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et de l'arrogance. Aussi incapable de supporter l'adversité que la bonne fortune, il osa se vanter hautement (et son impudence lui coûta cher dans la suite), que la révolte des janissaires et le régicide de Sélim étaient son ouvrage. Il ne craignit pas dans son délire de nommer ses complices, et il eut la témérité de reproduire la question de la guerre contre la France.

A ce signal, les émissaires du cabinet britannique, qui avaient fui pendant le choc des partis, comme les alcyons aux approches de la tempête, accostèrent de nouveau les rivages de la Grèce. Ils apportaient des dons magnifiques aux modernes Atrides, et depuis la capitale du Péloponèse, où siégeait le rejeton du crime Véli Ali-Zadé aux mœurs dissolues, jusqu'au fond de la Hellopie, on ne rencontrait que gens en uniformes de la Yeomanry, voyageant avec de larges parasols, qui venaient faire leur cour aux assassins de Sélim III. Ils leur devaient de la reconnaissance, car le chef de la dynastie Tébélenienne était depuis deux ans environ, un des instruments de leur politique. Son agent, Seïd Achmet, l'informait que lord Castlereagh s'était décidé à envoyer aux Dardanelles M. Adair, qui serait chargé de travailler au rétablissement de la paix, et des relations commerciales.

La Porte-Ottomane qui met son orgueil à être recherchée des souverains, sans jamais demander l'amitié d'aucun prince chrétien, avait exigé cette déférence et le rapprochement avec l'Angleterre avait été sagement résolu dans le divan, depuis qu'on y

avait eu connaissance du résultat de l'entrevue des empereurs. On était révolté du partage qu'ils s'étaient fait, en adjugeant à la Russie les provinces ultra - Danubiennes, tandis que Bonaparte confisquait le trône d'Espagne au profit de sa famille. L'Angleterre, justement indignée de voir parquer les peuples comme des troupeaux, qu'on brocantait avec les terrains vagues sur lesquels ils habitent, avait crié au scandale et à l'immoralité. Malgré cette juste indignation, ses négociations furent conduites avec une indifférence si mystérieuse, qu'on n'y ajouta foi à Péra, qu'en voyant arriver M. Adair à Constantinople, où il déploya le caractère d'ambassadeur de S. M. B. Les vanités drogmaniques qui se targuaient de mener le divan, furent confondues. Les salons ministériels dominants se trouvèrent désappointés; et Ali, qui n'était jamais plus content que quand il croyait avoir compromis son gouvernement, tressaillit comme un tigre ravi d'entendre ouvrir les barrières du cirque, où il va s'enivrer de carnage et de sang. Il s'imaginait que Bonaparte allait lancer ses armées dans l'Orient; il ne voyait que le plaisir de dévaster en attendant Parga, sans se douter, l'insensé qu'il était, qu'une volonté pouvait l'anéantir.

Bonaparte n'avait pas songé à briser les fers des Grecs. Le divan ne prit jamais d'alarmes à cet égard sur le compte de l'enfant du destin, qui eût été caliphe dans Bysance, avec autant de philanthropie, qu'il était empereur à Paris. Mais il ne fut pas sans

quelques inquiétudes, lorsque le prince Prosoroffski, commandant en chef des armées russes du Danube, notifia aux plénipotentiaires Ottomans réunis à Bukarest, qu'en vertu d'une disposition spéciale du traité de Tilsit, l'empereur Alexandre ayant accédé au systême de blocus continental, il n'entendrait à aucunes propositions avant que sir Adair ne fut éloigné des possessions Ottomanes. Cette déclaration apportée à Péra par le colonel Bock, aide-de-camp du généralissime russe, ayant été signifiée au divan par M. Florimont La Tour Maubourg, chargé d'affaires de France, fut reçue comme elle le méritait, auprès d'un ministère qui se rappelle encore parfois de son ancienne dignité. Le sultan rappela sur le champ ses envoyés qui se trouvaient à Bukarest, et on se prepara de part et d'autre à la guerre.

