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qu'il écoutait d'un air préoccupé, en essayant de trouver moyen d'interrompre la narration.

« Voilà d'admirables choses... Tu ne sais rien de

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« rien? Mais...

«

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Qui; est ce

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Non; et qu'il a été assassiné. — Par qui

« que le major Andruzzi est mort. << tout? << ton frère croit-il que ce coup a été fait? - Par votre << ordre, visir. Hélas! il n'a que trop raison de l'imaginer. Tout dépose contre ma fortune (bakti )! << Andruzzi était mon prisonnier, j'avais juré de le relâcher, il se tue. — Vous ne l'auriez pas fait périr? Il est naturel, mon fils, de présumer <«<le contraire; mais Dieu seul que j'atteste, et mon belouk-bachi Tahir savent que ce crime n'est pas <«< mon ouvrage. Ce que j'affirme n'est point une lâche dénégation. Si j'étais coupable, je ne craindrais pas << de le confesser (duoλoyev); on ne me ferait pas, << tu le sais, pour cela mon procès à Constantinople; « mais je souhaite qu'on sache la vérité, car je tiems « à ton estime.... Je suffoque de colère, en pensant

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qu'on m'a ravi l'occasion de remplir un engage<«<ment auquel le consul avait consenti avec tant de « délicatesse, pour ménager les préjugés de ces gros« ses têtes (xúvdpa xepánia) de Constantinople, qui «< croient toujours à leurs vieux us (raλaià adαitia) « de prééminence politique (1). »

(1) J'ai intercalé ici les propres paroles en Grec dont Ali

En achevant ces mots, des larmes mouillaient les yeux du satrape, qui, saisissant une des mains de mon frère, le conjura de lui prêter attention. Il lui raconta: << que deux Chimariotes, appostés à son insu, << afin de favoriser l'évasion du major Andruzzi, lui << avaient procuré une scie avec laquelle il avait coupé <<< les barreaux en bois de la fenêtre de sa prison; « qu'après cette opération, le prisonnier ayant voulu << descendre au moyen d'une corde, elle s'était rom«< pue, et qu'il s'était fracassé la tête contre un tas « de pierres, sur lequel il était tombé. Au bruit de << sa chute, une patrouille, qui était accourue, avait

poursuivi les fauteurs de l'enlèvement du détenu, «< sans réussir à les arrêter. » C'était là l'exacte vérité, et le visir termina son apologie, en chargeant mon frère de m'engager à me rendre auprès de lui pour entendre sa justification, afin qu'il ne restât aucun doute dans mon esprit à cet égard.

Mon frère m'ayant fait part de son entretien avec Ali pacha, me parut persuadé de son innocence. Jamais explication plus simple et plus franche ne lui avait été donnée : le visir est désolé de la mort d'Andruzzi; il fera pendre, si tu l'exiges, les geóliers; il veut absolument te voir; son effroi est extrême, tache de le rassurer. Dans une autre occasion 9.

pacha se servit dans son discours artificieux, pour montrer la tournure de son esprit, et le mépris constant qu'il eut toujours pour la Sublime Porte, qu'il surnoinmait par dérision Χαμηλή Πορτά, la basse Porte..

j'aurais refusé toute entrevue, en faisant observer à mon frère que la contrition et l'épouvante du satrape étaient pour moi la démonstration complète de sa culpabilité.

