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tolérance et de fanatisme; je dirai comment Ali Tébélen Véli Zadé, après s'être créé une de ces effrayantes réputations qui retentiront dans l'avenir, est tombé du faîte de la puissance, en léguant à l'Épire, sa patrie, l'héritage funeste de l'anarchie, des maux incalculables à la dynastie tartare d'Ottman, l'espérance de la liberté aux Grecs, et peut-être de longs sujets de discorde à l'Europe,

Inaperçu comme les germes de l'indépendance qui se développaient dans la Grèce, Ali Tébélen naquit avec eux vers l'année 1740, Les descendants malheureux d'Hellen comptaient alors trois cents ans d'esclavage, et vingt-cinq siècles de traditions historiques conservées parmi eux, pour leur rappeler leur origine. Ils étaient comme ces dieux bannis de l'Olympe, réduits à la condition des pâtres et des manoeuvres, en servage, mais libres de toute antiquité, et du sang des héros. Ils foulaient la cendre des Romains, qui leur avaient légué leur nom; et ils étaient parvenus à échapper au naufrage, parce qu'ils avaient jeté leur ancre d'espérance au sein d'une religion à laquelle le Très-Haut a promis la durée des temps. Il n'en était pas ainsi de leurs oppresseurs. L'empire des Turcs, fondé et maintenu par la violence, caractérisé par l'injure envers les vaincus, puisant sa force dans l'injustice et la terreur, ne devait avoir que le cours des fléaux qui s'épuisent en vieillissant. Son despotisme s'usait, et se serait enseveli sous les décombres amoncelés autour de son trône, s'il n'avait pas eu ceux qu'il foulait aux pieds pour l'alimenter. Ainsi tom

bèrent Ninive, Suze, Ecbafane, Babylone; mais il n'en devait pas être de même d'un peuple, quoique asservi, qui conservait son langage et ses mœurs.

Tandis que les Grecs, séparés des Turcs par leur croyance, se retrempaient dans le malheur, ils étaient, dans cette fausse position, plus intéressants à étudier que la chronique de Paros; car leur physionomie nationale tenait lieu d'inscriptions pour reconnaître le passé et pour lire dans l'avenir: on y retrouvait les traits des Hellènes, et il suffisait d'envisager les montagnards, qu'on ne domine jamais dans aucun pays du monde, pour en conclure que les destins de la Grèce changeraient un jour. Échappés à tous les conquérants, les enfants du Pinde et du Parnasse chantaient encore les victoires de Miltiade, de Pyrrhus, et d'Alexandre, quand ils apprirent qu'il existait une nation nombreuse, baptisée par un de leurs évêques, chrétienne comme eux, commandée par un monarque qui n'avait pas dédaigné de redevenir homme, pour délivrer son peuple des ténèbres de l'ignorance et de la barbarie. Au nom de Pierre-leGrand, la Hellade aperçut d'autres cieux et un nouvel horizon! Les insulaires de l'Archipel osèrent, nouveaux Argonautes, porter leurs regards vers la mer de Colchos: ils découvraient le labarúm dans un lointain mystérieux, quand le nouveau Constantin qu'ils at ́tendaient, Pierre I, accablé par les Turcs, sur les bords du Pruth, trop heureux d'obtenir sa liberté d'un visir, au prix de quelques-unes de ses conquêtes, les laissa sans avenir. Une seule peuplade chrétienne par

vint alors à attacher sa destinée à l'empire des Czars: les habitants du Czerna Gora, ou Monténégro, tribu Slave, qui donna à ses co-religionaires le premier exemple d'une scission publique avec la Porte Ottomane.

