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heureux injustement condamné à mort. Au bout d'une nuit de marche, pendant laquelle le proscrit évita les chemins battus, il prit les vêtements d'un moine bulgare, auquel il paya sa dépouille, et se présenta, après avoir traversé la haute Macédoine, à la porte du grand couvent des Caloyers serviens, situé dans les montagnes qui donnent naissance à l'Axius lay fut recu, sous son costume religieux, comme un frère venant du saint Tombeau. Il composa son troman; et on se félicite de trouver dans le nouveau venu un homme aimable, parlant de la Balestine, de ses monastères, en pèlerin consommé, et qui de plus avait une bourse d'autant mieux arrondie, qu'il s'était défait, chemin faisant, de son cheval et de ses armes, dont un juif dé Samacova lui avait donné un prix raisonnable.

*

Deux hommes féconds en expédients, égaux en ruses; disputant, l'un des moyens de satisfaire sa vengeance, et l'autre du soin de défendre sa vie, sont un de ces spectacles ordinaires aux arènes politiques de l'Orient, où l'on voit l'injure au front d'airain opprimer l'innocence et le mérite. On déteste le ty ran, et on respire en voyant Pachô bey, par son déguisement, dormir en paix sous le toit hospitalier des moines serviens, auxquels il ne cacha sa qualité de musulman que le temps nécessaire pour s'assurer de leur discrétion, et cette révélation fut la cause de son saluto bp held Lood:

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Ali pacha, ardent à poursuivre son ennemi, avait aussitôt accusé Mouhamet Drâma-Ali d'avoir favorisé

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l'évasion de Pachô bey; mais il ne fut pas difficile au nazir de se justifier auprès du divan, auquel il donna des renseignements précis sur ce qui s'était passé. C'était ce que voulait le satrape, qui partit de ce document pour faire suivre les brisées du fugitif par ses espions, et sa retraite fut éventée, Comme dans les explications qui avaient été données à la Porte, l'innocence de Pachô bey avait été prouvée, on ne pouvait plus solliciter de firman de mort contre lui, son ennemi sembla l'abandonner à son sort, afin de cacher le coup qu'il voulait lui porter. Il s'agissait de l'assassiner; et Athanase Vaïa, le chef des meurtriers des Cardikiotes, auquel il fit part de son projet, le supplia de lui accorder l'honneur d'une pareille entreprise, en jurant qu'il n'échapperait pas à son poignard.

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Après cet accord, le plan du maître et du sicaire fut voilé sous l'apparence d'une disgrace, qui étonna la ville entière de Janina. A la suite d'une scène terrible qu'il lui fit en public, Ali chassa du sérail le confident intime de ses iniquités, en l'accablant d'injures, et en disant que s'il n'était le fils de la mère nourricière de ses enfants, il le ferait pendre. Vaïa, frappé de terreur, et feignant une profonde affliction, courut vainement chez tous les grands de la ville, en les suppliant d'intercéder en sa faveur, et la seule grace que Mouctar pacha put obtenir en sa faveur, fut un boïourdi d'exil qui lui permettait de se rendre en Macédoine.

Muni de cet ordre, Vaïa quitta Janina avec les

démonstrations du plus grand désespoir; et, arrivé à Vodena, il feignit de ne trouver de sûreté qu'en prenant le froc des caloyers, pour se rendre en pèlerinage au mont Athos. Chemin faisant, il rencontra un des frères quêteurs du grand couvent des Serviens, dont il fit son ami, Il lui peignit sa disgrace sous les couleurs les plus vives, en le priant de le faire recevoir au nombre des frères laïcs de son monastère.

Le zétète, ou quêteur, s'étant hâté de faire part de cette proposition à l'hegoumènos ou supérieur, celui-ci s'empressa à son tour d'annoncer à Pacho le compatriote et compagnon d'infortune Athanase, qu'on allait recevoir au nombre des servants. A ce récit, et au portrait que lui en fit l'abbé, Pachô bey reconnut Vaïa; et ne pouvant se dissimuler qu'il était envoyé pour l'assassiner, il lui fit part de ses soupçons; et l'arrivée du sicaire ayant été retardée, Ismaël se décida, pendant ce temps, à se rendre à Constantinople. Ce fut là qu'il courut affronter l'orage et combattre ouvertement son ennemi.

