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<< les excès auxquels un génie ennemi de ta prospé«rité te pousse? Je l'ai plus à cœur que toi cette «< prospérité, en' t'arrachant des malheureux qui n'ont « pas plutôt cessé de vivre, que tu regrettes de les << avoir immolés. Remercie-moi donc d'avoir sauvé « le fils et le neveu de celui que tu avais fait périr, << et n'oublie jamais que ta puissance a ses bornes, <«< car si tu peux tuer, il est au-dessus de tous tes << moyens de rendre la vie même à un oiseau; enfin, << souviens-toi que nous vivons dans un temps où les << hommes ont assez de discernement pour savoir être << mécontents, et qu'un pouvoir absolu, quel qu'il « soit, ayant pour terme la durée de la force, son « action ne peut être que passagère. Voilà ce que j'avais à répliquer au visir Ali pacha; qu'il me soit << maintenant permis de traiter d'homme à homme « avec Ali Tébélen. >>

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Je déplorai la fausse position dans laquelle nous nous trouvions respectivement, en protestant du regret que j'avais de le voir réduit à quitter un poste conquis par son courage. Je l'engageai à se résigner aux ordres du sultan; « ma Porte Ottomane sera toujours ici; reviens bientôt, et puisses-tu, mieux éclairé sur tes véritables intérêts et ceux de tes enfants, ne jamais oublier que le prince le plus puissant est celui qui sait le mieux tempérer son autorité par la modération.» Nous nous quittâmes, et, dans la nuit, le visir prit la route d'Argyro-Castron, d'où il ne serait jamais sorti sans les évènements qui ne tardèrent pas à changer la face de l'Europe.

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CHAPITRE VII'

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Nouveaux dangers du consul de France. Ali revient de son exil; — fait assassiner Jousouf bey des Dibres. -Empoisonnement d'Aïsché, épouse de Moustaï pacha. Réduction des serviens par Khourchid pacha. Lettre de Khalet effendi au visir Ali.- Se projets nouveaux contre Parga.— Discussion violente à ce sujet. Expédient employé pour déjouer cette entreprise.-Les troupes du satrape attaquent Parga; sont mises en déroute. - Fuite de son escadrille. -Mort de six grenadiers français et de deux religieuses. -Allégresse du tyran changée en fureur. Conduite honorable de M. G. Foresti, résident de S. M. B. -—- Stratagème employé pour rendre le colonel Nicole suspect aux Parguinotes. Intelligences de ceux-ci avec les Anglais; se livrent à eux; en reçoivent le pavillon de S. M. B. qu'ils arborent. Retour d'Ali à Janina. Discours remarquable qu'il tient au consul de France. - Réponse.

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L'ANGLETERR

'ANGLETERRE avait à cette époque pour résident à la cour du visir Ali pacha M. Georges Foresti, qui aurait paru une exception parmi les diplomates de S. M. B., si depuis quinze ans, ils n'avaient pas reçu dans l'Orient une régénération morale, par les noms de quelques ministres tels que MM. Adair, Canning, et l'honorable Robert Liston. M. Foresti, aussi zélé pour le service de son prince, qu'homme de bien, ne vit pas plutôt Ali pacha dans la disgrace, qu'il se rendit à Argyro-Castron. Ce n'était pas pour

consoler celui qu'il n'avait jamais estimé, mais afin de l'éclairer de ses conseils, et surtout de surveiller la perfidie de ses desseins.

La mésaventure du tyran n'avait pu être longtemps secrète. On se demandait comment il avait cédé, lorsque le tragique vingt-neuvième bulletin de la grande armée, répandit dans la Grèce la nouvelle des désastres de Napoléon. On ne mit plus en doute à Janina, que le consul français allait périr victime des ressentiments d'Ali pacha, et un de ses secrétaires, Colovos, lui conseilla de s'éloigner. Je l'ai entendu, lui dit-il, et vous ne pouvez imaginer quel sort épouvantable il vous réserve; fuyez, il en est temps encore, fuyez, au nom de Dieu! Il est trop tard, repartit le consul, il a intérêt à me ménager, et il ne voulut pas s'expliquer plus positivement. Un billet écrit en italien, l'avertissait qu'un assassin était attaché à ses pas. Il n'en connaissait point l'écriture; mais céder au danger! cette idée était loin de sa pensée. Il attendit donc les évènements avec autant de tranquillité qu'on peut en conserver dans un grand danger, convaincu qu'Ali, qui commit rarement une crime contraire à ses intérêts, ne se perdrait que par l'abus de ses prospérités; il devait tomber de plus haut.

