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Souvent, il lui arrivait d'admettre le principe, sauf à éluder ensuite la tyrannie des conséquences par de pénibles détours ou des artifices dangereux. Sa politique, pour tout dire, était un provisoire éternel. La proposition que lui faisait M. Thiers n'ayant rien d'impérieux, rien d'actuellement décisif, il n'hésita pas à l'admettre, faute d'en apercevoir la portée et les résultats lointains. Il convient d'ajouter qu'en thèse générale, Louis-Philippe, qui avait pris racine dans la paix, se prêtait cependant, et trèsvolontiers, à toute mesure ayant pour but l'augmentation de l'armée. « Qu'il est beau, disait-il un jour à un de ses ministres qui lui montrait le chiffre <des troupes disponibles, qu'il est beau d'avoir sous « la main des forces aussi considérables, et de ne < s'en point servir! » Mot qui eût pu paraître philosophique et profond, si, en France, la garde nationale eût été seule employée à contenir les mécontents!

Après avoir obtenu l'agrément du roi pour la levée des 50,000 hommes, M. Thiers n'eut pas de peine à obtenir l'assentiment du maréchal Soult, ministre de la guerre. Il déplaisait au maréchal, pour lequel il n'avait, de son côté, aucune sympathie; mais il lui prêtait, devant les Chambres, avec une complaisance si utile le secours de sa brillante parole, qu'il avait fini par s'imposer à lui.

Il n'y avait plus à gagner que M. Humann, ministre des finances; et ici la résistance fut opiniâtre. M. Humann faisait consister le génie d'un grand financier dans l'art des petites économies; et, de toutes les dépenses, celles qui lui répugnaient le

plus étaient celles qui avaient trait à l'augmentation de l'armée. Aussi eut-il soin d'objecter que les fonds manquaient pour la mesure proposée ; qu'il y aurait lieu, par conséquent, à une demande de crédit qu'on n'était pas sûr de voir accueillie avec faveur; qu'on s'exposait gratuitement à des orages parlementaires dont on ignorait les suites; que, pour son compte, il ne se souciait nullement de jouer sa responsabilité sur un coup de dé. M. Thiers insista, il représenta que la cause de Christine était la cause de la révolution de juillet elle-même, il se fit fort d'en convaincre la Chambre, et l'emporta enfin.

Les débats duraient depuis plusieurs jours: le Conseil s'assembla une dernière fois pour arrêter d'une manière définitive la mesure en discussion. Quel fut l'étonnement du roi et de M. Thiers, quand tout-à-coup le maréchal Soult s'écria en parlant des nouvelles troupes qu'il s'agissait de lever : « Je < n'en ai pas besoin ! » Cette sortie, à laquelle personne ne s'attendait, émut vivement le roi, qui, à ce qu'on raconte, s'emporta jusqu'à dire : « Mon«sieur le maréchal, vous faites du gachis. <<< maréchal Soult ne fait pas de gachis », répliqua le ministre, en proie à un sentiment contenu. Et il sortit brusquement. Le changement imprévu qui s'était manifesté dans son opinion fut attribué par certains de ses collègues à des préventions que lui aurait bassement suggérées un agent subalterne. Cet agent lui aurait fait croire qu'on n'avait mis la mesure sur le tapis que pour le compromettre deyant les Chambres et le laisser tomber sous le coup

Le

d'un vote improbateur. Rien n'était plus invraisemblable. Quoi qu'il en soit, la démission du maréchal Soult paraissant imminente, le roi lui écrivit, pour le calmer, une lettre convenable. Lui, recevant le message avec humeur, il se contenta de répondre qu'il verrait ce qu'il avait à faire. Il fallait songer à lui donner un successeur : on jeta les yeux sur le maréchal Maison. Mais cédant bientôt à des conseils autres que ceux de la colère, le vieux ministre de la guerre remit à temps le pied dans les affaires publiques; et la bonne harmonie rentra au sein du Conseil.

Telle se présente au jugement de l'histoire la politique extérieure suivie en 1833 par le gouvernement français. En Orient, elle fut incertaine, irréfléchie, aveugle, pleine de contradictions. Visà-vis de l'Angleterre, elle se résuma dans un engagement d'une témérité rare. Absolument nulle à l'égard du Portugal, elle prit à l'égard de l'Espagne un caractère de décision qu'il faudrait louer si l'on y eût donné suite. Au fond, l'année 1855 ne fut marquée ni par le nombre ni par l'éclat des événements; mais beaucoup de solutions y furent préparées, et la Providence y posa devant les sions des hommes plus d'un problême important et redoutable.

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CHAPITRE IV.

Expédition de Savoie.

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Association de la Jeune Italie; ses principes; son organisation; son but. Mazzini et Ramorino. — Rapports de Mazzini avec les républicains français; sages appréhensions de Buonarotti; son portrait. — Entrevue de Mazzini et de Ramorino à Genève; plan adopté. — Mouvement sur la Savoie; comment il échoue. Influence de cet échec sur l'attitude du gouvernement français, Une lutte terrible se prépare entre le pouvoir et le parti républicain. - Poursuites contre M. Cabet.— Mort tragique de Dulong. -Loi contre les crieurs publics; scènes d'horreur. -Loi contre les associations; une grande bataille se prépare. Affaire des 25 millions. Démission du duc de Broglie. — Intrigues secrètes. ·

tômes avant-coureurs d'une révolution.

Remaniement ministériel.-Symp

Nous entrons dans une époque remplie de tempêtes. Réduit en 1833 à une sorte de sommeil agité, l'esprit révolutionnaire allait se réveiller à Lyon, impétueux et terrible.

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Ce fut en Savoie qu'il éclata d'abord. Il avait eu son point de départ à Genève, et il devait s'étendre sur l'Italie tout entière pour en changer la face. Ces premiers mouvements ne présentent donc pas, à proprement parler, une physionomie française; mais ils émanaient de la révolution de 1830, ils étaient de nature à influer puissamment sur le cours de ses destinées; ils se liaient d'une manière intime aux mouvements de l'esprit français; ils tenaient en éveil, au milieu de la France attentive, de nobles

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