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de Notre-Dame des Blaquernes, où ces religieuses, immolées au pied de l'autel de leur céleste époux, mêlèrent leur sang à celui de leurs défenseurs.

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Palmes du martyre et de la gloire, croissez sur le cap Chéladi; ombragez le tombeau des pieuses colombes de la sainte Sion, et de six guerriers, enfants de l'opulente Normandie, que leurs familles ne reverront jamais (1). Jamais! Étrangers qui visiterez ces plages, donnez une larme à leur mémoire; ils sont morts loin de leur patrie.

Les mahométans, consternés de leur défaite, fuyaient à travers les vallées de la Thesprotie, tandis qu'un autre combat s'engageait à l'orient de Parga. L'escadrille d'Ali pacha, sortie du golphe Ambracique, venait de s'approcher pour prendre part au carnage; car l'ordre du tyran voulait que les habitants au-dessus de douze ans, ainsi que la garnison, fussent passés au fil de l'épée. Quelques volées, tirées des batteries de la Madona Analipsis, îlot qui défend les approches de la place et de son principal mouillage, suffirent pour l'éloigner. Une barque montée par des Paxinotes, peuplade la plus timide de l'archipel Ionien, s'étant mise à la poursuite des fuyards, l'amiral du visir, Athanase Macrys, Grec de Galaxidi, dont elle accosta le bâtiment, fut tué d'un coup de fusil sur son banc de quart. D'autres embarcations mettaient à la voile, encouragées par cet exemple; mais la frégate anglaise la Savanah, qui croisait au large, ne permit pas aux

(1) Ils étaient tous natifs du département de l'Eure.

chrétiens, alors rangés sous nos couleurs, de s'aventurer en pleine mer pour donner la chasse aux Turcs: les cris de victoire retentirent dans Parga.

Ils retentissaient presque en même temps à Prévésa, où le visir Ali pacha tenait sa cour. Un courrier, expédié au commencement de l'action, lui avait apporté des oranges cueillies dans les vergers de Parga; et il lui donna sa bourse remplie d'or pour prix de cette bonne nouvelle, en faisant annoncer par des crieurs publics la gloire de ses armes. Les cris d'allégresse redoublèrent à l'arrivée d'un second messager, lorsqu'avec le bulletin du mouvement rétrograde d'une de ses bandes, on lui présenta les têtes des deux soldats français tués au poste de St.-Triphon, en lui annonçant que ses troupes avaient penétré dans les rues de la ville basse de Parga. Sans attendre d'autre avis, Ali commande à ses gardes de monter à cheval, et il se jette dans sa calèche, en prenant la voie romaine qui conduit à Nicopolis. Jamais Auguste ne fut aussi superbe après la bataille d'Actium, qui mit en ses mains le sceptre du monde, qu'Ali Tébélen dans sa marche rapide vers la cité de la victoire. Il détachait courriers sur courriers à ses généraux pour leur mander d'épargner les femmes et les filles de Parga, qu'il destinait aux délices de son harem, et surtout de ne rien laisser distraire des armes et du butin, lorsqu'arrivé aux arènes de Nicopolis, un troisième Tatar lui apprend la déroute de son armée. Un voile de douleur se répand sur ses traits, et ses lèvres tremblantes ont peine à articuler l'ordre

de rebrousser chemin vers Prévésa. Les chevaux se précipitent aussitôt sous le fouet du cocher, et rentré dans son palais, le tyran, déçu de son espoir, éclate en sanglots. Il se roule sur son sopha, en mugissant comme un taureau, sans qu'aucun des siens ose prendre la parole pour lui adresser des consolations. Parga, nom fatal, est le premier qu'il prononce, en le mêlant à ses imprécations. Il demande par fois s'il est bien vrai que ses troupes ont été battues. Que votre malheur, répètent ses pages en s'inclinant, retombe sur nous, Νὰ πάρωμεν τὸ κακό σου! On essayait de le tenir dans l'incertitude, lorsque, levant les yeux du côté de la mer, il aperçoit de sa fenêtre sa flottille doublant la pointe du Pantocrator, pour rentrer dans le golfe Ambracique. Elle mouille au pied du sérail; on hêle la barque commandante et le son du porte-voix lui annonce la mort de son navarque Athanase Macrys.... Et Parga? Vivez que Dieu vous accorde de longues années, seigneur; les Parguinotes ont échappé aux coups de votre altesse. Sa tête retombe sur sa poitrine: Kismet idgel gueldy, le destin le veut, dit-il en soupirant.

