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au pays que ces merveilles construites pour la fête d'un moment; des troupeaux bêlants, l'aspect de l'allégresse et de la prospérité qui l'entouraient, l'escortèrent jusqu'à Kanioff, où le roi de Pologne, StanislasAuguste, se présenta pour lui rendre ses hommages. C'était encore Poniatowski; mais ce n'était plus cette Catherine qu'il avait tant aimée, et qui le paya d'un si tendre retour. L'étiquette des cours les réunit sans les rapprocher. Stanislas fêté, caressé, abusé, se retira, en saluant son auguste protectrice par un magnifique feu d'artifice, emblême de l'éclat des grandeurs humaines, qui fut presque aussitôt suivi d'un naufrage dans lequel Sémiramis manqua de trouver son tombeau au sein des Naiades du Borysthène. Cet accident, sans l'avertir sans doute de sa condition mortelle, car tout est menteur pour les rois, ne rendit son voyage que plus piquant jusqu'à Kaïdak, où elle fut reçue par l'empereur Joseph II, qui fit son entrée avec elle à Kerson.

Le port était rempli de vaisseaux, les chantiers bien pourvus, les magasins fournis de marchandises, les rues pleines d'une population nombreuse, qui s'arrêtait devant une porte sur le linteau de laquelle se trouvait une inscription que l'impératrice lut avec ravissement : C'EST ICI QU'IL FAUT PASSER POUR ALLER A BYSANCE. L'expulsion des Turcs fut mise sur le tap. On en parlait, dit le prince de Ligne, avec une légèreté admirable; enfin, on divaguait, on se perdait en projets, quand un courrier vint annoncer à Joseph II la révolte du Brabant.

Le ciel voulait sans doute que le signal de la délivrance de la Grèce ne sortît pas d'un congrès politique, et ce fut envain qu'on persista dans ce dessein; les temps n'étaient pas accomplis. Les fêtes cependant continuaient; Catherine parcourut la Crimée, reçut les adorations des peuples; et Potemkin désirant à tout prix d'obtenir le cordon militaire de St-Georges, le seul dont il n'était pas encore décoré, persista à faire la guerre aux Turcs, afin de le mériter: vanité des vanités, pataιóτns μataloτńτov! A son retour, l'impératrice prit sa route par Pultava, où son ministre lui donna pour bouquet le simulacre de la mémorable bataille dans laquelle Pierre-le-Grand vainquit Charles XII, et Joseph, qui l'accompagna jusqu'à Moscou, promit, dit-on, à la czarine, de l'aider à faire couronner son petit-fils à Constantinople.

Potemkin s'était arrêté à Pultava; il voulait la guerre pour gagner un cordon. Elle fut déclarée le 18 août 1787, par la Turquie. La nouvelle en parvint à Pétersbourg le jour de la fête de SaintAlexandre-Newski, au moment où la cour allait se réunir pour un bal, auquel cet évènement tant désiré donna une vivacité toute particulière. Aussitôt, les émissaires de la Russie entrèrent en campagne, pour inviter les Grecs à se soulever et à reconquérir leur indépendance. Mais le souvenir des désastres de la Morée et de la plupart des îles de l'Archipel étaient encore trop récents, pour qu'ils s'attachassent à une puissance qui les avait sacrifiés jusque dans les prétendues garanties qu'elle avait stipulées en leur

faveur. La Hellade resta donc tranquille jusqu'à la fin de 1789, que des députés partirent pour Pétersbourg, sans l'aveu de leurs compatriotes, pour solliciter de l'impératrice des secours que le peuple ne demandait pas. Ce fut à leur retour que Sotiri, primat de Vostitza Ægium, s'adressa aux Souliotes, que le visir Ibrahim de Bérat et les agas de la Thesprotie venaient d'engager à faire la guerre à Ali pacha pour commencer des hostilités qui devaient être le signal d'un embrâsement général. Il leur raconta, et c'était le dire à tous les mécontents, de quelle manière les envoyés du Péloponèse et des îles de l'Archipel avaient été accueillis à Pétersbourg (1), en leur annonçant qu'un nouveau Constantin fils de Paul Ier allait relever le trône des empereurs chrétiens de Bysance.

