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capitaines, qui étaient alors au nombre de quatorze, ainsi que Bénaki, l'un des plus riches propriétaires de Calamate (1), ayant accédé à ce projet, on-adressa aux généraux russes à Livourne, un plan d'insurrection, aussi détaillée que si elle eût été régulièrement organisée; et, au retour des députés qui le portèrent, ceux-ci firent valoir la promesse de secours qu'ils avaient obtenue par cette supercherie, afin d'exciter le soulèvement qu'ils avaient annoncé comme étant déja opéré. Les Turcs les aidèrent mieux qu'ils ne l'auraient fait eux-mêmes dans cette machination. Soupçonnant qu'il existait un complot contre eux, ces oppresseurs pusillanimes agirent comme des hommes qui se jettent dans le précipice qu'ils redoutent. Dans leur terreur panique, ils massacrèrent une troupe de paysans lacédémoniens, qui revenaient paisiblement de la foire de Patras, et qu'ils prirent pour une armée de rebelles marchant contre eux. Le cri de vengeance se fit aussitôt entendre de tous côtés; et lorsqu'au mois d'avril 1770, la flotte russe jeta l'ancre dans la baie d'OEtylos, ses commandants furent reçus avec transport par les évêques de Lacédémone et de Chariopolis, suivis d'une foule de montagnards qui ne demandaient qu'à s'enrôler sous les drapeaux de leurs prétendus libérateurs.

jamais cessé d'entretenir le feu sacré parmi les Grecs. Il est mort, il y a trois ans, à Naples, où il était consul général, estimé de tous ceux qui l'ont connu.

(1) Voyez, pour la description du Magné, mon Voyage dans la Grèce, t. v, ch. CXLV.

Ce début était favorable; mais, en voyant débarquer onze cents hommes et deux mille fusils rouillés, qui dataient du temps de l'invention des armes à feu, les Grecs s'écrièrent qu'on les sacrifiait. Ils espéraient que les Russes accompliraient seuls l'œuvre de leur délivrance, tandis que ceux-ci prétendaient n'être venus que comme auxiliaires. Cependant, comme les Maniates avaient déja fait main basse sur les Turcs de Mistra, il fallait agir. On était compromis, et ils se décidèrent à marcher sur Tripolitza, assistés de quatre-vingts grenadiers russes. On ne pouvait leur en donner davantage; car Dolgorouki, le même qui avait réduit Navarin, plutôt par la peur que par la force de ses armes, venait d'entreprendre le siége de Modon. Quelques vaisseaux de guerre russes aussi mal construits qu'équipés, s'amusaient pendant ce temps à canonner Coron. Il n'y avait ni ensemble, ni plan dans les attaques, et on s'aigrissait par des reproches mutuels, quand les Schypetars mahométans entrèrent au nombre de vingt mille dans la Morée. Alexis Orlof qui se trouvait à OEtylos avec Janaki Mavro-Michalis, s'emporta en le traitant de brigand et de láche.-Brigand! répliqua le Maniate, je n'ai jamais assassiné personne. Je suis libre et chef d'une nation indépendante. Mon sang est mélé à celui des Médicis..... et toi, tu n'es que l'esclave d'une femme! Cette altercation fut la dernière; on ne se vit plus, et Dolgorouki ayant perdu quarante canons devant Modon, s'embarqua avec ce qui lui restait de soldats à Navarin, en aban

donnant une foule de Grecs réfugiés dans l'île de Sphacterie, où ils furent massacrés par les Turcs. Tel fut le résultat d'une insurrection dans laquelle on s'était mutuellement trompé.

