplice, qu'ils furent saisis par des bourreaux travestis en officiers du palais. On leur jette le lacet fatal au col, on les traîne, on les suffoque après une longue agonie, et on sépare ensuite à coups de hache leurs têtes de leurs cadavres palpitants.

Un cri se fait entendre dans l'appartement de Veli pacha: les voilà!... disent les bourreaux haletants, en lui présentant les têtes dégoûtantes de sang des deux Étoliens, dont les yeux, encore étincelants, semblaient lancer des regards de colère sur leur lâche assassin.... Un rire convulsif est sa réponse; il crache contre elles, et ordonne de les déposer sur des plateaux de vermeil. Il veut ensuite que les danses se raniment; mais le Grec Dherman, complice des forfaits de son maître, s'évanouit à cet aspect, les bohémiens s'effraient; et Veli pacha, voyant la terreur répandue parmi ses compagnons de débauche, se retire avec ses infâmes hétaires dans ses appartements secrets, où il passe la nuit entière dans le vin et la démence des plaisirs.

Telle fut la fin tragique de Sousmane et de son fils, que les Étoliens comptent au nombre des martyrs couronnés par l'ennemi de la foi, et qu'ils invoquent dans leurs cérémonies religieuses. Ce fut à cette époque qu'Ignace, archevêque d'Arta, parvint à tromper le tyran qui lui dressait des embûches, et à se réfugier auprès des Russes à Corfou. Aussitôt après cette exécution, Ali pacha voulant prévenir la

vengeance des Armatolis, envoya plusieurs détachements dans les montagnes d'Agrapha, qu'il ne cessa de dévaster, qu'à condition que ses habitants chasseraient Paléopoulo de leur territoire. Ce courageux Etolien se vit donc réduit à quitter sa patrie; et après avoir erré pendant près de quatre ans, en se cachant au milieu des forêts, et dans les antres, accablé de chagrins, perclus de douleurs, il se rendit à Constantinople, où comme nous le dirons ci-après, il obtint la protection puissante de l'ambassadeur de France. Les autres capitaines d'Armatolis plus adroits, ou plus heureux, traitèrent à diverses conditions avec le visir, au service duquel ils entrèrent, en ajournant leurs espérances à des temps, dont on était alors loin d'entrevoir l'aurore libératrice...

Ali aurait pu jouir en paix du fruit de ses crimes', si l'usurpation était compatible avec le repos, et d'accord avec la sûreté de ceux qui l'avoisinent. La Porte était cependant loin de voir avec indifférence la conduite de son visir de Janina ; il n'y avait qu'un cri contre ses déprédations, chose à laquelle le sultan aurait été indifférent, si elles eussent grossi son trésor; mais la voix publique fut appuyée par les justes réclamations des Russes, qui occupaient alors les Iles Ioniennes. La politique du cabinet de Pétersbourg, imposante alors, comme la majesté d'un empire qui embrasse un tiers du globe, encore échauffée du génie de Catherine II, demandait, ou plutôt ordonnait au divan, par l'organe de son ambassadeur indigné des violences qu'Ali pacha exerçait contre les Grecs

des Sept Iles, qué Buthrotum fut remis sous la main du vaivode institué par le traité de 1800, et cette question, peu importante en apparence, couvrait un vaste dessein. Le ministère ottoman le sentit 2 et pour obliger son visir à cette restitution, à laquelle il ne put le contraindre, il essaya de sévir contre lui, en le privant du gouvernement de la Thessalie. Voulant réprimer et non détruire Ali, il prit à la manière des gouvernements faibles, un moyen terme, en donnant le sangiac qu'il lui retirait, à son neveu Elmas bey, fils de Suleyman et de Chaïnitza.

