Images de page
PDF
ePub

terre. Sa destruction était inhérente à la nature de son élévation. Au moment même où l'alliance de la fille des Césars d'Autriche sanctionnait l'usurpation du trône des Bourbons, un parti méditait sa ruine dans le cabinet de Vienne; et lorsque Paris saluait, au lieu de ces dauphins, enfants de la patrie, un roi de Rome, la Hongrie était inondée de prétendues excommunications du pape contre celui qu'il avait naguère sacré au pied des autels, et salué Auguste. Ces pièces, qui me furent envoyées par paquets (sans que j'aie jamais su quelle main me les adressait), fabriquées pour parler à l'esprit et aux yeux de la multitude, disaient les saintes angoisses du souverain pontife dans les fers, tandis que des estampes, jointes à ces relations, le représentaient extatiquement ravi sur les ailes des anges, dans les airs au milieu des nuages, et qui l'assistaient ensuite dans la célébration du plus redoutable de nos mystères.... Je ne pouvais en croire mes yeux : tant il est vrai, comme le dit un digne émule de Machiavel, que tout le monde n'est pas né avec une assez robuste conscience pour s'élever jusqu'aux conceptions transcendantes de la politique. Pouvais - je même comprendre ce qui se passait devant moi, en voyant lord Castlereagh nommer son ami, un régicide qui arrachait à main armée de l'autel une jeune grecque prête à recevoir la couronne nuptiale des mains du fils de Jean Logothète de Livadie; un monstre qui délivrait à prix d'argent (1) un permis à deux derviches in

(1) Pour une somme de sept mille piastres turques.

fectés d'une maladie honteuse, pour se répandre dans les campagnes, afin d'y assouvir leur brutalité sur tous les sexes, dans l'idée d'y trouver la guérison qu'un pèlerinage fait au tombeau de Mahomet n'avait pu leur procurer? et un lord d'Angleterre chanter le nouveau Phalaris?

Au milieu de ces convulsions, la mort, qui prélève chaque jour son tribut sur la nature, frappa Aden bey, dernier fils de l'incestueuse Chaïnitza. Cette nouvelle fut connue, au moment où il venait de rendre le dernier soupir, par les hurlements de sa mère mêlés aux cris de ses femmes. Dans un instant les boutiques de Janina furent fermées, et l'alarme devint générale. Chaïnitza, l'écume à la bouche, demandait qu'on lui livrât les médecins qui n'avaient pas su conserver la vie à son fils; elle voulait s'abreuver de leur sang. Ne pouvant obtenir qu'ils lui fussent remis, elle parle de s'anéantir. Elle veut se précipiter dans le lac, et voyant qu'on suit ses pas, elle cherche à s'engloutir, le dirai-je, dans le cloaque du harem. Arrêtée dans › ce dessein, elle apostrophe la divinité; elle jure de ne plus invoquer le nom du prophète pendant un elle défend à ses femmes d'observer le jeûne du Rhamazan; elle fait battre et chasser les, derviches, de son palais, et sans croire imiter l'usage antique des Thessaliens (1), elle ordonne de couper les crins des chevaux et des mulets d'Aden hey, objet éternel de ses larmes. Le chef de la police Tabir est obligé de pénétrer dans le sérail pour l'observer de près;

an;

(1) Euripid. Alcest. v. 429.

