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brouette, buriotte; brodequin, broquetin; dormir, droumie; etc. Dans une pièce du seizième siècle, intitulée les Cris de Paris, on trouve à la fois fourmage (de forme) et froumage, ce qui prouve qu'à cette époque la transposition était encore facultative.

<< Pierre se nostre quiens (comte) Hurels
En est créus et li Bertons (Bretons). »

(Chanson anonyme du XIII° siècle.)

« Nostre pastour garde mal leurs berbis. »

(HUES DE SAINT-QUENTIN, XIII° siècle.)

« Je m'escure tout le poumon, et voi me là (me voilà) prêt à boire. »

(RABELAIS.)

VII. Le patois remplace souvent par ch ou j l's, les deux ss et le c doux: mise, mîche ou mîje; prise, prîje; brosse, broûche: mousse, mouche (ou bref); garçon, gachon moisson, mochon; etc. L'ancienne prononciation abonde en exemples de cette substitution des sifflantes.

« Ung grant miroir d'achier (acier) faict à l'anticque. »
(Inventaire de Charles-Quint, 1536.)

« Pots et flascons de diverses fachons (façons).

G. CHASTELLAIN, 1561.)

« A Sandron, le huchier,..... pour ung drechoir (dressoir) fermant à clef.

Voici des exemples contraires :

(Comptes de 1499.)

«Ne pour guimples ne pour gonelles (casaques),

Ne pour cemises (chemises) ne pelisses. »

(Roman de la Rose, XII° siècle.)

« Et li estrier d'or noielé (nicllé).

De rices (riches) pierres atorné. »

(D'Athis et de Prophelias.)

Le patois a aussi brance pour branche.

Il est très difficile de fixer aujourd'hui la véritable prononciation des mots soulignés dans les citations ci-dessus. Sans se prononcer franchement ch comme en patois, se s'adoucissait peut-être à la provençale par une articulation participant des deux autres, et que nous ne saurions noter faute d'un caractère particulier.

VIII. Le son a s'emploie pour ai, é: épais, apo; faire, fâre; fossé, foussa; gelée, jaleil, jalaïe; lait, lâ; haie, haïe; laisse, lasse; mais, má; marié, mairia, nouvelle, nouvalle, belle, balle; pelle, palle; pelé, pela; sept, sapt; terrier, tari. Ce changement est fréquent chez nos vieux auteurs:

« Ung petit coffret de cuir noir, ferré de laton (laiton). » (Comptes de 1420.)

IX. Le patois dit volontiers ai pour oi: Française, Françoise; nair, noir; dait, doit; sait, soit. Les exemples analogues ne manquent pas dans le vieux français :

« Son bruyant bruit, dont lui vif abondoit

Sous terre gist, ne reste mie que fame (renommée);

Ses faits sont fès, il a fait comme on doit. »

(JEHAN DehayNIN, sire de Louvignies, Complainte, 1467.)

« Luy qui eust d'or un million finé,

D'hommes autant et estoit si grand maistre,

Tant fust desfaict et tant exterminé

Qu'à peine nul ne le pouvoit cognoistre.

(Chanson anonyme sur la bataille de Nancy, 1477.)

Le français a encore encore roide et raide, et chacun sait qu'au siècle dernier, les finales ait, aient, etc., des verbes s'écrivaient encore oit et oient.

« Pour un chappel de bièvre (loutre ou castor) fourré d'armines (hermines.) »

(Comptes de 1351.)

» Une petite houppelande doubléc de sarge (serge). »

(Comptes royaux, 1389,)

X. Ler final étant nul (II), il s'ensuit, comme nous

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l'avons dit alors, que nombre de mots en eur étaient en
réalité terminés en eu final que le patois transforme en
aw ou en
en oue suivant les localités : laboureur, rabou-
roue, rabouraw; faiseur, faïoue, faïaw; danseur, dan-
soue, dansaw; pêcheur, pochoue, pochaw; meilleur, mil-
loue, millaw, etc.

Le vieux français offre des exemples de cette prononciation, qui doit remonter fort haut.

« Ains l'ama de si bon amour

Que mieus de li garda s'onour (son honneur). »

Si puent, et donné seignour
Contre son gré un vavassour.....

Que à sa dame en un destour
A fait sa plainte et sa clamour.

J'en ai au cuer (cœur) si grant dolour

Qu'à biau semblant souspir et plour. »

(AUDREFROY-LE-BATARD, Chanson du XII° siècle.)

Toutes ces finales our pour eur se prononçaient oue suivant la règle de Sylvius.

