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tion de Sélim III, leur était favorable. Enfin, on acquit la preuve qu'Ali se préparait à envoyer à Londres un Turc domicilié à Salone, nommé Seïd Achmet, originaire de Maroc, pour se mettre entièrement à la dévotion du cabinet britannique, et qu'il faisait ces démarches avec l'autorisation du gouvernement ottoman. Pour détourner l'attention, le visir, croyant donner le change, fit partir Georges Ianco l'un de ses sicaires, pour Venise, où Bonaparte était attendu. Il devait exposer en confidence l'ultimatum du satrape. Il consistait à demander d'être reconnu vassal de l'empire français, à condition qu'on réunirait les îles Ioniennes à l'Épire, qu'elles seraient érigées en principauté, dont il serait le chef, et que ce domaine déviendrait héréditaire dans sa descendance masculine. Comme dispositions transitoires, on ajoutait la demande de subsides et l'éloignement du consul de France, qui ne cessait de calomnier les intentions les plus pures d'un des amis les plus sincères de Bonaparte. On se doute de quelle manière fut reçu l'envoyé d'Ali et ses propositions, sur le contenu desquelles le ministère était depuis long-temps avisé. Ianco obtint furtivement une audience, où l'empereur ne lui adressa la parole que pour lui dẹmander sèchement s'il apportait des lettres de son consul-général de Janina; et sur la réponse négative, il 'ajouta: qu'il pouvait reprendre ses dépéches et dire à son maître qu'il ne voulait plus entendre parler de lui; qu'il saurait le faire châtier par le GrandSeigneur, s'il osait à l'avenir enfreindre les capi

tulations existantes entre la France et la Porte Ottomane. Ianco fut éconduit avec cette réponse, qu'il se garda bien de rendre textuellement au visir son maître.

Rapidement informé de cette brusque réponse de Bonaparte, le consul reçut ordre d'observer l'effet qu'elle produirait à Janina, et Ali, qui s'en doutait probablement, le mit à l'aise dès sa première entrevue avec lui. Bonaparte, lui dit-il, est fáché contre moi; écris, je t'en prie, à son ministre, que, si ce grand homme me chasse par la porte, je rentrerai chez lui par la fenêtre, car je veux mourir son serviteur. On répondit au visir que, ne sachant pas de quoi il voulait parler, et ignorant à quel objet se rattachait un propos aussi étrange, on n'avait rien à écrire au ministre. Si fait, écris, tu sais... Puis il se mit à rire avec cette immobilité des yeux qui décelait une fureur concentrée. Tel fut le résultat de l'intrigue de Venise, qui n'était forgée que pour masquer une manœuvre politique de la plus haute importance.

On s'étonnerait peut-être de voir le divan sadresser à Ali pacha, afin de ménager un rapprochement entre lui et la Grande-Bretagne, si je n'avais révélé la part qu'il avait prise aux négociations de sir Arthur Paget, et l'activité qu'il mit pour renverser un ministère dévoué à la gloire de l'empire ottoman. Hélas! je n'oublierai jamais la joie féroce que le cruel manifesta à la nouvelle de la chute de Sélim III. Je >me trouvais assis à ses côtés, assistant au tir de la bombe; la manœuvre était exécutée par nos canon

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niers venus des provinces Illyriennes, lorsqu'un Tatar fut introduit. Il parla bas à l'oreille du visir, auquel il remit ensuite un billet qu'il parcourut rapidement. J'allais me retirer pour lui laisser lire ses dépêches, lorsqu'il me retint, et ayant fait signe à tout le monde de s'éloigner, il me dit d'un air satisfait: Sélim est détroné; son neveu, Moustapha le remplace. pour quelque temps!.. entends-tu?.. Ce n'est pas le bon; tout va changer!... Tout était effectivement changé... L'empire tombait avec Sélim; sa déposition avait retenti jusque sous la tente de Bonaparte. 1995 of