Mahmoud, en parvenant à l'empire, se trouvait sans conseil, sans finances et presque sans armées; car, quoique les journaux de Vienne, obséquieux serviteurs du sultan, qui ne les lit jamais et pour cause, lui entretinssent une armée formidable de janissaires et de cavalerie, il y avait à peine trentecinq mille hommes au camp de Choumlé. On fit donc circuler des firmans d'un bout à l'autre de l'empire, pour appeler les vrais croyants à la défense de la religion et du trône. On lut ces diplômes dans les mosquées; on les publia à Janina, et le Calchas d'Ali pacha, qui n'était pas membre de la milice combattante, s'écria dans le divan de son maître, qu'il fallait retrousser ses manches et marcher sabre en

main aux infidèles, sans que les proclamations et ses cris donnassent de soldats.

Le fanatisme, qui n'a plus pour aliment le prosélytisme ou la persécution, ne pousse depuis longtemps les Turcs qu'aux séditions et aux désordres. On voulut cependant encore toucher la corde vermoulue de la superstition, en faisant entrer processionnellement à Janina un poil de la barbe de Mahomet, que des hadgis ou pèlerins rapportaient de Médine. Une nombreuse mascarade de derviches sortit à la rencontre de la relique en psalmodiant, et après des contorsions et des spasmes, on la déposa entre les mains d'un santon janiote, qui jouissait d'une haute réputation parmi les Schypetars

mahométans.

Jousouf, c'était le nom de ce cheïk, muni de la relique précieuse, ne tarda pas à lui faire rendre des oracles, non moins véridiques que ceux de Dodone. Du fond de son hièron, établi dans une cabane voisine de la mosquée de Calo pacha, qui a succédé à l'église de Saint-Michel - Archange, depuis l'année 1447 (1), il leva la main contre le sérail du tyran pour le maudire s'il ne consentait à laisser partir les Timariots et les Spahis, qu'il avait empêchés de marcher depuis le commencement de la guerre, contre les Russes. Il lui ordonna d'armer ses fils Mouctar et

(1) Ce fut en 1447, sept ans avant la prise de Constantinople, qu'Amurat II ordonna de transformer toutes les églises de l'Épire en mosquées, et de forcer les habitants à embrasser le mahométisme.

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Véli, que le sultan appelait vainement sous le Sangiac-Chérif, et celui au nom de qui tout tremblait, dut incliner sa tête devant un pauvre faquir, couchant sur une natte de paille, vivant de pain, d'olives, et n'ayant pour boisson que l'eau du lac. On lui offrit un palais pour acheter son silence, il le refusa; on lui présenta de l'or, il le repoussa; on voulut l'intimider, il tonna!.. et des centaines de Schypetars, accourus à sa voix, demandèrent à s'enrôler. Ses paroles rassuraient les soldats destinés à former les contingents des fils du satrape, car la renommée portait sa voix jusqu'au sein des montagnes du Péloponnèse. Le peuple, qui exagère tout, prétendait que le cheik Jousouf avait la faculté de se transporter sept fois par jour où bon lui semblait. Ainsi, il savait à point nommé, qu'une jeune fille, trainée sur un char aérien par deux dragons ailés, descendrait du ciel, et que, suivie de quarante mille serpents, elle dévorerait les armées rebelles des Serviens, qui avaient été soulevés et long-temps soutenus par le prince Constantin Hypsilantis, hospodar de Valachie.

Rassurés par cette prophétie, et munis d'une poudre propre à aveugler les Russes, que le cheik Jousouf leur distribuait, quand on en viendrait à l'arme blanche, les beys du Chamouri șe mirent en route. Quant aux fils d'Ali, soit que la grace de l'Islamisme opérât en eux avec moins d'efficacité, ou qu'ils fussent plus avisés, ils temporisèrent et ne partirent que plus tard qu'ils purent pour se tenir le plus loin possible des baïonnettes russes.

le

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