Cette réflexion ayant rendu le calme à ses esprits, il fait inviter à une conférence M. Georges Foresti, résident de S. M. B., qui l'avait devancé de quelques jours à Prévésa. Il lui raconte sans feinte ce qui vient de se passer; il le conjure d'intervenir dans le danger imminent où il se trouve; il le prie en fondant en larmes d'engager les Anglais à daigner assister leur vieux ami, le bon serviteur de leur roi, dans une

seconde entreprise contre Parga, qu'il veut recevoir de leurs mains, et tenir à hommage du souverain de la Grande-Bretagne. Il sera à jamais le plus humble de ses esclaves, et le plus reconnaissant de tous les hommes envers celui qui, aidant à le venger, le mettra à l'abri du courroux des Français, qu'il vient d'encourir en leur déclarant la guerre. Il se confond en protestations, parle de sa barbe blanchie au milieu des dangers; il n'aspire et n'aspirera désormais qu'à vivre en paix, s'il obtient un coin de rocher insignifiant, mais qui fut toujours la pierre de scandale de l'Épire et le refuge de ses ennemis. M. Foresti feint de céder à ses instances; il ne demande qu'un yent propice pour se rendre à la croisière anglaise, pour s'y aboucher avec le commodore; et le satrape renaît à de nouvelles espérances.

Dès que M. Foresti l'eut quitté, Ali songea qu'en attaquant Parga aussi loyalement que le comportait. une agression condamnée par le droit public, il avait négligé d'user de stratagème, moyen qui a réduit plus de villes, depuis la prise de Corinthe par Philippe jusqu'à nos jours, que tous les efforts de la balistique ancienne et moderne. J'ai acheté le gain de la bataille, disait naïvement le grand Frédéric ; mais Ali n'aurait trouvé que peu d'ames vénales pour se résigner à passer à prix d'or sous un gouvernement tel que le sien, et il ne le sien, et il ne pouvait rien acheter. Il sentait cette difficulté, et il comprit qu'il fallait diviser Jes Parguinotes, afin de susciter entre eux des mésintelligences fatales à leur cause.

Le colonel Nicole, qui venait de s'illustrer en défendant Parga, avait séjourné pendant près de six mois à Janina, où il avait conduit un détachement de canonniers français, mis sous ses ordres par le général Marmont, qui servirent Ali pacha en qualité d'auxiliaires jusqu'à la paix de Tilsit. Le pacha avait fait un accueil tout amical au colonel, dans lequel il voyait un homme dont il avait entendu parler depuis long-temps, et il s'établit entre eux, tant par les souvenirs que par les rapports journaliers du service, une sorte d'intimité, qui les portait naturellement à se complaire. Les vieux soldats sont conteurs, et c'était une jouissance particulière pour le pacha d'entendre Nicole, qui parlait la plupart des langues orientales, lui faire le récit de ses aventures auprès du cheïk Daher, prince rebelle de la Palestine, et du fameux Ali, bey-el-kébir d'Égypte, qu'il avait long-temps servi avec bravoure et fidélité. Il passait des heures entières à l'écouter. Son attention semblait suspendue aux lèvres du narrateur, lorsqu'il lui disait de quelle manière il avait sauvé les beys égyptiens que la Porte tenait en ôtage à Lemnos, et ses rapports avec l'amiral Hassan pacha, qui ne dormait qu'à côté d'un lion énorme, dont il était sans cesse suivi, comme on le serait par un chien (1). Il se transpor

(1), Ce fait est connu depuis long-temps. Voy. le tome II de mon Voyage en Morée et à Constantinople, publié en 1865. C'est par une licence permise aux peintres et aux poètes, qu'un de nos plus célèbres artistes donne un lion à Méhémet

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