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Les régions sauvages de la Guégaria, épouvantées du meurtre de leur chef Jousouf bey, tremblaient devant le génie d'Ali pacha; et la Thesprotie, réunie à ses domaines, ne lui montrait plus dans le lointain que l'acropole de Parga, restée étrangère à sa domination. Ce promontoire, sur lequel s'élevaient les autels du vrai Dieu, entourés d'une population de quatre mille chrétiens paisibles, était pour le tyran le rocher de Sisyphe. Son aspect faisait le tourment de son existence, lorsque la révolte d'Agia, bourgade limitrophe, qui demanda à faire cause commune avec les Parguinotes, en se réunissant spontanément à leur confédération, porta sa colère au plus haut degré d'exaspération. Aussitôt le cri de guerre retentit au serail, et sans les victoires de Lutzen et de Bautil est probable que la guerre allait éclater dans un pays où l'on s'était appliqué à maintenir une neutralité, qui ne pouvait être rompue dans des circonstances plus facheuses. Le consul de France eut le bonheur inespéré de faire évoquer à Constantinople, la connaissance d'une affaire que l'épée seule pouvait plus tard terminer, et l'année 1813 se termina sous ces auspices.

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La Porte, accoutumée à dissimuler, crut devoir garder le silence, en se référant à une plus ample information, parce que les affaires de la Servie appelaient alors toute son attention.

Le traité de Bukarest avait promis l'oubli du passé aux Serviens, qu'une puissance étrangère avait soutenus pendant douze ans contre ce qu'elle appelait

alors l'autorité illégitime du sultan, tant la morale des cabinets est flexible, et qu'elle abandonnait au moment où ils n'étaient plus utiles à sa politique, en leur recommandant de se soumettre au sultan. Des. cœurs ulcérés ne se calment pas avec des manifestes. Comme on vit qu'il fallait plus que des firmans pour faire rentrer les descendants des Daces dans le giron de l'obéissance, le divan jugea convenable d'appuyer ses raisons, du concours de la force armée. Le soin de réduire Czerni Georges et ses bandes fut en conséquence confié à Khourchid pacha, qu'on faisait reparaître en scène toutes les fois qu'on avait quelque entreprise difficile à terminer. Son ennemi Khalet effendi, qui avait été long-temps stipendié par Ali, avait cru se venger de Khourchid, en lui procurant une pareille commission; mais les évènements ne répondirent pas à ses vœux.

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Le vieil ennemi de la race Tébélénienne, Khourchid, bien convaincu qu'il ne tirerait de Constantinople que des embarras, songea à se créer des ressources particulières. Il appela en conséquence autour de lui les Timariots et les Spaïs de la Turquie d'Europe. Content de ces milices, qu'il sut plier à une discipline sévère, et des secours de la Bosnie qui se leva en masse à ses ordres, il ne voulut pas qu'Ali pacha, ni aucun de ses fils, fussent conviés à l'honneur d'une expédition qu'il eut la gloire de terminer, sans égorger des populations entières; chose inquie jusqu'alors dans les fastes militaires de l'empire ottoman (1).

(1) Belgrade, Schabatz, et toutes les principales forteresses

C'est pour la première fois que j'ai nommé Khalet effendi, courtisan délié du sultan, qu'on verra figurer dans la suite de cette histoire, au milieu de la commotion qui ébranla l'empire Ottoman. Il mandait à Ali de surveiller les desseins des Français, et de profiter des évènements, pour tenter un coup de main contre Parga, en le prévenant d'agir de manière à pouvoir être désavoué sans se compromettre, s'il échouait dans son entreprise.