Mère jusqu'à la fureur, et surtout femme non moins ambitieuse que son frère, Chaïnitza, en réfléchissant que son fils Elmas était un de ces caractères doux et pacifiques, accoutumés à une obéissance passive, se crut appelée à gouverner sous son nom. Dès-lors sa tête ardente et incapable de dissimuler ne cacha plus ses projets. Ali feignant de les traiter de délire, en provoquait le développement, par le soin qu'il mettait à caresser ou à contrarier ses idées, afin de connaître sa pensée toute entière. Rien n'était refusé à une soeur, que les malheurs communs de leur enfance lui rendaient si chère, et il lui permit, au grand étonnement de sa cour, de se rendre à Tricala, afin d'assister à l'installation de son fils. Chaïnitza croyant que son frère était loin de pénétrer ses desseins, se laissant aller à ses penchants, jouissant d'avance de ce qu'elle ferait, ne se complaisait pas moins dans l'expansion de son orgueil maternel, à considérer comme placés en seconde ligne au-dessous

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de son cher Elmas, ses neveux Mouctar et Veli, qui n'étaient pourvus que de sangiacs honoraires, et, à proprement parler, que les premiers vassaux de leur père, puisqu'il ne leur permettait pas de résider dans leurs gouvernements. Elle et son fils au contraire, affranchis d'une tutelle pénible, se voyaient au point d'où d'Ali était parti pour monter au visiriat de Janina.... C'étaient là les discours ordinaires de cette créature ambitieuse, qui étaient plus que fidèlement rapportés au visir, sans qu'il parut y mettre d'importance, Bien loin de là, il souhaita qu'elle tînt un rang digne de sa condition, il lui donna de somptueux ameublements, des équipages, une suite brillante, des espions surtout bien déliés, un médecin de confiance, et il les fit magnifiquement escorter jusqu'aux frontières de la Thessalie.

On ne parlait à Janina que de la magnanimité d'Ali pacha, qui faisait une abnégation aussi complète de ses intérêts, et à son air résigné, on croyait qu'il n'avait ni ressentiments, ni arrière pensée. La meilleure intelligence régnait entre le frère et la sœur, et informé de l'époque où les firmans d'investiture devaient arriver, il envoya à son neveu une magnifique fourrure de renard noir, présent digne d'un souverain (1), pour l'en revêtir, lorsque l'envoyé du sultan viendrait lui apporter le diplôme impérial. Il recommandait à Chaïnitza de ne pas manquer d'en

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(1) Elle coutait deux cents bourses, faisant alors environ cent vingt mille francs.

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parer son fils; et celle qui prenait le titre de Pachéna, était trop vaine pour ne pas suivre cet avis.

Au jour marqué, elle revêt Elmas de la fourrure de renard noir, elle assiste, suivant l'usage de l'Orient, à la cérémonie que son ambition avait tant souhaitée. Mon fils est pacha, disait-elle aux femmes qui l'entouraient, mon cher fils est pacha; ils en mourront de dépit mes neveux!... Elle exhalait ainsi, non cette joie pure d'un cœur maternel, mais la joie d'une fille digne d'avoir été nourrie dans les flanes de l'horrible Khamco; lorsque peu de jours après, son fils se plaignit d'une langueur générale. Une propension invincible au sommeil, des éternuements fréquents, des yeux brillants, annoncèrent une maladie grave; le cadeau fatal d'Ali avait atteint son but. La pélisse de renard noir, non moins funeste que la robe de Déjanire, teinte du sang de l'Hippocentaure Nessus que la Thessalie nourrit autrefois dans ses montagnes, impregnée des miasmes morbifiques d'une jeune fille morte de la petite vérole, qu'on avait a dessein enveloppée dans cette fourrure, avait répandu son poison dans les veines du malheureux Elmas, qui n'avait point été inoculé. Une éruption d'une nature que ses femmes ne connaissaient pas se manifeste; le médecin est appelé, il saigne le malade, et sa lancette aussi meurtrière qu'un poignard, précipite Elmas dans le tombeau.

La douleur de Chaïnitza, à la vue de son fils qui venait de rendre le dernier soupir, éclata par un cri de rage qu'on tue le médecin! mais il s'était sous

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