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son cheval, en criant à ses gardes de le suivre. Il s'élance, il se précipite, il traverse la Molosside, il arrive à Tébélen, et il ne respire qu'en retrouvant cent cinquante millions en espèces monnayées. Telle fut la somme incroyable qu'on exhuma des caveaux dé son palais, et la cause qui mit, pour la première fois, au grand jour la fortune colossale du satrape, dont l'importance, encore exagérée par la voix publique, parvint, malheureusement pour son coupable possesseur, jusqu'aux oreilles du grand seigneur, sultan Mahmoud, prince de haute et insatiable avidité, portan 91-291 9315,"mals fup anals Hap, fose 192

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Les sarafs ou intendants des finances d'Ali, les israélites Minahet et Mosè, passèrent plusieurs jours à vérifier tant de richesses, pendant que leur maître déplorait la perte de son palais. Des milliers de cachemires précieux, les fourrures les plus rares, un magasin entier de montres, de pendules de bijoux d'étoffes, des meubles judes armes de luxe, des harnais de chevaux, devenus la prole du feu, étaient l'objet de ses regrets. Assis par terre sur une natte de paille tel qu'un ministre disgracié des rois de l'Orient, il s'arrachait la barbe, il se frappait la poitrine, il gémissait, et il déplorait sa misère ẹn se recommandant à la charité publique. Se rappelant par fois qu'il était visir, il demandait d'un ton menaçant; et après avoir arraché par ses larmes feintes ce qu'on craignait de lui refuser, une ordonnance, qu'il lança dans la Grèce, apprit aux habitants qu'ils devaient relever et meubler à leurs frais le sérail redoutable

(tò poбepòv Zepákov) de Tébélen. Puis reprenant bientôt après le chemin de Janina, il y rentra suivi de ses trésors et d'un petit nombre de femmes échap-, pées à l'incendie, qu'il vendit à ses familiers, en disant qu'il n'était plus assez riche pour nourrir autant d'esclaves.

Cependant d'amples indemnités l'attendaient. La peste, auxiliaire généreuse de sa tyrannie, venait de lui léguer l'héritage de la population entière d'Arta,) ville opulente, habitée par plus de huit mille chrétiens. Près de sept mille étaiënt descendus dans la tombe; et dès que l'épidémie eut cessé de frapper, Ali pacha avait envoyé des commissaires chargés de dresser, l'état des meubles et des biens-fonds, qu'il: s'adjugeait en sa qualité d'héritier universel de ses vassaux. Afin de procéder à l'inventaire le plus minutieux, les malheureux, respectés par la mort, au risque de réveiller la contagion, furent contraints, malgré les prières du consul de France, M. Hugues Pouqueville, de laver, dans les eaux de l'Inachus, les laines des matelas, les draps et les langes encore imprégnés de la sanie des bubons, tandis que des exac+, teurs ramassaient et enregistraient le peu d'or et d'argent qui n'avait pas été enfoui. Le creux des arbres, les moindres caches furent visités; et comme on trouva autour d'un squelette une ceinture remplie de sequins de Venise, on tint un état détaillé des ossements. On les aurait sans doute mis eux-mêmes en réserve, si on avait pu présumer que ces tristes restes seraient bientôt un objet de spéculation, pour les

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vendre aux économistes anglais, dont la sacrilége avidité vient de troubler les mânes des braves morts aux champs de Lutzen, pour les faire servir d'engrais aux landes de la sablonneuse Ecosse (1). Tous les archontes de la ville avaient été arrêtés, et bientôt après appliqués à la torture, pour dire où se trouvaient des trésors, dont les traces, dérobées par la mort de ceux qui les avaient enfouis, ne pouvaient être éventées que par l'effet du hasard. Un d'entre eux, accusé d'avoir soustrait quelques objets, fut plongé dans une chaudière d'huile bouillante, en présence du tyran qui l'avait fait amener devant son tribunal. Vieillards, femmes, enfants, riches et pauvres, tous furent interrogés, mis sous le bâton, et condamnés, pour se rédimer, à faire l'abandon des débris qu'ils avaient sauvés du naufrage public. Et, comme si tant de crimes ne suffisaient pas, on recruta, par ordre d'Ali, dans les villages de la Cassiopie, une population égale à celle dont Arta pleurait la perte, qu'on força de venir s'établir au sein de cette ville désolée, et à payer au visir les maisons que chacun devait habiter (2).