Dès ce moment les vociférations, signe ordinaire de l'impuissance, cessèrent, et on distingua bientôt les préparatifs d'une expédition extraordinaire. Pendant les mois de janvier et de février, les routes furent couvertes de troupes qui arrivaient à Janina, et on dut à l'indiscrétion de Mouctar pacha d'être prévenu des desseins de son père. On entrait dans le mois de mars, quand le visir levant le masque, appela le consul de France au serail, pour lui notifier, qu'il allait porter du côté de Parga, un corps d'armée de cinq à six mille Albanais, commandés par ses lieutenants Hago Muhardar et Omer Brionès, qui seraient subordonnés à son fils Mouctar. A cette déclaration, le consul demanda au visir, ce qu'il prétendait en dirigeant des troupes vers cette frontière? M'emparer d'Agia, combattre ses habitants rebelles, et les poursuivre Jusque dans Parga, s'ils s'y refugient! « Le choses

de la Servie se rendirent sans coup férir à Khourchid pacha, qui eut la sagesse d'empêcher ses troupes de porter la dévastation dans les campagnes, et de pousser les chrétiens au désespoir.

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« étant ainsi, repartit celui-ci, mon rôle de négocia<«teur finit, et je vous prie de me donner des passe« ports pour sortir à l'instant de l'Épire.» Déja le consul se levait pour sortir, lorsqu'Ali le retint, en le saisissant avec force par le bras: «Suis-je votre << prisonnier?—Non, écoute.... Je suis informé que <«<les Parguinotes traitent dans ce moment, 1. pour <«< livrer leur ville aux Anglais, tandis qu'ils négocient auprès du général Donzelot, pour en obtenir de l'argent et des munitions. Juge, et prononce, si je << peux me laisser prévenir dans l'occupation d'une place cédée à la Porte par un traité, et qui doit « faire partie de mes domaines. Mes troupes partent <«< cette nuit; elles s'abstiendront de toute hostilité; << mais si l'œuvre de la trahison s'accomplit, je les pla<«< cerai de manière à gagner les Anglais de vitesse. »

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Dans toute autre circonstance, le consul aurait répliqué au visir, que son stratagème serait considéré comme un acte d'hostilité; mais il feignit de se payer de ses raisons. Fronçant alors le sourcil, Ali lui demanda une lettre pour le commandant de Parga Hadgi Nicole, colonel des chasseurs d'Orient (1), afin de l'engager à remettre la place; et lui ayant

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(1) Nicole, surnommé Hadgi, à cause qu'il avait fait le pèlerinage de Jérusalem, natif de Kyssos ou Tchesmé, dans l'Asie Mineure, s'était illustré au service des beys d'Égypte, et depuis sous les drapeaux français. La vie de cet homme, mort à Marseille en 1816, fournirait une histoire très-intéressante, si on parvenait à retrouver les mémoires qu'il avait dictés à un officier-général de notre armée d'Orient.

répondu qu'il ne pouvait le faire, il changeá brusquement de batterie. I proposa d'envoyer à Corfou un négociateur, chargé de porter au général Donzelot des propositions, tendantes à lui demander la remise immédiate de Parga aux conditions les plus avantageuses dans sa position, et les plus honorables pour nos armes. Le consul saisit avec empressement cette idée, qui lui parut offrir le seul moyen de sauver une population' chrétienne, qu'il avait protégée et défendue depuis tant d'années au péril de sa vie. Le commissaire du visir qui devait se rendre à Corfou fut laissé à son choix, et on présume qu'il désigna un homme digne de sa confiance. On regrette que la sûreté personnelle de cet individu ne permette pas de faire connaître son nom, pour reposer l'attention du lecteur sur une des créatures les plus vertueuses de l'Épire. Il fut convenu qu'on lui donnerait une lettre d'introduction auprès du général, et que Colovos, drogman du visir, se rendrait à l'instant chez le consul, pour se concerter sur sa rédaction. Ali parut enchanté de cette déférence, promit de ne rien entreprendre avant d'avoir reçu une réponse de Corfou, et on se quitta dans les meilleurs termes.

Colovos resté un moment auprès du pacha, pour recevoir ses dernières instructions, n'eut pas plutôt rejoint le consul avec le commissaire, qu'il lui confia que l'intention positive de son maître était d'attaquer Parga, et de risquer par l'entremise de ses lieutenants, un coup de main contre cette ville, sauf à les désavouer s'ils ne réussissaient pas; et il finit en

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