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<«< laissé dans la basse Albanie, lui ai-je entendu ra«< conter souvent, un fantôme de pacha qui était le jouet des beys de Janina, et j'évitai de passer par «< cette ville pour me rendre à mon poste. Je traver<< sai le Zagori, où le fidèle Noutza, dont Dieu <«< veuille avoir l'ame, car c'était un brave homme, << ravitailla ma bourse. Sans prendre permission de «Suleyman, qui était alors sangiac - bey d'Épire, «< nous levâmes, avec l'aide de Dieu et de mes braves Schypetars, une petite contribution, ce dont bien << me prit, car en mettant pied à terre à Tricala, je << ne trouvai qu'un pays épuisé. On avait pendu une << foule de pauvres paysans, dont les travaux enrichis<<< sent des personnages tels que nous. Les agas de <«< Larisse avaient inventé des projets de révolte pour << enlever des moutons, des femmes et des enfants. « Ils mangeaient les uns et vendaient les autres! Pour moi, je compris sur-le-champ qu'il n'y avait presque jamais de rebelles et de brigands que les Turcs: « oui, les Turcs, me dit en souriant Ali, qui avait remarqué mon étonnement; nous sommes faits

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<«< comme cela nous autres gens d'épée. Je me trou<< vai donc en état d'hostilité avec les beys de Larisse. Cependant je commençai au préalable à faire main

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<«< basse sur les partis d'armatolis qui infestaient la plaine, et je les forçai à rentrer dans leurs montagnes, où je les tins parqués comme des corps de <«< réserve à mes ordres. J'envoyai en même temps quelques têtes à Constantinople, pour amuser le << Sultan et la populace, de l'argent à ses ministres;

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<«< car l'eau dort, mais l'envie ne dort jamais. Ces plans d'Ali étaient sages, et la terreur de son nom fut telle à son début, que l'ordre reparut depuis les défilés de la Perrhébie du Pinde, jusqu'au fond du Tempé et au pas des Thermopyles.

Ces faits de police prévotale, grossis par l'exagération orientale, justifièrent les idées de capacité qu'on avait d'Ali pacha. Né avec une espèce d'impatience de célébrité, il prenait soin de propager luimême sa renommée, en racontant ses prouesses à tout venant, en faisant des largesses aux officiers du Sultan qui arrivaient dans son département, et en montrant aux étrangers les cours de son palais parées de têtes, appareil le plus magnifique dont puisse s'environner un despote. Mais ce qui contribuait surtout à consolider sa puissance, c'étaient les trésors qu'il amassait sous le voile de la justice. Ainsi jamais il ne frappait pour le plaisir de frapper, et dans ses proscriptions son glaive ne s'appesantissait que sur les beys et les personnes opulentes, dont il confisquait les biens à son profit. Enfin, après avoir passé plusieurs années dans la Thessalie, Ali pacha se vit dans le cas de pouvoir marchander le sangiac de Janina, qui, en lui livrant l'Épire, le mettait à portée de se venger de ses ennemis, de les écraser, et de régner en maître sur les Albanies, chose nécessaire à ses projets ultérieurs.

L'intrigue procure une charge: par la calomnie comme par le poison, on se défait d'un antagoniste.

Ces moyens usités dans les cours de l'Orient sont vulgaires; mais quand un génie actif les combine avec la puissance de l'or, il est rare que ses entreprises les plus audacieuses ne soient pas couronnées du succès. Aussi personne ne sut mieux qu'Ali pacha, donner sans enrichir, donner pour faire dépenser, et surtout donner si à propos, qu'on était compromis en recevant de sa part, parce que l'argent d'un tyran est toujours le salaire d'une intrigue ou d'un crime. Ses discours familiers n'étaient pas plus purs que ses intentions. Il ne souhaitait que de trouver ses administrés en faute, pour grossir ses trésors en les punissant par des amendes. Chaque ministre disgracié était, à l'entendre, un homme de mérite puni de la supériorité de ses talents; et chaque ministre étranglé, une victime de l'envie; tout ministre de fait était incapable du poste qu'il occupait, et les aspirants qu'il prévoyait devoir monter au banc du divan, des hommes de la plus haute espérance. Il en était de même de la dynastie des Sultans, qu'il traitait à tous égards avec moins de réserve encore que le ministère. Tant qu'Abdulhamid avait vécu, le satrape soupirait après l'avènement de Selim III, qui n'eut pas plus tôt ceint le sabre d'Ottman qu'il conjura sa perte. Enfin, mécontent, ou plutôt ennemi de tout pouvoir, le mot de liberté s'échappait parfois aussi naïvement de sa bouche, que celui d'humanité des lèvres impures de Néron, et il n'en fallut pas davantage pour séduire un homme qui commandait alors les armatolis des montagnes d'Agrapha.

