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d'excuse, et il restera comme une tache sur la mémoire de M. Thiers.

Les ministres ne s'en tinrent pas là. Il y a dans la vie d'un peuple des moments de stupeur si étranges, qu'il n'est rien qui, alors, ne se puisse obtenir de son imbécillité. Les ministres virent bien que la France était dans un de ces moments de surprise épaisse, et ils en profitèrent pour lui ravir ses libertés. Mon gouvernement connaît ses devoirs, « et il saura les remplir,» avait dit une proclamation royale. Et les journaux ministériels de commenter la menace : il était temps enfin de pourvoir au salut du chef de l'État par des mesures énergiques; il fallait rendre la justice plus prompte dans son action et plus terrible dans ses vengeances; il fallait rendre l'institution du jury plus dure aux accusés; il fallait museler la presse et placer définitivement au-dessus de toute discussion, non-seulement la personne du roi, mais encore la monarchie constitutionnelle. Que tardait-on? L'attentat du 28 juillet ne venait-il pas de révéler la source empestée du mal? Voilà ce que les feuilles du gouvernement soutenaient à l'envi. Comme s'il existait le moindre rapport entre le droit de discussion et les inspirations de la perfidie! Comme si l'acte d'un fou sanguinaire suffisait pour faire mettre en interdit la raison humaine!

Elle n'était pas nouvelle, au surplus, cette exploitation de l'étourdissement d'un peuple, et les ministres de Louis-Philippe n'étaient ici que les plagiaires de la Restauration. Après l'assassinat du duc de Berri par Louvel, les royalistes n'avaient-ils pas dit : « C'est de la presse de l'Opposi

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<< tion que le coup est parti. Le prince vient d'être poignardé par une idée libérale. » Or, ceux à qui s'adressait la calomnie, à cette époque, c'étaient, entre autres libéraux, MM. de Broglie, Thiers, Guizot, aujourd'hui ministres ! Le dernier fut même frappé alors du coup qui atteignit M. Decazes, son patron, proclamé par M. Clauzel de Coussergues le complice de Louvel. Et maintenant, M. Guizot ne rougissait pas de se faire l'artisan d'une iniquité dont il avait jadis souffert lui-même! Si cela s'appelle la politique, je ne saurais exprimer jusqu'à quel point la politique me fait pitié.

Il avait été décidé qu'on ferait aux victimes de l'attentat du 28 des funérailles magnifiques, de vraies funérailles nationales. Auguste et touchante pensée, si le ministère n'y eût associé le projet de faire servir la douleur publique au triomphe des mesures qu'il méditait! Le 5 août (1855), les funérailles eurent lieu. Elles offrirent un inconcevable caractère de tristesse et de grandeur. De l'église Saint-Paul, où les corps avaient été provisoirement déposés, jusqu'à l'hôtel des Invalides, leur destination suprême, ce n'était qu'une immense multitude qu'aucune tempête ne devait troubler, cette fois, et qui roulait lentement à travers la ville, en la remplissant de son silence. Quatorze chars funèbres furent vus s'avançant l'un après l'autre sur le boulevard. Le premier était celui de la jeune fille si cruellement moissonnée par un hasard terrible; le dernier, celui du vieux soldat impérial que la mort était venue surprendre dans les distractions d'une fête, après tant et de si dévorantes mêlées! Venait ensuite, tout couvert de noires

draperies, le cheval de bataille', accompagnant son cavalier immobile à jamais. L'église des Invalides reçut sous ses voûtes en deuil et inondées de clartés sépulcrales, les dépôts mortels qu'on lui venait confier. Puis, le roi, suivi de ses enfants, jeta l'eau bénite sur les corps. Et la foule s'écoula peu à peu, toujours silencieuse et recueillie.

