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la soeur du duc de Bordeaux et Mme de Gontaut avaient quitté Butschierad pour se rendre au Rhadschinn. Car il était décidé que, pour empêcher la duchesse de Berri de venir jusqu'à Prague, la famille royale irait au-devant d'elle jusqu'à Léoben. M. de Chateaubriand eut, à ce sujet, une entrevue avec la Dauphine, et il lui exprima tout son étonnement du parti auquel on s'était arrêté : « Quoi! on irait au-devant de Marie-Caroline pour lui conduire ses enfants, les lui faire embrasser rapidement dans une auberge, et ensuite les séparer d'elle à jamais! » La Dauphine répondit avec émotion que, si telle était la volonté du roi et qu'il y persistât, il faudrait bien obéir. M. de Chateaubriand passa chez MTM de Gontaut. Elle faisait les apprêts du voyage et se lamentait « On nous enlève, on nous mène je ne << sais vers quel but. Sauvez-nous! » La soeur du duc de Bordeaux était souffrante et gardait le lit. Introduit dans la chambre de la jeune malade, M. de Chateaubriand ne la vit point, les fenêtres étant fermées, mais elle lui tendit dans l'ombre sa main, qui était brûlante, en le priant aussi de les

sauver tous.

Le soir même, M. de Chateaubriand se rendit à Butschierad. Il trouva dans le salon, près d'une table de jeu preparée, le duc de Blacas et M. O'Egherthy. Le roi, lui dit M. de Blacas, a été pris d'un « accès de fièvre, il est couché. » Et apercevant sur le visage de M. de Chateaubriand un léger signe d'incrédulité, M. de Blacas ouvrit avec précaution la porte qui séparait le salon de la chambre à coucher de Charles X. M. de Chateaubriand s'avança,

mais il n'entendit que la respiration élevée du roi, comme celle d'un homme qui dort d'un sommeil pénible. Alors, il exposa au duc de Blacas, devant M. O'Egherthy, le but de sa mission, s'étendit sur ce qu'avait d'insultant pour Marie-Caroline le voyage à Léoben, et sur ce que présentait d'avantageux la déclaration de majorité. M. de Blacas fit à tout cela quelques objections, mais sans insister. « Au surplus, ajouta-t-il, le roi étant malade, il est « vraisemblable qu'il ne partira pas demain : vous « pourrez vous entendre avec lui. »

M. de Chateaubriand revint à Prague; et le lendemain, il était de bonne heure à Butschierad. Charles X, encore malade, reçut gracieusement son noble visiteur, le fit asseoir auprès de son lit, l'écouta d'une oreille attentive et bienveillante, mais sans se départir de la résolution qui éloignait de Prague Marie-Caroline. Relativement à la déclaration de majorité, il montra une volonté moins ferme, et pria M. de Chateaubriand, après avoir fait un brouillon de l'acte, d'en causer avec M. de Blacas. Il prit ensuite une lettre que la duchesse de Berri lui écrivait, la lut d'un air préoccupé, puis, la jetant sur son lit : « De quel droit, s'écria-t-il, ◄ la duchesse de Berri prétend-elle me dicter ce <que j'ai à faire? Quelle autorité a-t-elle pour « parler? Elle n'est plus rien, elle n'est plus que

Mme Luchesi Palli. Le Code la dépouille de la < tutelle comme mariée en secondes noces. » M. de Chateaubriand répondit qu'il restait à Marie-Caroline les droits qu'elle tenait de son courage, de ses malheurs, de tout ce qu'elle avait brayé, de tout ce