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(1) Ce fait est extrait des journaux anglais du mois de novembre 1822.

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(2) Machalla! disait le, kiaya d'Ali à mon frère, en lụi montrant la ville d'Arta repeuplée par cette colonie, vous c'est comme si la peste n'y eût pas passé. Oui, voyez que répliqua celui-ci, mais on a dépeuplé vingt ou trente villages pour opérer cette merveille. — Tí xavei, Qu'est-ce que cela y fait?

Ceux qu'il avait attachés sur les traces d'Ismaël Pacho bey, lui apprirent que le fugitif était rentré dans la Romélie. Après avoir erré de contrées en contrées, sous la sauve-garde de la Providence consolatrice des malheureux, les uns l'avaient perdu de vue au Caire, et croyaient qu'il s'était rendu à la Mecque avec les hadgis ou pèlerins de la grande caravane de l'émir; d'autres prétendaient l'avoir reconnu à Smyrne. En effet, il avait parcouru les principales échelles commerciales de l'Asie Mineure et de l'Égypte, couchant quelquefois à l'abri des portiques des mosquées, ou, parmi les pauvres, sur les cendres chaudes des bains publics. Souvent il avait été réduit à languir dans les palais des grands, confondu avec leurs clients et leurs esclaves, dont il partageait l'existence sans laisser paraître les chagrins qui le dévoraient, lorsque, fatigué de traîner une vie misérable, il résolut de se rendre auprès du nazir de Drâma, qui était un des seigneurs les plus magnifiques de la Thrace.

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Se présenter à la cour de Mouhamet-Drâma-Ali, et lui plaire, fut, pour Pachô bey, l'unique nécessité de décliner son nom; et ce fut là que son implacable ennemi, qui venait d'apprendre son arrivée dans cette cour, résolut de lui porter un coup auquel le proscrit était loin d'être préparé. Il y avait quelques mois qu'il se trouvait à Drâma, lorsqu'au milieu d'une de ces parties de chasse que les seigneurs aiment pas

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répondit stupidement le barbare. Voilà la mesure du raisonnement d'un Turc; quel jugement porter de leurs apologistes?

sionnément, on vit arriver un capigi-bachi, qui, s'adressant à Ismaël, s'informa où était le nazir, auquel il avait une affaire importante à communiquer. Tout capigi-bachi est assez souvent porteur de fâcheuses nouvelles; et Drâma-Ali se trouvant éloigné, Pacho bey, se donnant pour être le nazir, répliqua à l'envoyé de la Porte qu'il pouvait s'expliquer. Ils se retirèrent dans un khan voisin, où le confiant envoyé du sultan lui apprit qu'il était porteur d'un firman obtenu à la requête d'Ali, pacha de Janina. « De Tébé<«<len! Sois le bien-venu; c'est mon ami. En quoi puis-je «lui être agréable? En faisant exécuter le com«mandement dont je suis porteur, par lequel le su

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prême divan vous enjoint, seigneur, de faire trancher « la tête à un mauvais sujet (haïdout) nommé Pachô <bey, qui s'est glissé depuis quelque temps à votre << service. A cela ne tienne; mais je te préviens que «c'est un homme difficile à saisir, brave, violent, «< aimé de mes serviteurs, et il faut l'attirer adroitement « dans nos filets. Il peut paraître d'un moment à autre, a il est essentiel qu'il ne te voje pas, et que mes « gens même ne soupçonnent pas qui tu peux être. Il « n'y a que deux heures de chemin d'ici à Drâma; va «mly attendre; ce soir j'y serai de retour, et tu peux « regarder ta mission comme remplie.»

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Le capigi-bachi, tournant aussitôt du côté de Drâma, pique des deux, tandis que Pachô bey prenait la fuite en sens contraire, craignant que le nazir, qui ne le connaissait que de fraîche date, ne sacrifiât, avec cette froide indifférence naturelle aux Turcs, un mal

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