L'attitude du clergé dans ces circonstances eut quelque chose de manifestement hostile à la dynastie d'Orléans. Après des hésitations offensantes pour la royauté, l'archevêque de Paris s'était enfin décidé à rendre au roi une visite, et même à officier au service funèbre qui devait être célébré dans l'église des Invalides. Mais les regrets du clergé pour la branche aînée se trahirent dans ces paroles singulières de l'archevêque au roi : « Sire, en voyant << aujourd'hui le chef et les corps de l'État, double<ment avertis par le malheur et le bienfait, venir << apporter aux pieds des saints autels un juste tri« but de remercîments et d'hommages, la religion

espère! Elle espère pour la France. Car, si l'in< gratitude envers Dieu a le funeste privilége d'ar«rêter le cours de ses dons, la reconnaissance de <la foi a le pouvoir, au contraire, de les multiplier « et de les faire couler avec abondance sur les < princes et sur les peuples.

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S'il est une règle d'éternelle sagesse, c'est celle qui prescrit au législateur de se garder, lorsqu'il médite la loi, de toute précipitation passionnéc, de toute impression de nature à altérer la sérénité de son jugement. Cependant, dès le 4 août 1835, la Chambre des députés était saisie des projets de lois annoncés par la polémique ministérielle. Dans

un exposé des motifs qui démentait l'idée qu'il avait donnée de son caractère, M. de Broglie fit de l'état de la France, sous l'empire de la presse, un tableau qui présentait, avec le fameux rapport de M. de Chantelauze en 1850, des analogies frappantes. Comme conclusions de l'exposé des motifs, trois projets de lois furent présentés par M. Persil.

L'un, relatif aux cours d'assises, investissait le ministre de la justice, à l'égard des citoyens accusés de rébellion, du pouvoir de former autant de cours d'assises que le besoin l'exigerait, et chaque procureur-général d'abréger, en cas de besoin, les formalités de la mise en jugement. Il donnait aussi au président de la cour d'assises le droit de faire emmener de force les accusés qui troubleraient l'audience et de faire passer outre aux débats en leur absence.

L'autre, relatif au jury, lui attribuait le vote secret, statuait que la majorité des voix nécessaire pour la condamnation serait réduite de 8 à 7, et aggravait la peine de la déportation.

Le troisième, relatif à la presse, déclarait punissables de la Détention et d'une amende de 10,000 à 50,000 FR. l'offense à la personne du roi et toute

ATTAQUE CONTRE LE PRINCIPE DU GOUVERNEMENT COMMISE PAR VOIE DE PUBLICATION. Il défendait aux citoyens, sous des peines exorbitantes, quoique moins sévères, de prendre la qualification de républicain, de mêler la personne du roi à la discussion des actes du gouvernement, d'exprimer le vœu ou l'espoir de la destruction de l'ordre monarchique et constitutionnel, d'exprimer le vœu ou l'espoir de la restauration du gouvernement déchu, d'attribuer des droits au

trône à quelqu'un des membres de la famille bannie, de publier les noms des jurés avant ou après la condamnation, de rendre compte des délibérations intérieures du jury, d'organiser des souscriptions en faveur des journaux condamnés.... Il enlevait aux gérants la faculté de donner des signatures en blanc; il leur imposait l'obligation de dénoncer les auteurs des articles incriminés, il les privait de l'administration des journaux durant le cours de l'emprisonnement. Il statuait qu'aucun dessin, aucun emblême, aucune gravure, aucune lithographie, ne pourraient être exposés, publiés, mis en vente, qu'après avoir subi la censure préalable; et qu'à cette seule condition un spectacle pourrait être établi et une pièce de théâtre jouée.

Quand on songe que cet effrayant ensemble de dispositions despotiques était motivé sur les fureurs solitaires d'un misérable; quand on songe que c'était une nation tout entière qu'on punissait ainsi du crime d'un scélérat qui lui faisait horreur, et que c'était d'une situation exceptionnelle, passagère, qu'on faisait sortir la permanence de pareilles lois dans le pays le plus civilisé du monde, le plus jaloux de sa liberté, le plus éprouvé par les révolutions..... l'esprit reste confondu d'étonnement, et l'on se demande si tout cela n'est pas un rêve.

Mais ce qui n'est pas moins triste à rappeler, c'est que les Chambres répondirent avec une sorte d'impatience grossière à l'appel qui leur était fait. Les projets du gouvernement ne rencontrèrent qu'une approbation convulsive dans les trois commissions nommées, dont les rapporteurs furent: pour la loi sur les cours d'assises, M. Hébert; pour la loi sur le

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