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saient d'autant plus à les humilier qu'ils étaient loin de leur pardonner leur gloire. Mais un esprit plus redoutable pour les Mahométans, que celui des militaires accoutumés à exhaler hautement leurs plaintes, et qui sont par cela seul peu propres à conspirer, agitait sourdement la Grèce. On peut le dire maintenant, sans crainte de compromettre ses destinées: c'était celui d'une foule de jeunes gens élevés dans les universités d'Allemagne, d'Italie et de France.

Tous étaient des hommes de bien, éclairés, mais enthousiastes de leur patrie, sans être de l'école de ceux qui prétendaient y introduire les maximes antisociales de l'anarchie. Ils sentaient que la Grèce ne pouvait être régénérée que par l'union de la morale avec la religion. Ils connaissaient la puissance de la croix sur un peuple toujours prêt à se dévouer pour elle; et plusieurs d'entre eux s'astreignirent à la règle austère des religieux Basilidiens, afin d'imprimer une autorité sacrée à leurs préceptes, et de diriger d'une manière efficace l'instruction publique vers un but d'enseignement politique et religieux, Ainsi, l'Esprit saint descendit au milieu des écoles nationales de Janina, de Chios, de Cydonie; et, à l'exception d'Athènes, où quelques cerveaux délirants prétendirent ramener les jours du Portique, le feu sacré de la liberté brûla sur les autels du vrai Dieu. Le patriarche, le synode et les chefs de l'église, répandirent leurs bénédictions sur les saintes entreprises des nouvelles écoles grecques. On poursuivit les projets de Grégoire, qui s'était occupé de propager les livres de

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piété, en se faisant imprimeur, lorsque descendu pour la seconde fois du trône œcuménique, il avait été exilé au mont Athos. Des presses furent apportées à Cydonie et dans le mont Liban; d'habiles ouvriers, formés dans la typographie de l'Elzevir moderne, M. Firmin Didot (1), imprimèrent des livres de religion à l'usage des fidèles, et les lumières se propageaient, tandis que les Turcs se dégradaient et annonçaient ainsi une ère de régénération aux belles contrées de la Grèce et de l'Ionie. Ceux des jeunes Hellènes qui n'avaient pas été admis dans les grands colléges, s'étaient disséminés au loin pour fonder de petites écoles. D'autres exerçaient la médecine, qu'ils avaient étudiée à Paris, à Padoue et à Vienne; ou de laborieux traducteurs reproduisaient en langue roméique nos classiques, pour les répandre parmi leurs compatriotes. Enfin, quelques jeunes gens instruits se livraient au commerce, et tout était organisé de façon qu'il n'y eut bientôt plus de village, de factorerie, de caravane, ni de vaisseaux en commission, où il ne se trouvât, ainsi qu'aux siècles de l'église primitive, quelque disciple qui ne répandît les doctrines de l'évangile et de la liberté promise aux nations par son divin auteur, lorsque la société des Hétéristes vint

(1) Son fils Ambroise Firmin Didot, élève du respectable Coray, ramena du collége de Cydonie le jeune Dobra, à qui il enseigna la gravure et tous les procédés dé la fonderie dés caractères et de l'imprimerie,

enflammer des hommes prédisposés à de grands changements politiques.