Une haute stature, une physionomie pleine de noblesse, une assurance mâle, le don précieux de presque toutes les langues usitées dans l'empire ottoman, que Pachô bey parlait avec facilité, ne pouvaient manquer de le faire distinguer. Parvenu à s'établir dans la capitale, il se trouvait à portée de déployer le genre de talents qui convenait au pays, et sa conduite mesurée promettait de lui acquérir des amis puissants. Malgré cette légitime ambition, son penchant

le porta d'abord à rechercher les bannis de l'Épire, qui étaient ses anciens compagnons d'armes, ses amis ou ses parents, car il tenait aux principales familles, et il appartenait même au visir Ali par les liens du sang, puisqu'il avait épousé une de ses parentes.

Cette alliance, qui avait fait le bonheur de Pachô bey dans sa jeunesse, était dévenue pour lui une source d'amertumes depuis qu'il avait été éloigné de Janina, où son épouse et ses enfants avaient été retenus en ôtage. L'idée des dangers auxquels ils étaient exposés depuis le fatal secret qu'il avait révélé à Véli pacha, le tourmentait. Il hésitait à attaquer de front le criminel, lorsqu'il apprit que la bonne Aïsché avait été arrachée de sa demeure, sur le refus qu'elle avait fait de consentir à un divorce, qui devait la faire passer entre les bras d'un des agents du tyran, qu'on disait être Omer Brionès. Une lettre que cette femme infortunée fit parvenir à Pachô bey, en lui racontant les peines qu'elle endurait, lui traçait les devoirs qu'il avait à remplir. «Tes enfants sont dans <«<les fers, lui écrivait-elle, et ton épouse, reléguée << dans une cabane, est réduite à filer pour gagner << son pain. Les religieuses chrétiennes la soutiennent «des deniers de l'aumone, quand les infirmités qui « l'accablent ne lui permettent pas de subvenir à ses << besoins. Son lit, autrefois couvert d'étoffes d'or, ne <se compose plus que d'une natte de paille et d'une « triste vélendja (1). Elle t'envoie le dernier ornement

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(1) Velendja, couverture de cheval.

«qui lui reste, sa chevelure. Ne songe plus à moi que << pour venger ta famille et ton épouse.»

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Peu de temps après, l'épouse d'Ismaël Pachô bey ayant disparu, le ciel, pour le consoler, ou plutôt pour châtier Ali, lui envoya un ami qui était destiné à relever ses espérances. Un Turc, quel qu'il soit, semble conduit par une sorte de nécessité à être dirigé par quelque Grec. La science des affaires, malgré la profonde humiliation des Hellènes, s'est conservée parmi les descendants d'Aristote et d'Euclide, admis dans tous les conseils des Tartares mahométans qui pèsent sur les plus belles parties du monde. Rien ne marche dans le divan sans les princes grecs du drogmanat, et il n'y a pas de satrape, de bey, ni de grand dans l'empire, qui n'ait un Grec pour conseiller. L'étolien Paléopoulo, qui vivait depuis plusieurs années à Constantinople sous la protection de France, était au moment d'aller former un établissement dans la Bessarabie russe, lorsqu'il rencontra Pachô bey, et que se forma entre eux la singulière coalition qui devait changer les destinées de la race Tébélénienne.

Paléopoulo communiqua à son compagnon d'infortune un mémoire présenté au divan en 1812, qui avait été le signal d'une disgrace à laquelle Ali pacha n'échappa, comme je l'ai dit ailleurs, que par les évènements d'une plus haute importance qui occupaient alors le cabinet ottoman. Comme le Grand Seigneur avait juré par les tombeaux de ses glorieux ancêtres de donner suite à ce projet, dès qu'il le pourrait,

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