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fait l'office d'accusateur, et M. Teste, contre lequel la Tribune avait dirigé de récentes et vives attaques.

Deux cent cinq voix décidèrent, contre quatrevingt-douze, que le journal serait cité à la barre de la Chambre. Il y comparut, le 16 avril, dans la personne de M. Lionne, son gérant, et de deux de ses rédacteurs: MM. Armand Marrast et Godefroi Cavaignac. La foule des spectateurs était immense. Immobiles sur leurs bancs, les députés gardaient un silence glacial et semblaient composer leurs visages. Les républicains entrèrent, le front haut, le sourire du dédain sur les lèvres. Qu'ils courussent au-devant d'une condamnation, ils ne l'ignoraient point; mais ils trouvaient à la braver par une profession de foi pleine d'éclat, une jouissance légitime et hautaine. Un bureau avait été disposé dans l'intérieur d'une balustrade circulaire adossée aux bancs de l'extrême gauche : ce fut là que le prévenu et ses défenseurs prirent place.

M. Godefroi Cavaignac commença en ces termes : << Messieurs, nous comparaissons devant vous, mais < nous ne vous reconnaissons pas le droit de nous « juger. » Il continua sur ce ton, comme un homme convaincu de la sainteté de sa cause et de la supériorité de ses doctrines. Il ne se défendit point, il attaqua; pressant et hardi, mais grave dans ses colères et modeste dans son audace. Il reconnut,

Chaigneau, Corcelles, Coulmann, Demarçay, Dubois-Aimé, Dulong, Dupont (de l'Eure), Duris-Dufresne, Garnier-Pagès, Girardin, Havin, Joly, Laboissière, le général Lafayette, George Lafayette, Larabit, Lenouvel, Leprévost, Levaillant, de Ludre, Laguette-Mornay, Luminais, Renouvier, Roussilhe, Senné, Tardieu, Teste, Viennet.

d'abord, qu'en politique, être jugé par ses ennemis était une chance commune à tous les partis en lutte, ce qui rendait les prétentions de la Chambre naturelles, et ce qui les aurait rendues légitimes si cette Chambre eût véritablement représenté la souveraineté du peuple. Mais une assemblée fille du monopole pouvait-elle avoir l'omnipotence d'une assemblée issue du suffrage de tous les citoyens? Au privilége qui les faisait représentants de 200,000 électeurs dans une nation de 55,000,000 d'hommes, les députés pouvaient-ils joindre le privilége de l'inviolabilité? Après tout, que reprochait-on à la Tribune? D'avoir dit que la Chambre laisserait construire des forts autour de Paris, vendue et prostituée qu'elle était? Mais des fonds n'avaientils pas été alloués, l'année précédente, pour le commencement des travaux? Preuve trop évidente de l'état de vassalité dans lequel la Chambre vivait à l'égard du pouvoir exécutif! Car enfin, quoi de plus étrange que de voir une assemblée fournir ellemême à une autorité rivale des moyens de dictature, des instruments de tyrannie? Des législateurs s'entourant de l'appareil des armes, consentant à siéger sous le feu de citadelles bâties à grands frais, la chose était nouvelle assurément et digne de remarque! Ils n'avaient pas compris de la sorte la liberté des délibérations parlementaires, les auteurs de toutes les constitutions antérieures à l'an VIII, eux qui avaient décrit autour de la capitale un cercle qu'il n'était permis à aucun soldat de franchir, eux qui avaient assuré au pouvoir législatif la possession d'un territoire sacré où la puissance morale de la loi

reposait dans toute sa force! Après de vives attaques contre le projet d'embastiller la capitale, M. Cavaignac se mit à suivre à travers l'histoire du dixneuvième siècle les progrès de ce système de réaction qui s'était produit: jusqu'au 18 brumaire, contre les hommes; sous l'Empire, contre les idées; sous la Restauration, contre les sentiments et les intérêts du peuple; depuis, contre les garanties publiques. Le procès même intenté à la Tribune paraissait à l'orateur républicain la suite d'un vaste plan de conspiration contre-révolutionnaire, plutôt qu'un acte de vengeance provoqué par une injure. « Quoi! ce procès pour vous dans un temps où la < société est en proie à un procès, par ma foi, bien <autre; quand elle plie jusque dans son axe, quand <on ne sait à quel orbite doit aboutir ce monde « dérouté! Quoi! dans cette tempête qui gronde « autour de vous, vous entendez le cri d'un jour<naliste! Ces soldats retenus autour de vous, quand, ⚫ de Francfort à Constantinople, on sent de quoi « remuer les rois et les peuples, quand l'Allemagne < fermente sous cet esprit héréditaire qui fatigua < Charles-Quint et ruina Napoléon! Ainsi, l'Europe