Si on se rappelle ce que j'ai dit en parlant de la

(1) La pétition des Grecs présentée à l'impératrice Catherine, est du mois d'avril 1790; elle était signée par trois de leurs députés, appelés Pano Kyris, Christos Lazotis, et Nicolas Pangalos, natif de l'île de Zéa; ils furent présentés à l'impératrice par le comte de Zuboff. Conduits de ses appartements à l'audience des deux grands-ducs Alexandre et Constantin Paulowitchs, Pangalos, de qui je tiens ces particularités, m'a raconté que, s'étant avancé vers le grand-duc Alexandre pour lui baiser la main comme à l'empereur futur des Grecs, S. A. I. montra aux députés le grand-duc Constantin, en leur faisant observer que c'était à lui qu'ils devaient rendre cet hommage; ce prince prit alors la parole, et répondit en grec à la harangue des députés, auxquels il dit en finissant: Allez, et que chaque chose arrive selon vos desirs. Υπάγετε· καὶ ὅλα νὰ γένουν κατὰ τὰς ἐπιθυμίας σας.

topographie de Souli et des usages des Souliotes (1), on saura qu'ils avaient coutume d'évacuer les villages de la plaine, au premier signal d'une rupture avec les Turcs. Ils emportaient les vivres, ils emmenaient les bestiaux qu'ils pouvaient nourrir, et ils se retranchaient dans leurs rochers. Telle fut encore leur tactique; et trois mille hommes qu'Ali pacha avait détachés contre eux, les trouvèrent embusqués dans leurs montagnes, sans oser les y attaquer. Voyant donc qu'ils ne pouvaient rien entreprendre contre des hommes que près de deux siècles de victoires avaient enorgueillis, de génération en génération, ils se répandirent dans les campagnes, en faisant main-basse sur les paysans chrétiens. A cette vue, les Souliotes indignés firent sortir de leurs défilés un détachement de deux cents palicares, précédés de leurs drapeaux, qui étaient semblables à ceux de St-Jean de Jérusalem; et, tombant sur les mahométans, dont ils firent un grand carnage, ils arrachèrent de leurs mains ceux qu'ils traînaient en esclavage, reprirent les dépouilles dont ils étaient chargés, et les poursuivirent jusque dans la vallée de Janina, en brûlant leurs maisons de campagne et leurs mosquées.

Ali pacha comprit, par le résultat de cette première entreprise, que les descendants des Selles n'étaient pas des ennemis ordinaires; et il en eut bientôt

d'autres preuves. Il rugissait de leurs triomphes, lorsqu'il reçut l'ordre du sultan de se rendre à l'armée

(1) Tome II, ch. xxxiv, de mon Voyage dans la Grèce.

du Danube, destinée à combattre les Russes et les Autrichiens. C'était une occasion propre à réparer le tort que les Souliotes venaient de faire à sa réputation militaire. Bien convaincu qu'ils ne pouvaient ni insurger l'Épire, ni faire aucune conquête en dehors de leurs montagnes, il ne manqua pas d'obéir aux firmans, moins dans l'intention de se distinguer comme général, que dans la pensée de faire connaissance avec les visirs et pachas de l'empire, réunis sous l'étendard du prophète, de pénétrer leurs dispositions à l'égard du souverain, et surtout de s'en faire des amis... On connaît les résultats de cette campagne dans laquelle les Russes furent toujours vainqueurs des Turcs, et les Autrichiens constamment battus par ces mêmes barbares qui ne sont plus connus depuis long-temps que par leur lâcheté. Ali, qui n'avait vu que la fumée des bivouacs allemands, rentra en quartier d'hiver à Janina, traînant à sa suite, à défaut de captifs enlevés à l'ennemi, quelques centaines de Serviens et de Bulgares, sujets pacifiques du GrandSeigneur, dont il forma deux petites colonies (1) dans l'intérieur de l'Épire,

Dès le printemps de l'année 1791, on vit les Souliotes, qui s'étaient tenus tranquilles pendant l'absence d'Ali pacha, sortir de leurs retraites, pour le braver et ravager l'Amphilochie. Pillant amis et ennemis, ils poussèrent l'imprudence jusqu'à se brouiller avec les chefs des armatolis, et même avec les

(1) Bonila et Mouchari.

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