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dans leur tendance à purger l'Océan de la tyrannie du pavillon de Saint-Georges? Ne résumaient-ils pas la grande croisade que Napoléon avait entreprise pour reconquérir, au profit des nations civilisées, la liberté des mers ? Et qu'étaient, après tout, ces pertes que les spéculateurs américains prétendaient avoir éprouvées, à côté des bénéfices énormes puisés dans une audacieuse violation des traités? Si l'Empire n'avait pas refusé d'admettre en principe la créance américaine, c'est qu'on était en 1814; c'est que l'Empire, accablé, ne voulait pas multiplier le nombre de ses ennemis; c'est qu'enfin l'Amérique avait ce titre à la reconnaissance de Napoléon, qu'elle pesait alors sur l'Angleterre. Et quant à la Restauration, invinciblement retranchée dans ses fins de non-recevoir, n'avait-elle pas bien prouvé le cas qu'elle faisait des réclamations des États-Unis? Sans doute il était du devoir et de l'honneur d'un peuple de remplir ses engagements; mais le soin de sa dignité lui commandait impérieusement de ne pas payer ce qu'il ne devait pas, surtout lorsque, pour l'y contraindre, on lui montrait la pointe d'une épée. Et il n'était pas vrai que congrès eût désavoué les insolentes paroles du président des États-Unis : le congrès s'était borné à ajourner l'expression de ses sentiments, dans l'espoir que le roi des Français l'emporterait sur la Chambre française. On osait citer le traité de 1851 comme ayant engagé la nation d'une manière irrévocable? comme si ce traité lui-même n'était pas une atteinte cynique portée au principe fondamental du régime constitutionnel! Le droit du parlement avait-il été

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réservé? Non. La nation n'avait donc pas donné sa signature. Dire que les États-Unis, en échange des 25 millions qu'ils nous demandaient, ne refuseraient pas de nous payer 1 million 500 mille francs, c'était vraiment se moquer. La réduction de droits promise à nos vins constituait un avantage réel; mais pourquoi ne rappelait-on pas, à ce sujet, le traité par lequel la France avait cédé, en 1805, la Louisiane aux États-Unis, et les stipulations consenties en notre faveur par l'article 8, et leur violation? Car enfin, l'Amérique était notre débitrice, loin d'être notre créancière. Et en effet, sur la somme de 260 millions à laquelle la Louisiane fut estimée, 80 millions seulement nous avaient été payés par les États-Unis ; de sorte que les avantages stipulés pour la France, et dont elle s'était vue indignement frustrée, représentaient une somme de 180 millions; il nous était loisible d'en réclamer à notre tour le remboursement. La guerre! on ne devait pas la désirer; mais il n'était pas dans les habitudes du peuple français de la craindre, et c'est par la lâcheté qu'on l'attire. Le marché américain! Un peuple aussi intelligent en affaires que celui des États-Unis n'aurait garde de repousser nos produits, sachant bien que par là il avilirait les siens. L'émeute! Si, pour la déchaîner dans nos villes, l'étranger n'avait qu'à nous infliger l'humiliation de ses exigences injustes ou de ses menaces, nous serions le plus misérable et le dernier des peuples. Tels furent, en substance, les arguments présentés de part et d'autre, soit dans la presse, soit dans la Chambre des députés, où la discussion s'ouvrit le

9 avril (1835). Elle donna lieu, entre le duc de Fitz-James et M. Thiers, à une joûte oratoire d'un grand éclat. Soutenu avec chaleur par MM. de Broglie, président du Conseil, Ducos, Tesnières, Jay, Anisson, de Tracy, Dumon, de Lamartine, Réalier-Dumas, le projet fut attaqué puissamment par MM. Desabes, Glaiz-Bizoin, Charamaule, Lacrosse, Auguis, Isambert, Mauguin. Mais nul ne lui porta des coups plus terribles que M. Berryer. Il nous semble le voir encore: tantôt, penché sur la tribune et les deux bras étendus sur l'assemblée, il forçait ses adversaires à subir la domination de sa parole; tantôt, saisissant d'une main les documents fournis à l'appui du traité, et de l'autre marquant pour ainsi dire sur le marbre, chaque erreur de chiffres, chaque mensonge d'appréciation, chaque double emploi, il faisait passer devant les yeux de l'assistance éblouie je ne sais quelle arithmétique vivante. Jamais Mirabeau fulminant contre la banqueroute n'avait paru plus véhément, plus indigné, et n'avait exercé d'une façon plus souveraine le pouvoir de l'éloquence. Tout fut inutile. Le 18 avril (1855), 289 voix contre 157 votaient l'adoption du traité. Il fut adopté aussi, deux mois après, par la Chambre des pairs, malgré les énergiques attaques du duc de Noailles. La gravité du vote, en ce qui concernait l'honneur de la France, ne se trouvait atténué que par un amendement de MM. Valazé et Legrand, lequel avait prévalu, et portait qu'il ne serait fait aucun paiement, que lorsque le gouvernement français aurait reçu des explications suffisantes sur message du président Jackson.