car on devina qu'elle voulait mettre le feu au palais, qui, en embrâsant le magasin des poudres, aurait fait sauter la ville entière; et il s'empressa d'écrire au visir qui se trouvait alors à Krio-Vrisi (Gomphi), à une conférence, avec son fils Véli, pour lui demander ses ordres.- Qu'elle parte sur-le-champ pour Liboovo, fut sa réponse; je te charge de l'accomplissement de ma volonté, et qu'elle soit exécutée de gré ou de force. L'idée de la possibilité d'incendier sa demeure lui avait fait prendre cette résolution, que Tahir sut adoucir, en déterminant Chaïnitza à se retirer dans l'Argyrine, où il l'assurait que son frère ne tarderait pas à se rendre pour la consoler. Elle s'éloigna après avoir dévasté ses appartements et ceux de son fils, traînant à sa suite sa bru, fille d'Ibrahim pacha, tandis que le visir, informé régulièrement de l'état des choses, calculait son retour de manière à ne rentrer en ville qu'après son départ. C'était moins pour éviter ses clameurs, que pour ne pas partager avec elle les cadeaux qui accompagnent en pareil cas les compliments forcés de condoléance, exigés des Grecs et des mahométans. Ainsi, naissances, mariages, enterrements, tout est occasion ou prétexte d'exactions dans ces contrées, où les joyeux avènements, comme les douleurs, fournissent les moyens de s'enrichir, au prince, qui compte au nombre de ses bonnes fortunes la famine, parce qu'elle lui présente l'occasion d'exercer le monopole des grains, et les pestes, destinées à lui procurer de riches héritages.

[ocr errors]

4

Véli, qui aurait dû se trouver depuis long-temps à l'armée, où son frère Mouctar était arrivé à point nommé pour se faire battre par de misérables troupes telles que les Cosaques (1), faisait la guerre à la bourse des Thessaliens, et se réjouissait à Naoussa en Macédoine. Il y accablait les sujets du sultan de contributions, lorsqu'un courrier, expédié de Constantinople, lui annonça que Sa Hautesse avait révoqué sa commission de Moreh-vali-cy, ou visir de Morée. Il fondit en larmes, et rétrograda aussitôt vers la Magnésie, pour y vivre dans ses tchiftliks, au sein d'une condition privée; tel fut le premier échec porté à l'ambition de la famille Tébélénienne. La Porte, en châtiant le fils d'Ali de sa désobéissance, prétendait complaire à la France, à laquelle elle donnait, disait-elle, en même temps une marque de sa haute estime, en reconnaissant Joachim Murat pour roi de Naples. Elle accueillait, en professant ces sentiments, un ambassadeur des cortès d'Espagne, et elle notifiait au chef de notre légation son mécontentement contre le consul général de France à Janina, accusé par les Grecs Zagorites (qu'Ali avait incités

(1) Ce fut à ce sujet que, trouvant Mouctar pacha à se faire traduire le Journal de l'empire, où il était maltraité ainsi que sa famille, il éclata, à mon aspect, en injures contre l'invention de l'imprimerie, qu'il attribuait à Voltaire : Il n'y a que nous autres pachas qui devrions savoir lire et écrirè, s'écria-t-il; si j'avais un Voltaire dans mes états, je le ferais pendre; et si j'y connaissais quelqu'un plus instruit que moi, je l'immolerais à l'instant.

à cette démarche) de porter un préjudice notable à leur commerce, en refusant des certificats d'origine. Il y avait, de cette façon, confusion en diplomatie à Constantinople, confusion en projets déçus dans la caverne du Cacus de Janina; et dès que Mouctar pacha fut parvenu à se repatrier sur les terres de son père, sous prétexte d'y lever des recrues, le satrape médita de nouveau plans de désordre, persuadé qu'il ne pouvait se soutenir qu'au milieu de l'anarchie de l'empire.

Il avait déja excité des soulèvements dans les environs de Philippopolis parmi les beys turcs, qui se battaient entre eux, au lieu de marcher contre les Russes, et on parlait d'insurrections partielles dans la Macédoine, quand le sultan nomma derechef Khourchid pacha Romili-vali-cy, avec ordre de résider à Monastir, dès qu'il pourrait s'y rendre. Afin de jeter les semences d'une rivalité qui eût des suites fâcheuses, on conféra à Véli le gouvernement de la Thessalie, qu'on retira à son père; et comme les firmans de la Porte, qu'on peut comparer aux oracles de la Sibylle, se croisent et se contredisent journellement, on adressa au satrape un firman accompagné d'une lettre autographe du grand - visir, qui lui ordonnaient de considérer le consul français et de le traiter comme un des sujets les plus éclairés entre les agents des monarques nazaréens, et un ami sincère du sultan, ainsi que de son conseil resplendissant de science, de lumière et de

gloire.

« PrécédentContinuer »