Images de page
PDF
ePub

jury, M. Parent; pour la loi sur la liberté de la presse, M. Sauzet. Et même, tant était grand le vertige! la dernière commission ne craignit pas d'ajouter aux lois proposées des dispositions qui en exagéraient les rigueurs, déjà excessives. Elle demanda qu'on déclarât punissables de l'amende et de la prison les attaques contre la propriété, le serment et le respect dû aux lois; que le taux du cautionnement des journaux fût élevé de 48,000 fr. à 200,000 (le chiffre de 100,000 fut adopté par la Chambre); qu'on en exigeât le versement en numé➡ raire, et que le gérant ne pût entrer en fonctions sans en posséder le tiers en son nom propre.

La discussion s'ouvrit à la Chambre des députés le 15 août. Elle souleva une lutte ardente mais courte, et eut le résultat prévu : on avait délibéré sous le joug de la passion. Le ministère obtint donc plus encore qu'il n'avait demandé. Le concours de la Chambre des pairs ne pouvait manquer aux ministres; elle s'empressa de donner la consécration de son vote à ces lois fameuses qui devaient rester dans la mémoire du peuple et dans l'histoire sous le nom de lois de septembre. Pour les flétrir, M. RoyerCollard avait rompu un long silence, et son discours commença le châtiment des ministres.

Les lois de septembre dépouillèrent les accusés de leurs garanties les plus précieuses. Elles faussèrent l'institution du jury. Elles assimilèrent à un attentat la discussion d'une théorie. Elles firent de la puissance de la presse l'arme exclusive de la haute bourgeoisie, et enlevèrent tout organe à la défense des intérêts sacrés du pauvre. C'était à cela que la révolution de juillet était venue aboutir!

Les lois de septembre rétablissaient aussi la censure, cette censure contre laquelle les libéraux, aujourd'hui vainqueurs, avaient si énergiquement élevé la voix du temps de la Restauration. Qu'on eût essayé d'imprimer aux théâtres une direction sociale, rien de mieux, suivant nous. De tous les moyens de gouvernement, il n'en est pas de plus efficace et de plus légitime que le théâtre. Permettre à un simple particulier d'agir, au gré de son caprice, sur les hommes rassemblés, par les séductions de la scène, l'intérêt de l'action, la beauté des femmes, le talent des artistes, l'enchantement des peintures et des flots de lumières, c'est livrer au premier corrupteur venu l'âme du peuple en pâture; c'est abandonner au passant le droit d'empoisonner les sources de l'intelligence humaine. Dans un pays où le gouvernement serait digne de ce nom, l'État ne saurait renoncer à la direction morale de la société par le théâtre, sans abdiquer. Mais, si les ministres du 14 octobre s'étaient proposé pour but la réalisation d'une aussi noble pensée, au lieu de revenir à ce que la censure avait eu de plus tyrannique et de plus inepte, ils auraient demandé qu'on retirât aux spéculateurs, pour la confier à l'État, l'exploitation des théâtres; et ils en auraient attribué la surveillance à un jury véritablement national, c'est-à-dire électif, temporaire, amovible par le peuple et responsable. C'est le contraire qu'ils firent, dominés qu'ils étaient par des passions mesquines et des idées sans profondeur.

Ainsi, les droits de la raison et ceux de la presse étaient foulés aux pieds de la manière la plus brutale par M. Thiers, que la presse avait poussé au