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s'échauffe au retour de l'incendie que 1850 avait « attisé dans son centre, l'esprit révolutionnaire << se meut de nouveau contre cette loi de Sainte<«< Alliance qui ne peut plus désormais exister << qu'entre peuples, une étincelle de juillet retombe « sur le foyer de la grande famille européenne; et, << cependant, vous, vous jugez! Distraction impos<sible, aveuglement incroyable, si l'on n'y cherche « que celui de la passion! Non, vous ne ferez pas

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< croire que votre colère contre nous soit l'unique « mobile de ce procès; non, lorsqu'il n'y a pas un « sommeil qui ne puisse être interrompu par un «< courrier, vous ne nous persuaderez pas que vous < vous endormiez à l'aide d'une audience. Vous << êtes dans une mauvaise voie, mais vous y mara chez, et ce procès termine votre session, parce <qu'il commence ce qu'une autre doit exécuter. » Par ces paroles, on le voit, M. Cavaignac agrandissait le débat; il rattachait à un long et détestable complot contre les libertés publiques, ce qu'on aurait pu prendre pour un simple élan de colère de la part de quelques députés blessés dans leur orgueil; en un mot, de la cause de la Tribune, il faisait celle de la nation tout entière.

Après lui, M. Marrast prit la parole, et, dans un discours agressif, mordant, plein d'impétuosité, de verve, de couleur, il traça l'histoire de la corruption telle que le régime constitutionnel l'avait enfantée, telle qu'il la rendait nécessaire. Cette histoire, M. Marrast la résumait en ces termes : « La Chambre « qui consentit aux tribunaux d'exception et aux « cours prévotales; la Chambre qui toléra les con<spirations de police; la Chambre qui laissa violer << la Charte impunément; la Chambre qui prodigua « les trésors de l'État aux intérêts dont elle profi<tait la première; la Chambre qui abandonna la « sûreté individuelle des citoyens à l'arbitraire des < ministres; la Chambre qui poursuivit à outrance ‹ la liberté des opinions..... qu'étaient-elles? quel « nom leur donner? La Chambre qui accrut in< cessamment les traitements des fonctionnaires,

« qui les livra ensuite pieds et poings liés à l'admi<nistration; la Chambre qui entassa emprunts sur « emprunts, qui prodigua les fonds secrets, qui « maintint tous les priviléges, qui éleva des autels <aux basses passions de l'avidité, qui encouragea « l'agiotage par l'amortissement, qui fit tout gra<viter vers le centre impur de la Bourse, qui jeta ‹ honneur, dignité nationale, trésor public à la « voirie des loups-cerviers; toutes ces Chambres, « messieurs...... prostituées! prostituées! » S'attaquant à la corruption du jour, « ce n'est, pour

suivait M. Marrast, un secret pour personne que « ces spéculations heureuses dont on a tant abusé, « l'année dernière, pour les jeux de Bourse! Tout < le monde se rappelle ces nouvelles connues de la « veille et publiées seulement le lendemain, après « que d'importantes opérations avaient pu être <consommées. La Chambre y était-elle étrangère? < Sans doute. Et pourtant, on affichait dans l'inté<rieur des séances la cote des fonds, comme pen« dant à l'ordre du jour! Vos intentions doivent être <excellentes, messieurs, et cependant, vous avez << voté dans deux ans plus de fonds secrets que la < Restauration n'en a demandé pendant les six der<nières années. Vous êtes parfaitement indifférents ‹ à la prime des sucres; et cependant, cette prime <s'est accrue, depuis 1850, de 7 millons à 19; et, « chose étrange, le tiers à peu près de cette somme <est partagé entre six grandes maisons, au nombre < desquelles marchent en première ligne celle de << certains membres que vous honorez de toute « votre considération, et notamment celle d'un mi

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