qu'elle avait souffert pour la cause de son fils. Là se borna l'entretien. M. de Chateaubriand se hâta de rédiger l'acte de déclaration de majorité; mais cet acte ayant été porté à Charles X par M. de Bla cas, on fit savoir à l'auteur que son projet, qu'on trouvait d'ailleurs fort convenable, devait être envoyé à Vienne, parce qu'on s'était malheureusement engagé à ne rien faire à la majorité de Henri V. Il est dur, Madame, écrivait à ce sujet M. de « Chateaubriand en s'adressant à Marie-Caroline, il est dur d'avoir à parler de l'Autriche quand il s'agit de la France. Que diraient nos ennemis • s'ils nous voyaient nous disputant une royauté << sans royaume, un sceptre qui n'est aujourd'hui « que le bâton sur lequel nous appuyons nos pas « dans le pélerinage de l'exil? » Il écrivait encore, après avoir rendu compte des résultats de son voyage: « Si jamais, Madame, vous deveniez maî atresse du sort de votre fils, si vous persistiez à a croire que ce dépôt précieux pourrait être confié « à mes mains fidèles, je serais aussi honoré qu'heu • reux de lui consacrer le reste de ma vie. Mais je je ne pourrais me charger d'une aussi effrayante a responsabilité qu'à condition d'être, sous vos a conseils, entièrement libre dans mes choix et

mes idées, et placé d'abord sur un sol indépen« dant, hors du cercle des monarchies absolues. » L'éducation du due de Bordeaux était, en effet, pour les royalistes, un sujet d'ardentes préoccupa tions; et c'est ce qui explique l'intervention de MM. de Chateaubriand, de la Ferronays, de SaintPriest et autres personnages marquants qui s'é

taient groupés autour de Marie-Caroline. On n'était guère capable de comprendre à Prague les sentiments exprimés avec tant de noblesse par M. de Chateaubriand dans les lignes que nous venons de citer. L'auteur du Génie du Christianisme fut éloigné du fils: il n'avait rien obtenu pour la mère.

Après un séjour assez long à Venise et bien des difficultés, Marie-Caroline reçut des passe-ports pour l'Allemagne. Mais on voulait qu'elle y parût en fugitive et dans un état presque complet d'abandon. Le nombre des passe-ports lui fut mesuré avec une défiance avare. Quand elle quitta Venise pour aller à Léoben, quatre personnes seulement l'accompagnaient: M. et Mme de Saint-Priest, MM. Podenas et Sala. En humiliant Marie-Caroline, Charles X ne voyait pas que c'était la légitimité même qu'il exposait à la risée de l'Europe. Mais les hommes seraient trop malheureux si leur obstination à servir n'était pas quelquefois égalée par la folie de ceux qu'ils servent.

A Léoben, l'entrevue fut froide et réservée. Charles X était entouré de MM. de Blacas, de Damas, de Montbel. Marie-Caroline parla de son fils, de l'éducation, de la majorité on eut l'air de ne pas la comprendre. Quelques jeunes français, échappés de Prague, MM. de Bruc, Walsh, de Seran, étaient parvenus à traverser la ville on feignit de croire que la duchesse de Berri avait l'intention de faire enlever ses enfants. La séparation de la famille eut lieu au bout de quelques jours. Le général Latour-Maubourg avait été choisi d'un commun

accord pour diriger l'éducation du duc de Bordeaux. Ce fut tout. Le rôle politique de Marie-Caroline venait de cesser.

Tels furent ces événements. La branche aînée y perdit ce qui lui restait encore d'autorité morale en ce pays de France, si fatal pourtant aux monarchies; et l'on vit clairement alors combien pitoyable est la démence des partis qui, associant leur destinée à celle d'une famille, consentent à jouer leur avenir sur l'entêtement d'un vieillard ou les amours d'une jeune femme. Mais il plut à Dieu de ne pas borner à cela les enseignements réservés à notre siècle. Par une merveilleuse dispensation de la Providence, de ces deux dynasties en lutte, la nouvelle ne put fouler aux pieds l'ancienne sans s'amoindrir elle-même et s'abaisser. Car il existe entre toutes les couronnes une solidarité impossible à méconnaître; et le prestige, puissance créée par la bêtise des peuples, est, aux mains des grands de la terre, un trésor commun qui diminue pour tous quand il semble ne diminuer que pour un seul. Il fallait une médiocrité bien profonde et une singulière petitesse de vues pour ne pas comprendre que livrer en proie aux sarcasmes de la foule MarieCaroline, fille, soeur, nièce, et mère de roi, c'était faire monter l'insulte jusqu'au principe même sur lequel reposent les monarchies. Le culte de la royauté va s'affaiblissant en Europe depuis qu'on avilit les princes, non depuis qu'on les tue; et l'on ne fonde pas une dynastie en enseignant aux peuples, du haut d'un trône, le mépris des races royales.

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