Ce fut à la suite de cette funeste entreprise, que les Russes, battus en Morée, livrèrent par hasard aux Turcs la mémorable bataille navale qui eut lieu en face de Chios, dans le détroit de Tchesmé. Rulhières nous en a donné une description digne de la plume de Thucydide; mais les malheurs du Péloponèse se prolongèrent long-temps après cette victoire et au-delà de la paix qui la suivit au bout de quelques années. Les Schypetars, qui en avaient expulsé les Russes, demandèrent à être payés. Le baron de Tott, alors en tournée dans le Levant, trouva le pacha, commandant à Nauplie de Romanie, presque assiégé dans la place par les Épirotes qui voulaient leur solde arriérée. L'argent manquait, ou du moins on ne leur en donna pas; et cette circonstance leur fournit un prétexte plausible pour se débander et se payer par leurs mains en pillant le pays. Les plus empressés de partir s'étant réunis, dévastèrent les villages, et chassant devant eux les paysans comme des troupeaux de bestiaux, ils franchirent l'isthme de Corinthe, pour regagner leurs montagnes avec les malheureux qu'ils traînaient en esclavage. D'autres restèrent dans la presqu'île, s'emparèrent des maisons et des terres des chrétiens, privant par là le sol de ses cultivateurs, et l'empire turc de ses impôts. Enfin, quand ils ne trouvèrent plus de Turcs

à opprimer, ils dirigèrent leurs violences contre les musulmans qu'ils traitèrent en raïas, les attelant à la charrue, et les faisant travailler à coups de fouet, reproduisant ainsi ce qui s'était passé, quand Pierre le boiteux, accouru avec ses Schypetars au secours des Moraïtes, traita en vaincus ceux qu'il était appelé à défendre alors contre les Turcs.

Neuf années consécutives avaient vu se succéder onze gouverneurs dans la Morée, avec les ordres les plus positifs d'exterminer les Arnaoutes, et tous étaient retournés sans y avoir réussi. Les uns n'avaient pas de forces suffisantes pour exécuter une pareille entreprise; les autres n'avaient pas su résister aux présents des rebelles, quand la Porte fit partir le célèbre Hassan pacha, qui avait sauvé l'empire après la défaite de Tchesmé.

Le corps principal des Schypetars qu'on évaluait à dix mille hommes, était commandé par deux Toxides nommés Bessiaris, qui étaient des environs de Tébélen. Ils étaient retranchés sous les murs de Tripolitza, et Hassan n'ayant pu réussir à leur faire accepter une capitulation paternelle, se décida à les soumettre par les armes. Ce serasker qui était campé depuis un mois à Argos, en partit le 10 juin 1779, après la prière qui suit le passage du soleil au méridien, et ayant marché pendant une partie de la nuit, il parut le jour suivant avec l'aurore devant Tripolitza. Il attaqua aussitôt les rebelles, qu'il mit en déroute, et avant la fin de la journée, il eut fait dresser devant la porte orientale de la ville une pyramide de plus de

quatre mille têtes, dont j'ai encore vu les débris en 1799, quand j'étais esclave des Turcs, par le sort de la guerre, dans le Péloponèse. Ce qui s'échappa de Schypetars de cette bataille, poursuivis à outrance, traqués dans les versants des monts OEniens, furent exterminés au fond d'une gorge boisée, qui, depuis ce temps, a pris le nom de défilé du massacre (1).

Les Maniates qui avaient soulevé des tempêtes, retranchés au milieu des escarpements du Taygète, furent respectés parce qu'ils étaient inexpugnables; mais il n'en était pas ainsi des chrétiens que la barbarie des Schypetars avaient contraints de fuir en Romélie, et de refluer dans les montagnes d'Agrapha, où ils avaient trouvé un asyle inviolable parmi les armatolis. C'était contre ces hommes qu'Ali pacha allait entrer en lice. Il connaissait les principaux d'entre eux ; et la conduite qu'il tint, attesta la profondeur des vues qui ont dirigé dans la suite sa conduite, dont un autre gouvernement que celui des sultans aurait pu tirer un avantage immense pour la tranquillité de la Grèce.

Tricala, Moscolouri, presque tous les bourgs et villages, situés au fond du bassin de la Thessalie, avaient été brûlés ou pillés par les mahométans albanais et par les janissaires de Larisse, lorsqu'Ali pacha arriva au chef-lieu de son gouvernement. « J'avais

(1) Défilé du Massacre. Voyez mon Voyage dans la Grèce; t. IV, ch. CX.

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