» Bien appert qu'estes fort paoureux. »

(Ballade du siège de Pontoise, 1441.)

« Aller vous fault, gens paoureux, ailleurs querre
Que ceste cour, ce n'est pas vostre cas. »

(Ballade du XVe siècle.)

Le patois meusien dit pawraw, paouraoue.

Nous ferons remarquer que beaucoup de mots en eur se prononcent en patois comme en français, avec cette différence que le son eur est fermé: majeur, mineur, précepteur (percepteur), conducteur, controleur, tourneur, etc. (V. page 22.)

XI. Le patois meusien change souvent ar ar en au: jars, jau; carte, caute; part, pau; large, lauche; armoire, aumâre; soir, sò; loir, lau; voir, rò, etc.

Voici quelques citations offrant une transformation

identique:

« Ceste estoire trouvons escrite

En un des livres de l'aumaire (armoire)

Monseigneur Saint-Père (Pierre) à Biauvès (Bauvais).
(Le Roman d'Alexandre, XII° siècie.)

« Et faisoit les autres danser comme jau sus braise et bille sus tabour. »

RABELAIS.)

XII. Il est dit plus haut (VIII) que l'a se substitue souvent au son de l'é fermé. Réciproquement, celui-ci prend la place de l'a dans les exemples suivants: gagner, gaigni; achever, aichevi; allumer, aileumer; amuser, aimeuser; arête, airêde; arrière, airie; farine, fairine; jardin, jaidin; mamelle, maimelle; mariage, mairiache; racine, raicine; raffiner, raiffiner; travers, traivê, etc. Cet usage peut également être appuyé d'exemples

écrits:

« Et faut-il mettre en oubliance

L'ardent et furieux carnaige

Qu'avoit d'iceulx toute alliance?

Piéton françoys disoit : J'enraige! »

(Eloge de Bayard. 1531

« Brief n'y avoit pas le bagaige

Qu'il ne vouloist mourir pour France,
Combien que voit-on du passaige. »

(Méme pièce.

Quand mort par son oultrage

Tel chevalier t'a touttu, c'est dommaige. »

(CHRISTINE DE PISAN, Complainte, 1401.)

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Dommaige rime avec outrage. On prononçait assurément aussi carnage, enrage, bagage, passage; mais notre patois, comme il l'a fait ailleurs, a suivi l'ancienne orthographe dans sa prononciation.

XIII. Le patois dit eu pour u: eunique, eutile, aimeuzer, veu, unique, utile, amuser, vu, etc. En cela, il suit aussi

l'ancienne orthographe, et peut-être l'ancienne prononciation. (V. page 19.)

« Espées, berruyers (anneaux ornés) et autres armeures. » (Du Cange, 1412.)

<< Sachent tuit (tous) que je, Thevenin Angevin, confesse avoir receu de M. S. le duc d'Orléans, la somme de quarante francs. (Titre de 1396.)

« Ayant bien vu, revu, leu, releu, paperassé et feuilleté les complainctes. »

(RABELAIS, IV° siècle.)

« Je feus la première de ma compagnie qui m'en apperceus, mais ce ne fut pas sans avoir grant peur. »

(LOUISE DE SAVOIE, Journal, XVI° siècle.)

Mais par contre on dit ucharistie, Ugène, Urope, pour eucharistie, Eugène, Europe, comme on faisait encore au dix-septième siècle.

XIV. Le son i remplace fréquemment le son é: airignie, araignée; pougnie, poignée; rougnie, rogner; faucie, faucher; fîte, fête; tîte, tête; gnîce, nièce; ligeil, léger; marrine, marraine; navie, navet; etc.

« Quant la chandoille estoit esprise
Devant la virge debonère. »

(RUTEBEUF, 1280.)

C'est pourquoi l'infinitif présent et le participe passé des verbes de la première conjugaison changent souvent en i les finales er, é: accoucher, accouché, aicueuilchi; cacher, caché, couachi; déboucher, débouché, daboûchi; écorcher, écorché, acourchi; éplucher, épluché, épeulchi; marcher, marché, marchi; changer, changé, chaingi; pencher, penché, peinchi; recharger, rechargé, rechogi; réveiller, réveillé, révilli; etc. Alors le participe passé féminin fait ie: couachie, chaingie, peinchie, révillie; etc.

Les substantifs plancher, berger, danger, étranger et quelques autres changent également er en i: pienchi, borgi, dangi, étrangi.

La plupart de ces mots avaient pour finale ier dans

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