faîte des grandeurs; par M. de Broglie, qui, sous la Restauration, s'était fait ouvertement le protecteur de la liberté d'écrire; par M. Guizot, qui, soit comme publiciste, soit comme professeur, n'avait cessé de proclamer la souveraineté de la raison. Et ces trois hommes venaient gravement affirmer, à la face du monde, qu'au-delà de la monarchie qu'ils voulaient et qu'ils avaient intérêt à vouloir, il n'était plus de progrès possible; que l'intelligence, ici-bas, s'arrêtait fatalement aux limites tracées par eux ; que l'humanité devait rester emprisonnée jusqu'au bout dans leur formule; qu'il y avait crime enfin à les importuner, ne fût-ce que par un vou, que par un espoir, dans la jouissance de leur fortune constitutionnelle! Et ces prétentions, d'une bouffonnerie à peine croyable, elles devenaient lois de l'État! Et toutes ces choses se passaient au milieu des ruines de cinq ou six gouvernements renversés l'un sur l'autre, parce que tous, ils avaient eu l'insolence de s'écrier: « Je suis inviolable, indis<< cutable, immortel! » Qu'ajouter au tableau d'un pareil désordre? On avait décrété en France l'anarchie des cultes, et l'on y déclarait factieuse la lutte pacifique des systèmes! il n'était plus permis de se dire républicain là où il l'était de se dire athée! Discuter Dieu demeurait un droit; discuter le roi devenait un crime!

CHAPITRE XII.

[ocr errors]

[ocr errors]

Intrigues de Cour. Le ministère du 11 octobre sourdement miné. — On excite l'ambition de M. Thiers. Mot de M. de Talleyrand sur M. Thiers. Madame de Dino et Madame de Lieven. M. Thiers insensiblement détaché de ses collègues. Le Cabinet divisé au moyen de M. Humann. Honteuses menées. — Véritable motif de la proposition relative à la réduction de la dette publique. M. Thiers s'irrite contre M. Guizot. Moyens employés pour les séparer à jamais l'un de l'autre. - Propos blessants tenus par les amis de M. de Broglie. M. Thiers, mis au défi, se decide à rompre ouvertement avec ses collègues et forme un nouveau Cabinet. Gravité de cette résolution. - Le ministère du 11 octobre dissous, le gouvernement personnel est fondé. Conclusion.

[ocr errors]

L'année 1836 s'ouvrait, pour Louis-Philippe, sous les plus favorables auspices. L'attentat de Fieschi, en glaçant la France d'horreur, avait fortifié la monarchie. Les uns, sincères dans leur effroi, se pressaient plus vivement que jamais autour du trône sauvé; les autres affectaient de reconnaître le doigt de Dieu dans la conservation des jours du roi au milieu d'un si effroyable péril; d'autres s'étudiaient à changer en fiel la douleur éveillée dans toutes les âmes, et, avec une habileté funeste, ils faisaient le compte des victimes de Fieschi, présentant l'assassinat comme le dernier terme des encouragements donnés par la presse opposante à l'esprit de révolte.

Ainsi calomniée, l'Opposition commandait à sa colère et ajournait l'explosion de ses ressentiments.

La législation de septembre était en vigueur: on la subissait. La société languissait dans un morne repos, et le pouvoir triomphait, porté par le deuil public.

Au Château, cependant, la satisfaction n'était pas entière. On y aspirait toujours avec la même impatience aux douceurs du gouvernement personnel, et ce désir devenait naturellement plus vif toutes les fois que les circonstances faisaient paraître moins impérieuse la nécessité d'un Cabinet fortement constitué. Le surnom de Casimir premier, donné à Casimir Périer, disait assez combien la dictature ministérielle de cet homme arrogant avait été jugée insolente, et combien le roi en avait souffert. Qu'elle fût continuée par MM. de Broglie, Guizot et Thiers, étroitement unis, voilà ce qu'à la Cour on trouvait insupportable. Les courtisans se remirent à l'oeuvre.

Rompre les liens que l'amitié avait noués entre le duc de Broglie et M. Guizot, on y parvint plus tard, mais on ne se croyait pas encore en droit d'espérer un aussi notable succès. A cette époque, les deux chefs du parti doctrinaire étaient considérés comme inséparables, si bien que le roi les appelait avec un amer sourire les jumeaux siamois. Ce fut, par conséquent, autour de M. Thiers que se croisèrent les intrigues, et l'on s'attacha laborieusement à lui souffler les plus audacieuses espérances.

M. de Broglie chancelait sous le poids de son impopularité; il était, de la part du roi, l'objet d'une aversion profonde; il avait déplu aux diplomates étrangers par sa raideur, et M. de Talleyrand disait de lui avec une affectation d'ironie impertinente, que sa vocation était de n'être pas ministre des affaires

« PrécédentContinuer »