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< croire que votre colère contre nous soit l'unique « mobile de ce procès; non, lorsqu'il n'y a pas un « sommeil qui ne puisse être interrompu par un «< courrier, vous ne nous persuaderez pas que vous < vous endormiez à l'aide d'une audience. Vous « êtes dans une mauvaise voie, mais vous y mar« chez, et ce procès termine votre session, parce <qu'il commence ce qu'une autre doit exécuter. » Par ces paroles, on le voit, M. Cavaignac agrandissait le débat; il rattachait à un long et détestable complot contre les libertés publiques, ce qu'on aurait pu prendre pour un simple élan de colère de la part de quelques députés blessés dans leur orgueil; en un mot, de la cause de la Tribune, il faisait celle de la nation tout entière.

Après lui, M. Marrast prit la parole, et, dans un discours agressif, mordant, plein d'impétuosité, de verve, de couleur, il traça l'histoire de la corruption telle que le régime constitutionnel l'avait enfantée, telle qu'il la rendait nécessaire. Cette histoire, M. Marrast la résumait en ces termes : « La Chambre << qui consentit aux tribunaux d'exception et aux « cours prévotales; la Chambre qui toléra les con<spirations de police; la Chambre qui laissa violer << la Charte impunément; la Chambre qui prodigua « les trésors de l'État aux intérêts dont elle profi‹ tait la première; la Chambre qui abandonna la « sûreté individuelle des citoyens à l'arbitraire des <ministres; la Chambre qui poursuivit à outrance < la liberté des opinions..... qu'étaient-elles? quel « nom leur donner? La Chambre qui accrut in<cessamment les traitements des fonctionnaires,

chaque membre alla déposer son vote dans l'urne, au milieu d'une confusion extrême. Le résultat était prévu. 204 voix sur 504 condamnèrent le gérant de la Tribune à trois ans de prison et à dix mille francs d'amende.

Mais la vengeance ne se fit pas attendre. Il y avait à la Chambre 122 députés fonctionnaires, lequels touchaient annuellement, en traitements légaux, plus de deux millions, et cela pour des fonctions qu'ils ne pouvaient remplir, témoin M. d'Estourmel, député du Nord et ministre à la Colombie : la Tribune mit vivement en relief ce fait monstrueux et montra que les 122 députés recevaient, en traitements qu'ils ne gagnaient point, la subsistance de plus de huit mille citoyens pauvres. Le droit sur les fers, fontes et aciers, provenant des pays étrangers, avait été, pour l'année, de 2 millions 580,000 francs, impôt énorme et désastreux levé sur l'agriculture et sur toutes les industries, pour qui le fer est un élément nécessaire de production: la Tribune affirma que cet impôt n'était maintenu que parce qu'il profitait à vingt-six députés ministériels, sans compter deux ministres, associés de M. Decazes dans l'exploitation des forges nouvelles de l'Aveyron. L'accusation monta plus haut encore. Au nom de la loi violée, au nom de l'intérêt public sacrifié à des scrupules de courtisan, le ministre des finances fut sommé de faire rentrer dans les coffres de l'État une somme de 5 millions 505,607 francs, que, depuis trop long-temps, la liste civile devait au trésor. On rappela qu'au mépris des traditions les plus inviolables de la monarchie, Louis-Philippe,

le 6 août 1850, n'avait pas craint de faire donation à ses enfants de ses biens, qu'il voulait soustraire au domaine de l'État, et l'on s'étonnait que le droit d'enregistrement, payable d'avance aux termes de la loi, ne se trouvât pas, après trois ans, payé d'une manière intégrale. Le souvenir de la forêt de Breteuil, vendue au roi par M. Laffitte fut, aussi évoqué. Mais on dirigea contre le roi, à ce sujet, une accusation aussi injuste que mensongère: on prétendit que, pour frauder l'enregistrement, il n'avait porté qu'à 6 millions, dans l'acte de vente, ce qui en réalité lui en avait coûté 10. L'allégation était fausse 1: elle passa pour vraie dans l'esprit des hommes prévenus; les attaques redoublèrent de vivacité; plus que jamais on parla de Koesner, de ce vide de plusieurs millions qu'il avait laissé dans le trésor, et du mystère dans lequel on avait permis que cette honteuse affaire restât ensevelie; on se demanda s'il était possible qu'à l'insu du baron Louis, ministre des finances, M. Koesner eût risqué l'argent de tous dans les impurs tripotages de la Bourse, et entretenu avec les agents de change des relations patentes, cyniques, journalières; on alla jusqu'à étendre, plus qu'il n'était permis de le faire ouvertement, une responsabilité que M. Martin (Nord) avait concentrée tout entière sur la tête de M. Koesner, dans un rapport qui fut le commencement de sa fortune politique. Enfin, l'on fit revivre tout ce qui, depuis 1830, se liait à des manoeuvres de corruption, à des scandales de cupidité.