Il était trois heures de relevée lorsque je me rendis au sérail: le visir venait de faire sa sieste accoutumée. Je l'aborde avec hilarité. On sert les pipes; les pages présentent le café, et il fait bientôt après signe à ses courtisans de se retirer. Je le remercie de la communication amicale qu'il avait faite à mon frère au sujet de la mort d'Andruzzi. — « Eh bien! mon fils, <«< tu vois qu'il ne faut pas toujours juger un homme << sur sa réputation, et j'espère que dans la circon<< stance présente tu t'empresseras de me justifier au« << près de ton ambassadeur. Une justification! elle << ne peut venir que de votre part, et c'est à vous qu'il appartient d'éloigner jusqu'à l'idée du soupçon, «< d'un malheur que nous sommes réduits à déplorer, Comment cela?-La chose est simple. Étranger «< comme vous l'êtes à la mort du major Andruzzi, « élargissez son fils et son neveu qui sont encore en prison; remettez-les en mes mains, et alors chacun «< croira à votre innocence, sans que vous ayeż besoin d'apologie. » A ces mots un nuage se répandit sur les traits du tyran.... <«<< Mais mon pouvoir sera «< compromis, et on pensera dans le public que j'ai « peut-être cédé à.... Ali pacha aurait cédé à quel « que considération.... Ne me faites pas dire le mot ; << on le connaît trop bien pour avoir de son caractère <«< une opinion pareille. N'êtes-vous pas toujours le

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<«< vieux lion qui disait: C'est moi qui suis la Grèce? Je voudrais, afin de rehausser encore votre puissance, << que vous me remissiez les prisonniers, au milieu « de votre conseil et à la face des Janiotes tremblants << devant vous. >> Il fit un sourire gracieux. « Langue « dorée (xpvoù jhõσox), mes sujets me croient plus qu'un homme, et je dois toujours craindre de <«< briser le talisman: pour toi, tu me connais.- Eh << bien! évitons, si vous le désirez, jusqu'à l'ombre « d'une satisfaction apparente que vous auriez l'air « de m'accorder. Pour votre honneur, rendez-moi les <«< malheureux que je réclame, et que cela se fasse << aussi secrètement que vous le souhaitez. Fort «< bien : demain. Non, aujourd'hui. Mais il est << trop tard. — C'est précisément pour cela. Ordonnez << d'abord qu'on me donne des chevaux de poste. J'ai << un courrier chez moi, auquel vous adjoindrez un << soldat de votre police, et ils partiront cette nuit ; << est-ce cela? A quelle heure? «< A deux heures de nuit mon belouk-bachi conduira << chez toi le neveu d'Andruzzi, tandis qu'un de tes << janissaires (qu'il désigna) viendra recevoir son fils,

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J'y consens.

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qui lui sera consigné à une des portes secrètes de mon << palais. Cet arrangement te convient-il? » Je fis un signe de remercîment : le maître des postes fut appelé pour recevoir ses instructions, et je quittai le visir, qui se leva en même temps, pour se retirer dans les appartements de ses femmes, en disant à haute voix aux introducteurs de ses audiences: A demain les affaires.

Les muezzins annonçaient par leurs chants le coucher du soleil, quand je rentrai au consulat, et une heure et demie après, les Turcs, ayant vaqué à la dernière prière légale, tous les bruits de la ville cessèrent. Agité d'une vive inquiétude, je racontais à mon frère de quelle manière j'avais enlacé le tyran, sans me flatter de l'avoir trompé; car il appréciait aussi bien que moi la valeur des moyens que j'avais employés pour arriver à mon but. Déja le temps nous semblait plus long qu'à l'ordinaire; nous craignions qu'il ne trahît sa parole; car quel fonds faire sur l'engagement d'un homme sans foi? lorsque le mar teau de la porte extérieure de notre avant - cour frappe. On ouvre; nous entendons des pas, et bientôt le belouk-bachi Tahir, suivi de deux soldats escortant un homme noir comme les cachots enfumés d'où l'on venait de l'exhumer, entra dans la chancellerie

Voilà le prisonnier; payez-nous son écrou. Je leur jette quelques pièces d'or, et ils se retirent.

« Où suis-je, s'écria le malheureux, en se précipi<< tant à nos pieds; le ciel m'aurait-il épargné! Oui, « je ne crains plus rien, voilà les deux défenseurs « des chrétiens. Ah! mes généreux libérateurs, je << vous dois la vie, mais par quelles angoisses ai-je «< passé! » Nous l'engageâmes à nous raconter ce qui était arrivé.

<«< Au moment, dit-il, où la caverne se ferme sur << les prisonniers du château du lac, on m'a appelé, et j'ai pensé que c'était pour me faire subir « le sort de mon oncle. Je me suis recommandé à

«

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