pas

Pareil au Léviathan, le rebelle, frappé de l'anathême civil, réfugié à Argyro-Castron, ne fut plutôt informé de nos revers, qu'il revint à Janina. A son attitude, on aurait imaginé qu'il avait aussi triom phé de ces armées vaincues par le climat, qui pouvait

seul renverser tant de héros; et il insulta lâchement aux manes de nos légions sacrifiées par Varus à l'inclémence des saisons; car l'honneur français était intact au milieu de nos désastres. Je m'abstins d'aller visiter le tyran, et mon frère, qui venait de me rejoindre, tempéra son arrogance, en lui apprenant que loin de le redouter, le général Donzelot se glorifiait de donner asyle aux familles patriciennes de l'Épire, qu'il avait proscrites. Cette réponse énergique à une extradition que le tyran sollicitait, le détermina à envahir la partie occidentale de la basse Albanie. Ainsi, dès l'ouverture du printemps, il acheva la conquête de la Thesprotie, en s'emparant de la ville de Margariti; et, à l'exception de Parga, il fut maître absolu de l'Épire, qu'il avait désolée.

Des ruines, tels sont les monuments de la tyrannie; et le satrape guidé par une furie vengeresse, allait bientôt ajouter aux tombeaux élevés autour de lui, celui de la jeune Aïsché sa petite-fille, qu'il venait à peine de couronner du bandeau nuptial. Désespéré de n'avoir pu attirer dans ses filets Jousouf bey des Dibres, que son influence plus encore que son courage lui rendaient redoutable, il résolut de le faire assassiner. La chose était difficile, car tout homme puissant était sans cesse alors en réserve contre ses embuches, et il fallait des moyens nouveaux pour parvenir à ses fins. Mais que ne peut pas le génie du crime? Janina était remplie d'aventuriers; et un de ces scélérats repoussés de la société, qui trouvent toujours accès chez les princes auxquels ils ressem

pou

blent, avait offert de lui vendre le secret de la dre fulminante. Ce brulot portatif, plus meurtrier que le poignard, et surtout plus commode pour commettre des assassinats, fut reçu avec avidité par Ali pacha. On en fit l'essai en sa présence, sur un pauvre religieux de l'ordre de St. Basile, qu'il tenait depuis long-temps en prison pour le forcer à une simonie sacrilége, et l'expérience ayant répondu à ses désirs, il résolut d'en faire l'application. Il se hâta en conséquence d'expédier par un Grec qui ne s'en doutait nullement, un prétendu firman renfermé et scellé suivant l'usage dans un étui cylindrique, à Jousouf bey, qui en l'ouvrant, eut le bras emporté par l'explosion de la poudre fulminante, et mourut de sa blessure après avoir fait écrire à Moustaï pacha de Scodra, de se tenir sur ses gardes.

Sa lettre arriva à Moustaï pacha, au moment où une pareille machine infernale venait de lui être adressée sous le couvert de sa jeune épouse, que son grandpère chargeait de lui remettre. Le paquet fut saisi, et la belle-mère d'Aïsché, femme jalouse et cruelle, dénonçant aussitôt la plus innocente des créatures, qu'elle accusait d'un crime que ses vertus auraient seules démenti, un poison secret coula aussitôt dans les veines de celle qu'on ne daigna ni interroger, ni mettre devant son juge. Ainsi la fille de Véli et de Zobéide, enceinte de six mois, mourut pour expier l'attentat de son aïeul, qui éprouva plus de chagrin -d'avoir échoué dans son entreprise, que du sacrifice de la jeune et douce Aïsché.

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