Plus d'un demi-siècle s'était écoulé depuis cet évènement, quand on vit paraître dans la Grèce des émissaires de l'impératrice Anne, ou plutôt de son ministre Munich, qui parlaient aux chrétiens de patrie, de religion et de liberté. Le cabinet de Pétersbourg préludait ainsi secrètement à une guerre qu'il souhaitait, quoiqu'il feignît de la redouter. Il s'y était préparé, en se liguant avec Charles VI, empereur d'Allemagne, pour combattre les Turcs. Des raisons d'état semblaient prescrire à la France de s'opposer à cette entreprise; mais Louis XV, et le cardinal de Fleury, son ministre, répugnaient tellement à une alliance avec les Turcs, qu'ils ne contribuèrent à les secourir que par des conseils tardifs, et l'envoi de quelques officiers, que les barbares ne surent pas ployer utilement. Enfin, il suffit de dire, pour le sujet qui nous occupe, que la Grèce ne fut mêlée en rien dans les convulsions de la Turquie, auxquelles le traité d'Aix-la-Chapelle mit fin. Mais depuis ce temps, frappé de caducité, l'empire ottoman sembla dévolu à l'anarchie. On n'entendit plus parler que de rébellions au sein de la capitale et des provinces; et la secte des Wahabis, qui avait paru dans l'Arabie en 1740, fit craindre un bouleversement jusque dans le dogme des sujets mahométans du successeur des califes.

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La Grèce, au contraire, renaissait insensiblement.

J. OEconomos, religieux de l'ordre de S.-Basile, venait, avec l'autorisation de la Porte, de fonder un collége à Cydonie, pauvre village de l'Asie-Mineure, qui ne tarda pas à devenir une ville florissante. Le gymnase de Janina acquérait des dotations pour l'entretien de ses professeurs et d'un certain nombre d'élèves. Chios fondait une académie; mais quelle main devait régir et diriger tant de membres épars et dissemblables d'une société renaissante? quelle voix pouvait être entendue des peuplades guerrières de l'Épire, de la Thessalie, de la Macédoine, et de ces enfants de Tubalcaïn qui épurent dans leurs fournaises ardentes les métaux du mont Pangée? Où se trouvaient les nouveaux Orphées capables d'adoucir des mœurs agrestes, de tempérer des passions exaspérées par des siècles d'injures, et de faire descendre les lions du mont Olympe dans les vallons, pour en faire un peuple homogène que tout conviait à l'émancipation, sans qu'on entrevît le moyen de l'opérer? Nous l'avons dit, ces modérateurs devaient sortir du sein de la religion, suprême espérance de toutes les infortunes.

Depuis le temps de la conquête, l'église orthodoxe était restée dépositaire d'un pouvoir très-étendu sur les fidèles de la communion grecque. C'était vers cette mère que s'adressaient leurs soupirs, et jamais ils ne cessèrent d'y trouver d'inépuisables consolations. Le patriarche œcuménique, monarque spirituel, entouré d'un synode, correspondait, par l'entremise de ses exarques, avec les archevêques, métropolitains, évê

ques, hégoumènes, qui formaient le chaînon de la hiérarchie régulière avec le clergé séculier. Celui-ci s'appuyait en troisième ligne, par ses logothètes, ses sacellares et ses anagnostes, sur les chefs des vieillards, préposés à l'administration publique; de façon qu'il existait une aristocratie chrétienne sous le glaive du despotisme, qui n'était régie que par des admonitions et des censures ecclésiastiques.

Les Grecs se trouvaient de cette manière, comme aux premiers siècles de l'église, séparés des adorateurs de Moloch, que quelques-uns d'eux approchaient cependant pour assister à leurs conseils. La Porte Ottomane, sortie avec ses sultans des flancs du Caucase, avait dû recourir aux Grecs pour la haute direction de sa diplomatie, que quelques familles privilégiées, réunies dans un quartier de Constantinople qu'on nomme le Phanal, étaient en possession d'exploiter, de la même manière à peu près que les Cophtes administrent encore de nos jours les finances des modernes Pharaons. Ainsi les Grecs n'avaient pas perdu, comme les Juifs, le trône et l'autel. Ils étaient un peuple, mais subjugué, tributaire. Un vainqueur prévoyant aurait pensé qu'il ne pouvait pas toujours le régir par le droit de conquête, sans s'exposer à ce que des hommes initiés à ses affaires, ne devinssent les auxiliaires d'un empire co-religionaire qui leur tendait les bras. A la vérité, le Phanal ne pouvait rien sans l'église celle-ci, essentiellement soumise, n'apprenait à son tour aux fidèles qu'à mourir pour la croix; et, pour leur faire oublier leurs devoirs po

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