Tel était l'état de l'esprit public, dans la Grèce, vers la fin de l'année 1814. Les personnes sages, qui forment partout la minorité, prétendaient qu'il fallait vaincre les Turcs par la supériorité des lumières et des richesses. Les Hydriotes, devenus une puissance maritime, partageaient cette opinion, qui était celle des principaux négociants grecs des échelles du Levant; mais malheureusement le peuple, écrasé sous le poids des charges publiques, animé du sentiment exagéré de sa force, ne répondait pas à ces vues de temporisation. Les hétéristes, qui n'avaient rien à perdre et beaucoup à gagner dans une insurrection, disséminés dans les villes et dans les hameaux, en s'adressant aux passions, flattaient tellement la multitude que le nombre des opposants diminuait de jour en jour. On conspirait ouvertement; et à la cour même d'Ali pacha, on ne craignait pas d'avouer les projets d'un grand changement politique dans la Turquie. On devait se servir du satrape pour allumer l'incendie, en le mettant aux prises avec le sultan; et quoiqu'on ne crût pas les Grecs mûrs pour la liberté, on les jugeait assez forts pour terrasser les Mahométans. On comptait sur la coopération des Russes. Si elle n'était pas immédiate, il suffisait que l'empereur Alexandre permît aux Grecs attachés à son service de se rapatrier. Alors on avait au moins quinze mille officiers et sous-officiers de toute arme, capables de former le noyau d'une armée nationale, qui pouvait

lutter avec succès contre toutes les forces de l'empire ottoman. A entendre les Grecs, accoutumés à se déterminer par enthousiasme, tout était prévu pour la réussite de leur entreprise. Les défilés des montagnes, les gués des fleuves avaient été sondés et reconnus; ils avaient à leur disposition des armes, des munitions, des trésors, et il est indubitable que le printemps de l'année 1815 aurait été l'époque d'une insurrection générale, si l'évasion de Bonaparte de l'île d'Elbe, en leur ôtant l'espérance, sans doute illusoire, d'être assistés par les Moscovites, n'eût déconcerté des projets qui étaient en grande partie aventurés.

La Porte ne pouvait ignorer les trames de ses sujets chrétiens, ni l'emprunt de deux millions, voté par eux pour aider la Russie contre Bonaparte (1), car trop d'indigènes et d'étrangers avaient intérêt à leur nuire, pour ne pas s'opposer à leur affranchissement, en révélant leurs desseins. Une vieille haine, entretenue par le zèle inconsidéré de quelques personnages, dont le ministère est restreint, suivant le texte de nos capitulations, aux établissements protégés par les rois de France, ne s'est pas toujours renfermé dans ces limites. Les deux églises d'Occident et d'Orient se sont plus d'une fois trouvées en conflit de juridiction, et les ressentiments exas

(1) Cet emprunt spontané fut ouvert à Janina, à Castoria, à Serrès, a Andrinople et à Constantinople, en 1815. S'il ne fut pas rempli, c'est que la campagne des Russes n'eut lieu que pour accourir au secours du vainqueur.

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pérés par un égarement mutuel, ont fait des orthodoxes et des catholiques les surveillants les plus actifs de l'autorité mahométane. Syros, Naxos, Santorin, Ténos, étaient aux aguets de ce qui se passait à Psara, à Hydra et à Spezzia, pour en aviser le divan. Les Francs établis dans l'Orient ne s'irritaient pas moins de la prospérité des Grecs fondée aux dépens de leur commerce, et rêvant toujours les temps où quelques puissances occidentales trafiquaient exclusivement au Levant, ils se montraient les implacables ennemis d'un peuple qui tendait à s'émanciper. Mais les plus dangereux adversaires des chrétiens orthodoxes, étaient ce peuple commerçant qui aspire à ce qu'aucune autre nation ne puisse vendre un ballot de marchandises dans le monde entier, sans sa permission. Cette nation antisociale sous le rapport de ses intérêts mercantiles avait arrêté, dans le secret de ses conseils ambitieux, la destruction de la marine des insulaires de l'Archipel et des Cyclades. Ses agents diplomatiques recrutés nouvellement dans la police de Sicile, restée inactive depuis la paix, tenaient leur ministère au courant des mouvements de la Grèce, qu'ils attribuaient à un concert d'intrigues, existant entre les Grecs et le cabinet de St.Pétersbourg, sans réfléchir que tout peuple agrandi par les lumières et les richesses, cherche naturellement à se créer un sort convenable à ses intérêts nouveaux. Ils ne réfléchissaient pas que la Suisse, la Hollande et l'Amérique se seraient émancipées tôt ou tard, quand elles n'auraient pas eu leurs Guil

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