Un événement imprévu vint ajouter à ce déborNous nous sommes fait montrer l'acte de vente.

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dement d'accusations. Un jour, sur la façade de la maison qui avait servi de quartier général à la révolution de juillet, ces mots parurent aux yeux du passant étonné: Mise en vente de l'hôtel Laffitte. Il était donc ruiné, celui qui avait couronné roi le duc d'Orléans, celui qui, pour en venir là, n'avait pas hésité à jouer dans les péripéties d'une crise inévitable une existence si long-temps digne d'envie, celui qui, plus tard, pour consolider son ouvrage, avait consenti à tenir les rènes du gouvernement au milieu de la tempête, abandonnant ainsi le soin de ses propres affaires et faisant à sa royale créature le double sacrifice de sa popularité, engagée dans les combats de la rue, et de ses intérêts financiers, mis en quelque sorte à la merci du hasard! Tel fut le cri qui s'échappa soudain de toutes les bouches, lorsqu'on sut que peu de temps après l'avénement de Louis-Philippe et à quelques pas du château des Tuileries, des affiches portaient : mise en vente de l'hôtel Laffitte! Les ennemis du roi en prirent textè pour l'accuser d'ingratitude, et ils le firent avec cette joie secrète et cette indignation bruyante 'qu'on puise dans les torts ou les imprudences d'un ennemi. De leur côté, les partisans de Louis-Philippe s'évertuèrent, pour mieux absoudre le monarque, à noircir son ancien ami, auquel ils déclarèrent, dès ce moment, une odieuse guerre de mensonges. Ils prétendirent que, lorsque la révolution de juillet éclata, la maison Laffitte chancelait sur ses bases mal assurées; que l'origine des embarras de M. Laffitte était dans les spéculations qu'il avait faites sur le 5 pour %; que, loin de s'être montré ingrat à

l'égard de M. Laffitte, le roi lui avait tendu à plusieurs reprises une main secourable, comme le disaient assez, et la forêt de Breteuil achetée dix millions bien qu'elle n'en valût pas huit, et un prêt de six millions fait à M. Laffitte par la Banque, sous la caution du roi, qui avait déjà dû s'exécuter dans trois paiements successifs pour une portion de la somme garantie. Rien n'était plus faux que ces assertions 1;

Il est temps que, sur ce débat célèbre, la vérité soit enfin connue. Mais il faut reprendre les choses d'un peu plus haut.

Quelque ébranlement qu'eût imprimé au crédit commercial de M. Laffitte cette révolution à laquelle il n'avait su trouver qu'un dénoûment dynastique, sa maison était trop solidement assise pour ne pas résister au choc qui alors renversa tant de fortunes. Mais c'était trop peu d'avoir créé une royauté, il importait de la soutenir. Nous avons raconté les agitations qui remplirent les premiers jours de la révolution. L'émeute allait frapper à toute heure aux portes du Palais-Royal. Sur les places publiques, dans les rues, on n'entendait que le bruit du rappel se mêlant aux clameurs d'une foule en délire. L'atmosphère, s'il est permis de s'exprimer ainsi, était chargée de passions; et les courriers lancés sur toutes les routes de l'Europe n'apportaient pas une nouvelle qui ne contint un soulèvement. Le premier ministère allait tomber d'impuissance et de peur; le sol tremblait de toutes parts autour du trône nouveau ; la famille royale était éplorée; le roi croyait entendre déjà sonner T'heure de sa chute, si voisine de son avénement on eut récours à M. Laffitte.

L'empressement grossier qu'on mit plus tard à envahir le pouvoir, on le mettait alors à s'en éloigner. Mais M. Laffitte avait des raisons particulières pour fuir le tourbillon des affaires publiques : sa maison avait besoin de son activité, de ses soins; ses associés le pressaient de renoncer à des grandeurs au fond desquelles devait, selon toute apparence, se trouver sa ruine. M. Laffitte, à cette époque, était président de la Chambre des députés; et, quoique ministre sans portefeuille, nul parmi les membres du conseil n'était plus occupé que lui. Il voulut rentrer dans la vie privéc. Le roi, auquel il était encore nécessaire, n'épargna rien pour le retenir; et ce fut alors qu'eut lieu la vente de la forêt de Breteuil. Le prix en fut fixé à dix millions; mais afin que le roi, dans tous les cas, ne s'engageât point au-delà de ce qui était raisonnable, on stipula dans l'acte que l'acheteur aurait le droit de faire expertiser la forêt, droit que le vendeur ne se réservait pas à lui-même.

S'il y eut là un service rendu à M. Laffitte, ce service fut chèrement payé. Car il ne servit qu'à engager M. Laffitte plus avant dans les affaires

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