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Les intérêts de la Porte Ottomane avaient été indignement sacrifiés à Tilsit! Elle ne pouvait plus fier à un allié, qui n'avait stipulé pour elle qu'un armistice trompeur, et elle dut naturellement rechercher l'appui de l'Angleterre qu'on est toujours assuré de trouver généreuse, quand cela s'accorde avec sa politique. Ali pouvait s'honorer dans cette circonstance, s'il n'eût pas voulu faire prévaloir ses passions sur les vues de son gouvernement. Peu inquiet de voir la Turquie seule en présence des Russes au lieu de rechercher l'appui de la GrandeBretagne, sans se brouiller avec les Français, il ne songea qu'à provoquer des hostilités imprudentes qui pouvaient tout perdre. ¦ úleif au l

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Le divan; souvent raisonable quand il a peur, ne demandait qu'à rétablir ses relations avec l'Angleterre sur le pied où elles étaient en 1806; mais Ali entassant mensonges sur mensonges, fit croire aux

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agents anglais qu'il avait eu des liaisons avec Bonaparte, prétendant qu'il s'était brouillé avec avec lui, parce qu'il n'avait pas voulu accéder au démembrement de la Turquie. Il affirmait que les armées de Marmont, de Lauriston et celle des Iles Ioniennes, étaient prêtes à fondre sur la Grèce. On avait déja fait une tentative, en lui redemandant le château de Buthrotum; des ingenieurs français étaient répandus de tous côtés pour lever des plans; il avait fabriqué des correspon dances qui prouvaient des projets très-étendus, et il était urgent de venir au secours de l'empire. Il demandait ensuite pour son compte, car un bon Albanais tend toujours la main, des munitions, de l'artillerie, et d'accélérer la conquête des Iles Ioniennes, afin de le débarrasser du voisinage des Français. Seïd Achmet fut expédié à Londres avec ces in structions surchargées de plusieurs autres demandes. On l'embarqua au port Panorme, avec la somme exiguë de cent louis, pour subvenir aux frais de sa mission. C'était à peine de quoi vivre pendant un mois, car il n'avait pas, ainsi que, Georges Ianco, la ressource de quelques balles de peaux de lièvre que celui-ci vendit à Venise, pour soutenir sa dignité d'ambassadeur; mais en revanche, Ali, à qui cela ne coûtait rien, lui assigna un crédit illimité sur les marchands de capes de Calarités, qui étaient établis à Malte. Ce fut donc par une avanie faite aux Valaques Épirotes, que le diplomate marocain débuta dans sa légation. Le gouverneur anglais lui procura ensuite le passage gratuit sur un bâtiment de

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l'état, et, arrivé à Londres, la munificence de lord Castlereagh pourvut à l'entretien du ministre de son glorieux allié, de manière à lui faire oublier le pain de maïs et les olives de Salone, qui faisaient le fonds habituel des repas du plénipotentiaire d'Ali Tébélen.

Après cette expédition, le sérail d'Ali prit subitement un aspect guerrier. On n'y parlait plus que de guerre depuis que la paix était faite; le satrape était d'une témérité ravissante, parce qu'il n'avait aucun ennemi en tête, et à sa cour, où chacun criait nous sommes braves, on était dans des transes dès qu'on apprenait l'arrivée d'un renfort de quelques centaines de Français à Corfou. Cependant celui qui s'imaginait avoir trompé tous les regards reprit son allure amicale vis-à-vis des autorités françaises, auxquelles il ne cessait de demander Parga, et afin de se donner l'importance à la mode, inventée par Bonaparte, et suivie depuis par ses imitateurs, qui ont perdu de vue l'adage antique ex longinquo reverentia, il se mit à parcourir ses états. Il était sans cesse en mouvement, et tel que Genséric (1), appareillant du port de Carthage, il aurait pu répondre à ceux qui lui demandaient de quel côté il voulait tourner ses pas: Vers ceux sur lesquels la colère de Dieu veut s'appesantir. Ce fut sous cette influence sinistre d'agitations et d'intrigues, que j'eus occasion d'accompagner Ali pacha, dont je vais faire connaître les mœurs in

(1) Δηλονότι ἐφ' οὓς θεὸς ὤργισται. PROCOP., Bell. Vandalic., lib. F, c. v.

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