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HOTE

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CHAPITRE X.

sons.

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Procès d'avril. - La Chambre des pairs constituée en Cour de justice. - Congrès républicain convoqué à Paris. — Luttes intellectuelles dans l'intérieur des priRéunions de défenseurs; leur physionomie.— Visite à M. Pasquier.Droit de libre défense violé; protestation du barreau de Paris et de la plupart des barreaux de France. - Dissidence Sympathies qu'excitent les détenus. entre ceux de Paris et ceux de Lyon. Entrevue à Sainte-Pélagie des deux comités de défense; ses résultats.- Vifs débats entre la majorité des défenseurs et M. Jules Favre. - MM. Jules Favre, Michel (de Bourges) et Dupont.Ouverture des débats devant la Cour des pairs. Protestations des accusés ; scènes étranges. Le jugement sur pièces proposé. Lettre des défenseurs. La Chambre engagée dans la lutte; MM. de Cormenin et Audry de Puyraveau incriminés. - Portrait de M. de Cormenin. - Débats parlementaires.M. Audry de Puyraveau livré à la Cour des pairs par la Chambre élective; son attitude.- Division dans le camp des défenseurs; MM. Dupont et Armand Carrel. - Procès des défenseurs; son caractère; incidents; discours de MM. Trélat et Michel (de Bourges); condamnations.- La Cour des pairs s'abandonnant à toutes les conséquences de l'arbitraire; arrêt de disjonction; évasion des prisonniers de Sainte-Pélagie. — Continuation du procès des accusés d'avril. — Plaidoirie de M. Jules Favre. Condamnations des accusés des diverses caté

gories. Le parti républicain.

Lorsqu'un gouvernement a le désir et le pouvoir de tout oser, s'il parle de justice en ne suivant que les inspirations de sa haine, et s'il invoque la sainteté des lois en les foulant aux pieds, il y a dans le mensonge d'une telle attitude quelque chose qui attriste la conscience des gens de bien. Et pourtant, l'homme d'État qui aime le peuple y puise un sujet

d'orgueil et d'espérance. Car c'est un hommage profond rendu à la liberté que cette pusillanimité de la force; et il est beau de voir les victorieux mentir au sentiment de leur propre triomphe, et manquer, même devant la certitude de leur impunité, du courage de leur violence.

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C'était sur une simple ordonnance du roi que Chambre des pairs, saisie du procès d'avril, s'était constituée en cour de justice.

Or, la Charte avait été violée par là de la manière la plus audacieuse. La Charte avait dit en effet : Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels. » Et comme pour enlever d'avance à la tyrannie la ressource des interprétations perfides, les législateurs avaient ajouté: « Il ne pourra en conséquence être créé des commissions et tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être. Qu'imaginer de plus formel?

Il est vrai qu'une exception au principe se trouvait consacrée dans l'article 28, ainsi conçu : « La < Chambre des pairs connaît des crimes de haute << trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui < seront (QUI SERONT) définis par la loi. » Mais cette loi qui devait définir l'attentat, et sans laquelle l'article 28 était comme non-avenu, cette loi n'avait pas encore été faite. La haute juridiction de la Chambre des pairs ne pouvait donc entrer en exercice que par un cynique renversement des lois fondamentales du royaume.

A ce raisonnement, appuyé sur des textes positifs et confirmé d'ailleurs par un arrêt mémorable', il

En 1815, M. de Lavalette avait été condamné à mort par la Cour

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