Démétrius Paléopoulo (1) (fils de l'ancien), né à Carpenitzé, dans l'Étolie, d'une des familles grecques restées debout au milieu des ruines de leur patrie, s'était lié d'amitié avec Noutza Mácri-Mitchys, lorsque cet agent d'Ali fut envoyé par son maître pour porter des paroles de paix, aux bandes guerrières répandues dans la chaîne du Pinde et du mont OEta. Éprouvé par l'adversité, car après la mort de son père, qu'il perdit dans sa quatorzième année, il avait été forcé de s'expatrier, afin de se dérober aux poursuites des ennemis de sa maison; réduit à errer avec les proscrits, il ne tarda pas à se distinguer au milieu d'eux, par une prudence aussi rare, que son courage était remarquable. Dans les siècles héroïques, Paléopoulo eût été aussi illustre que Thésée il aurait fondé Athènes, policé son pays; tandis que parmi les Grecs humiliés et non pas dégénérés, il ne pouvait jamais être qu'un chef de partisans, flétri par les oppresseurs, du titre immérité de cleftis ou voleur. Malgré la fausse attitude dans laquelle l'injustice de l'ordre social l'avait placé, le bruit de sa valeur volait de bouche en

(1) Dans la première partie de l'Histoire d'Ali pacha, publiée en 1820, je n'avais pas jugé convenable de parler de Paléopoulo, que je craignais de compromettre, parce que je le croyais encore vivant. J'en ai fait mention dans la notice jointe au tome cinquième de mon ouvrage, imprimé en 1821, et je rétablis maintenant ce qui concerne cet homme, dans l'ordre chronologique des évènements de la vie d'Ali pacha, et de l'histoire de la Grèce.

bouche, lorsqu'un ancien ami de son père, Canavos, Grec de race historique, l'arracha à la profession aventureuse qu'il avait embrassée. Il le fixa auprès de lui, et content de sa conduite, il ne tarda pas à lui donner en mariage une fille unique qu'il possédait, et à lui faire obtenir le poste de voivode, ou prince de l'Étolie, que son père avait rempli avec autant d'honneur que de bravoure, toutes les fois que les libertés publiques, fondées sur les capitulations accordées par les sultans, avaient été menacées de la part

des Turcs.

Cette restauration d'un chef vertueux, en comblant de joie la majeure partie des Étoliens, réveilla la haine des ennemis de Paléopoulo, qui obtinrent, à force d'intrigues et d'argent, un firman de mort contre leur voivode. Mais comme il arrive dans les gouvernements absolus que de pareilles sentences sont ordinairement sans effet quand elles ne frappent pas à la manière de la foudre, le chef des Étoliens, informé à temps du coup dont on le menaçait, s'y déroba par la fuite, qui est la plus sage des précautions. Il se jeta dans les bras de ses anciens frères d'armes; et, après une guerre de deux ans contre le visir de Thessalie, auquel Ali pacha succéda, la Porte qui absout et condamne souvent comme le juge endormi de la fable, lui rendit avec l'assurance insignifiante de ses bonnes graces, l'emploi de voivode d'Étolie.

De retour à Carpenitzé, Paléopoulo s'étant abouché avec Noutza, séduit par l'idée qu'Ali pacha, qui lui

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